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Réparation du préjudice d’anxiété : quels délais pour agir en justice ?

Réparation du préjudice d’anxiété : quels délais pour agir en justice ?

L’action en réparation du préjudice d’anxiété a connu des évolutions très sensibles depuis le mois d’avril 2019.

Dans le cadre du régime juridique initial, fixé à partir de l’année 2000, la Cour de cassation a reconnu un droit à réparation du préjudice d’anxiété au profit des seuls salariés éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA), à savoir les salariés ayant travaillé dans un établissement inscrit sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y était fabriqué ou traité de l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. [1]

Le préjudice d’anxiété était alors admis pour la seule exposition à l’amiante – à l’exclusion de toute autre substance nocive – et pour un nombre de salariés limité au regard de l’activité de leur employeur. Ce régime limitatif était vivement critiqué au motif que l’exposition des salariés à des agents nocifs était beaucoup plus large, sans pour autant permettre à chacun de solliciter la réparation de son préjudice d’anxiété.

Par un premier arrêt du 5 avril 2019, la Cour de cassation a élargi le bénéfice de l’action en réparation du préjudice d’anxiété aux salariés exposés à l’amiante « quand bien même ils n’auraient pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée (ACAATA) » [2] , à charge pour ces deniers de rapporter la preuve de leur exposition à l’amiante, du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ainsi que de la réalité et de l’étendue de leur préjudice.

Par un second arrêt du 11 septembre 2019, la Cour de cassation a poursuivi sa logique d’élargissement en ne limitant plus le préjudice d’anxiété à l’exposition à l’amiante. La Cour retient en effet qu’« en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité». [3]

Il résulte de cette situation la coexistence de deux régimes juridiques, l’un spécifique à l’ACAATA, l’autre de droit commun. Les contours de ce nouveau régime hors ACAATA doivent être précisés, notamment sur la délicate question de la prescription, qui permet de distinguer les actions qui seront recevables en justice et celles qui se verront opposer une fin de non-recevoir, au regard de la date à laquelle la juridiction prud’homale aura été saisie.

A ce titre, plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 [4] apportent des précisions fondamentales tant sur le délai de prescription que sur le point de départ de celui-ci.

 

Le point de départ de la prescription dans le régime ACAATA : une règle bien établie

Les arrêts du 8 juillet 2020 ne modifient en rien ce point de départ, qui est établi de manière claire en jurisprudence.

Ainsi, le point de départ du délai pour agir est fixé à la date de publication de l’arrêté ministériel d’inscription de l’entreprise sur la liste des établissements éligibles au dispositif ACAATA, en ce qu’elle correspond à la date à laquelle le salarié a connaissance de son exposition à l’amiante. [5]

 

Le point de départ de la prescription dans le régime de droit commun (hors ACAATA) : une confirmation et un bouleversement

Ce régime suppose logiquement l’application des règles de droit commun en matière de prescription, étant rappelé que l’action menée vise à sanctionner l’employeur pour les manquements commis lors de l’exécution du contrat de travail, à savoir sa défaillance dans l’obligation de sécurité vis-à-vis du salarié.

A ce titre, l’article L.1471-1 du Code du travail pose comme principe que le point de départ de la prescription d’une action est le « jour où le salarié a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son droit », à savoir en l’espèce le jour où le salarié a connu ou aurait dû connaitre le fait que l’exposition à l’amiante lui a créé un risque élevé de développer une pathologie grave.

Les arrêts du 8 juillet 2020 confirment l’application de cet article du Code du travail en première intention.

Le juge devra déterminer la date à retenir pour fixer ce point de départ, au regard des éléments probants qui seront versés aux débats. Le point de départ devrait être fixé au jour où le salarié a été informé de son exposition au risque, que ce soit en cours d’exécution du contrat de travail ou lors de la rupture de celui-ci, notamment au travers de la remise d’une attestation ou d’une fiche individuelle d’exposition.

Ainsi, lorsqu’un employeur n’aura pas délivré cette information au salarié et que, plus globalement, il ne sera pas en mesure d’établir à une date certaine le jour où le salarié a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action, le salarié devrait se prévaloir du fait que son action judiciaire est parfaitement recevable, le délai de prescription n’ayant en réalité pas encore commencé à courir.

Mais l’arrêt du 8 juillet 2020 va plus loin : il consacre un report du point de départ de la prescription au jour où le salarié a cessé d’être exposé à l’agent nocif. La formule selon laquelle le point de départ de la prescription « ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin » est claire mais ne manque pas d’interroger.

Bien que la Cour de cassation ne le précise pas, l’exposition dont il est ici question est évidemment l’exposition fautive, à savoir la période durant laquelle l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité à l’égard du salarié.

