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Règle du butoir : le Conseil d’Etat ne partage pas l’avis … du Conseil d’Etat

Règle du butoir : le Conseil d’Etat ne partage pas l’avis … du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat1, statuant en formation plénière, a récemment rendu une décision sur la règle dite du «butoir», règle qui a pour objet de plafonner les crédits d’impôt attachés à certains revenus mobiliers de source étrangère au montant de l’impôt français afférent à ces revenus.

Dans cette décision, qui annule un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles2, la Section du contentieux s’écarte de la solution recommandée par la Section des finances dans un avis datant de 20093.

Au cas particulier, était soumise au Conseil d’Etat une opération assez classique «autour du coupon» dans un contexte international. La société CIC avait emprunté des titres italiens à une contrepartie basée à Londres (Goldman Sachs International). La convention de prêt de titres prévoyait le versement à la société prêteuse d’une rémunération équivalente au montant brut des dividendes perçus par la société française durant la période du prêt. L’administration remettait en cause la possibilité pour le CIC d’imputer la retenue à la source italienne, prélevée sur ces dividendes, en considérant que les sommes reversées à Goldman Sachs par le CIC devaient venir en déduction des dividendes bruts perçus par la société française pour déterminer le plafond d’imputation du crédit d’impôt italien. Cette position avait été rejetée tant par le Tribunal administratif de Montreuil4 que par la Cour administrative d’appel de Versailles, qui avait fait application dans sa décision des principes exposés par la Section des finances du Conseil d’Etat dans son avis de 2009. Statuant au contentieux, et conformément aux conclusions du rapporteur public Benoit Bohnert, le Conseil d’Etat s’est en revanche écarté de cette analyse.

A titre de rappel, l’article 220.1 b) du code général des impôts (« CGI ») dispose que l’imputation sur l’impôt français d’une retenue à la source étrangère «est limitée au montant du crédit correspondant à l’impôt retenu à la source à l’étranger (…) tel qu’il est prévu par les conventions internationales». En l’occurrence, la convention franco-italienne prévoit simplement que le bénéficiaire français a droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. S’agissant de dividendes, ce crédit d’impôt «ne peut toutefois excéder le montant de l’impôt français correspondant à ces revenus».

Au-delà des divergences d’analyse entre les formations du Conseil d’Etat, étant rappelé que l’avis de 2009 avait une valeur purement consultative, la décision CIC laisse en suspens un certain nombre de questions sur les règles d’imputation des crédits d’impôt étrangers.

1. Les divergences d’analyse entre l’avis de 2009 et la décision CIC

Dans son avis de 2009, la Section des finances du Conseil d’Etat avait estimé que, «…des frais justifiés directement liés à l’acquisition, à la conservation et à la cession de titres et n’ayant pas pour contrepartie un accroissement de l’actif, sont, sauf exclusion par des dispositions spécifiques, susceptibles d’être déduits de la fraction du revenu brut procuré par les titres et servant d’assiette pour le calcul de l’impôt sur les sociétés dû à raison de ces titres. Peuvent notamment être déduits, sur ce fondement, les frais de garde et d’encaissement des titres. En revanche, les intérêts d’un emprunt contracté pour acquérir les titres à l’étranger ne pourraient être regardés comme des dépenses directement liées à l’acquisition des titres, pas plus que de tels intérêts ne sont déductibles pour l’impôt sur le revenu, sauf dans des cas particuliers (…)».

Toutefois, s’agissant des sommes reversées au prêteur dans le cadre d’une opération de prêt de titres, la Section des finances poursuivait son raisonnement en considérant que l’article 122 du CGI (qui prévoit que le revenu des valeurs mobilières émises hors de France est déterminé sans autre déduction que celle des impôts établis dans la pays d’origine), interdisait, pour la détermination du butoir, la prise en compte de «dépenses engagées à l’étranger» et en particulier, « …la déduction de la rémunération que le bénéficiaire du crédit d’impôt verserait, en application des stipulations d’une convention de partage de l’économie d’impôt, au vendeur étranger des titres, dès lors que cette déduction ne pourrait s’analyser que comme une déduction faite sur les produits des revenus encaissés de l’étranger autre que celle des impôts établis dans le pays d’origine».

C’est principalement sur la portée de ces dernières dispositions que le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, s’écarte de l’avis de la Section des finances. Dans un premier temps, le raisonnement est en effet identique: aux termes de l’article 24 de la convention entre la France et l’Italie, le crédit d’impôt italien imputable sur l’IS ne peut excéder le montant de l’impôt français correspondant à ces revenus. En l’absence de toute stipulation contraire dans la convention, ce montant maximal doit être déterminé en appliquant au montant brut des dividendes, l’ensemble des dispositions du CGI relatives à l’impôt sur les sociétés. Dès lors, pour le calcul du butoir, et en application de l’article 39 du CGI, il y a lieu de de déduire du montant brut des dividendes l’ensemble des «charges justifiées directement liées à l’acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, et n’ayant pas pour contrepartie un accroissement de l’actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques».

En revanche, le Conseil d’Etat ne partage pas la position de la Section des finances sur la portée de l’article 122 du CGI et juge que cet article ne peut pas faire obstacle à l’application des règles fixées par l’article 39 et qu’il ne peut donc pas faire obstacle, pour le calcul du butoir, à la déduction de la rémunération que le bénéficiaire du crédit d’impôt verse, en vertu d’une convention, au prêteur étranger de ces titres.