Ce report est à l’évidence favorable au demandeur qui, bien qu’il ait été informé par l’employeur des risques auxquels il a été exposé, voit son délai pour agir en justice allongé de la durée de l’exposition fautive.

 

Ainsi, l’employeur qui a délivré au salarié une information claire et exhaustive faisant courir le délai de prescription sur le fondement de l’article L.1471-1 du Code du travail se verra opposer que l’exposition fautive ayant pris fin postérieurement à cette information, c’est à la date de fin de l’exposition que commence à courir le délai de prescription.

 

Ce report ne constitue pas pour autant une date butoir pour faire courir le délai de prescription. Tant que le salarié n’a pas été informé de son exposition à des agents nocifs, son délai de prescription ne commence pas à courir, peu important que l’exposition fautive ait pris fin.

Au-delà de ces traductions pratiques, le fondement juridique d’une telle solution pose question. En effet, elle ne semble pas pouvoir être fondée sur les articles 2233 à 2239 du Code civil, énumérant les cas limitatifs de report du point de départ et de suspension de la prescription.

En l’espèce, il s’agit manifestement d’un pur artifice jurisprudentiel pour déroger à une disposition légale.

 

La durée de la prescription dans le régime du droit commun (hors ACAATA) : une application logique de l’article L.1471-1 du Code du Travail

A l’occasion des arrêts d’avril et septembre 2019, faute de précision, une interrogation a pu naitre sur le délai de prescription applicable.

Le délai décennal, prévu à l’article 2226 du Code civil, devait être exclu par nature car il n’a vocation à s’appliquer qu’en cas d’atteinte à l’intégrité physique (préjudice corporel), ce qui ne correspond pas au préjudice d’anxiété puisque les demandeurs ne sont pas malades.

Le délai quinquennal prévu à l’article 2224 du Code civil, prévu pour les actions personnelles, devait pour sa part logiquement être écarté au profit des dispositions spécifiques de l’article L.1471-1 du Code du travail, étant précisé que le droit à réparation vient précisément sanctionner un manquement lors de l’exécution du contrat de travail.

La Cour de cassation a levé toute ambiguïté sur ce point en faisant application de cet article du Code du travail, lequel pose le principe d’une prescription biennale en cas d’exécution défectueuse du contrat de travail.

 

La durée de la prescription dans le régime ACAATA : vers un raccourcissement de cinq à deux années

Au dernier état de la jurisprudence, la Cour de cassation a fait application du délai de prescription quinquennal dans plusieurs affaires récentes concernant des salariés exposés à l’amiante dans des établissements classés. [6] Il doit être relevé que, dans ces affaires, le litige était élevé sur la détermination du point de départ de la prescription, sans que la question de la durée de la prescription ne soit posée à la Cour, les parties n’ayant pas discuté l’application du délai quinquennal.

Dans le prolongement des arrêts du 8 juillet 2020, les juridictions de fond et la Cour de cassation devraient s’aligner et juger que le délai pour agir est également de deux ans pour les bénéficiaires du régime ACAATA, l’article L.1471-1 du Code du travail ayant également vocation à s’appliquer à leur situation.

Il convient de noter que les apports des arrêts du 8 juillet 2020 ne se limitent pas au préjudice d’anxiété en matière d’amiante – bien que les faits de l’espèce ne concernent que l’exposition à l’amiante – mais s’appliqueront au régime de droit commun, dès lors qu’un salarié fera valoir l’existence d’un préjudice d’anxiété en raison de son exposition fautive à un agent nocif pour sa santé.

En outre et surtout, il conviendra de surveiller si le report artificiel du point de départ de la prescription au jour où l’employeur a cessé de commettre le manquement fautif se cantonne à cette matière ou si, tout au contraire, il trouve à s’appliquer plus largement à l’exécution du contrat.

En effet, s’il était admis de manière générale que le point de départ de la prescription n’est plus le jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance de la situation objet du litige mais le jour où l’employeur a cessé de violer son obligation, l’économie de l’article L.1471-1 du Code du travail dans sa rédaction actuelle – voire plus largement celle de l’article 2224 du Code civil – s’en trouverait profondément bouleversée.

[1] Cass. Soc., 11 mai 2020, n°09-42.241

[2] Cass. Ass. Plénière, 5 avril 2019, n°18-17.442

[3] Cass. Ass. Plénière, 11 septembre 2019, n°17-26.879

[4] Cass. Soc., 8 juillet 2020, n°18-26.585, n°18-29.586 et autres

[5] Notamment Cass. Soc., 2 juillet 2014, n°13-10.644 / Cass. Soc., 11 septembre 2019, n°18-50.030

[6] Cass. Soc., 11 septembre 2019, n°13-19.263 / Cass. Soc., 29 janvier 2020, n°18-15.396

Article publié dans Les Echos Executives le 09/10/2020

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