Pour les opérations de prêts de titres, la portée de la décision CIC est en grande partie historique. A la suite de l’avis de 2009, les dispositions de l’article 220.1.a du CGI avaient en effet été modifiées pour limiter les capacités d’imputation des crédits d’impôt en cas «d’aller-retour» des titres. Désormais, dans ces situations, les revenus de capitaux mobiliers étrangers doivent être minorés, pour le calcul du butoir, des charges engagées pour l’acquisition de ces revenus, y compris les sommes directement ou indirectement rétrocédées au prêteur et les moins-values éventuelles de cession des titres ayant donné lieu au crédit d’impôt.

Toutefois, pour toutes les opérations qui ne sont pas visées par ces dispositions, la décision CIC laisse ouverte un certain nombre de questions, par exemple sur la nature exacte des charges à prendre en compte, sur l’articulation entre le dispositif anti-abus et les principes généraux évoqués par le Conseil d’Etat ou encore sur la portée éventuelle de la rédaction des conventions.

2. Les questions soulevées par la décision

La principale question, à laquelle la décision CIC ne répond pas clairement, concerne la définition des «charges justifiées directement liées à l’acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes». Au cas particulier, et s’agissant d’une opération de prêt de titres, le Conseil d’Etat s’est contenté de juger que la rétrocession des dividendes italiens à Goldman Sachs devait être prise en compte. Il existe cependant de nombreuses opérations de marché, autres que des prêts de titres, et n’entrant pas dans le champ du dispositif «anti-abus» de l’article 220.1.a, pour lesquelles une «affectation» des charges, si le raisonnement du Conseil d’Etat était étendu à d’autres opérations que les prêts de titres, pourrait s’avérer particulièrement complexe, en particulier s’agissant des établissements bancaires (transaction mettant en présence plusieurs instruments, sources de financement multiples, opérations de couverture sur les marchés, etc.).

Tout en jugeant applicables les dispositions générales des articles 209 et 39 du CGI, la Section des finances considérait que «les intérêts d’un emprunt contracté pour acquérir les titres à l’étranger ne pourraient être regardés comme des dépenses directement liées à l’acquisition des titres». De même, on pourrait raisonnablement considérer que des opérations de couverture ne sont pas directement liées «à l’acquisition, à la conservation ou à la cession des titres» mais relèvent de décisions de gestion «détachables» de l’opération sous-jacente. Même si la question posée était différente, la CJUE, dans sa décision Société Générale (CJUE, 17 septembre 2015, C-17/14), rendue en matière de liberté de circulation des capitaux, a relevé que les charges de financement ou de couverture se rapportent à la détention des actions et ne sont donc pas directement liés à la perception des dividendes. Dans la mesure où les faits de l’espèce ne justifiaient pas de réponses sur ces points, le Conseil d’Etat n’a cependant pas précisé ces points dans la décision CIC.

Une lecture trop extensive des charges à prendre en compte, contrairement à la lecture «protectrice» de la Section des Finances, pourrait conduire à des situations paradoxales dans laquelle les opérations «d’aller-retour», visées par les dispositions « anti-abus » de l’article 220.1.a., seraient traitées plus favorablement que les opérations de marché non visées par le dispositif. En effet, dans le cadre du dispositif «anti-abus», la prise en compte de certaines charges (par exemple les moins-values de cession), peut-être écartée si le contribuable apporte la preuve que la conclusion du contrat n’a pas principalement pour objet ou pour effet de lui faire bénéficier du crédit d’impôt.

Une autre question qui devra faire l’objet de développements complémentaires est celle de l’articulation entre les règles de calcul du butoir, en application des principes de droit interne, et les dispositions conventionnelles. La décision CIC, faisant application du principe de subsidiarité, considère que la définition du «montant de l’impôt français correspondant à ces revenus» renvoie aux dispositions du CGI. Pour autant, une définition trop large pourrait renvoyer au commentaire de la Section des finances qui, dans son avis de 2009, avait souligné le «risque d’inconventionnalité» de dispositions anti-abus de droit interne dont le but serait de limiter les crédits d’impôt conventionnels. De plus, la rédaction de la convention applicable, ou l’existence de dispositifs conventionnels spécifiques (par exemple en matière de crédits d’impôt forfaitaires) pourraient donner matière à discussion.

Ces quelques exemples montrent que les questions relatives à l’application de la règle du butoir aux revenus de source étrangère n’ont pas été épuisées par la décision CIC. En dehors de l’arrêt de renvoi qui pourrait contenir d’utiles précisions, il y aura sans nul doute matière à de futures décisions sur la nature des charges à prendre en compte et, dans certaines situations, sur la compatibilité du butoir avec les engagements internationaux de la France.

Notes

1Conseil d’Etat, 7 décembre 2015, n°357189 plèn., min. c/Sté Crédit Industriel et Commercial.
2CAA de Versailles, 13 décembre 2011, n°10VE03240, CIC.
3Conseil d’Etat, avis n°382545, en date du 31 mars 2009.
4TA de Montreuil, 27 mai 2010, n°0905910, CIC.

 

Auteurs

François Rontani, avocat associé en matière de fiscalité internationale

Benoît Foucher, avocat en matière de fiscalité internationale

 

Règle du butoir : le Conseil d’Etat ne partage pas l’avis … du Conseil d’Etat – Article paru dans le magazine Option Finance le 11 janvier 2016