Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Top

Répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux : le juge saisi doit obligatoirement statuer

Répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux : le juge saisi doit obligatoirement statuer

En l’absence d’accord entre l’employeur et les organisations syndicales sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux, le juge doit procéder à cette répartition si l’administration (la Dreets) ne se prononce pas dans le délai imparti de deux mois. Il ne peut en aucun cas refuser de se prononcer.

 

Dans le cadre de la négociation du protocole d’accord préélectoral (PAP), il appartient à l’employeur et aux organisations syndicales de répartir les sièges entre les collèges électoraux et le personnel entre ces collèges.

 

Si au moins un syndicat a répondu à l’invitation de l’employeur de venir négocier le PAP mais qu’aucun accord n’a pu être obtenu sur ces points, il appartient en premier lieu à la Dreets, saisie par l’employeur, de procéder à ladite répartition (C. trav., art. L.2314-13 et R.2314-3).

 

Classiquement, la Dreets fait application des dispositions légales (employés et ouvriers dans le premier collège, ingénieurs, chefs de service, techniciens, agents de maîtrise et assimilés dans le second collège, le cas échéant un collège dédié pour les ingénieurs, chefs de service et cadres administratifs, commerciaux ou techniques assimilés sur le plan de la classification) et répartit les personnels entre ses collèges selon les prévisions légales ou conventionnelles.

 

A cette fin, elle recherche la nature des fonctions réellement exercées par les intéressés (Cass. soc., 12 mai 2021, n°19-24.476 ; Circ. DRT 12 du 17 mars 1993, annexe fiche 5, n°2.3). Peu importe la qualité en laquelle ils les accomplissent ; l’appartenance d’un salarié à un collège électoral étant déterminée par la nature de l’emploi qu’il occupe effectivement (Cass. soc., 10 mai 1983 n°82-60.624).

 

Précision que la saisine de la Dreets suspend le processus électoral.

 

Si celle-ci estime que les négociations n’ont pas été menées loyalement, elle peut renvoyer les parties à se revoir : « que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n’a pu être conclu que l’autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux » (Cass. soc., 12 juillet 2022, n°21-11.420 ; Cass. soc., 6 mai 2025, n°24-17.928), de sorte qu’elle ne se prononce techniquement pas sur les répartitions concernées.

 

L’obligation de loyauté renvoie principalement à la transmission des éléments permettant le contrôle de l’effectif et de la liste électorale : « l’employeur, tenu dans le cadre de la négociation préélectorale à une obligation de loyauté, doit fournir aux syndicats participant à cette négociation, et sur leur demande, les éléments nécessaires au contrôle de l’effectif de l’entreprise et de la régularité des listes électorales ; que pour satisfaire à cette obligation l’employeur peut, soit mettre à disposition des syndicats qui demandent à en prendre connaissance le registre unique du personnel et des déclarations annuelles des données sociales des années concernées dans des conditions permettant l’exercice effectif de leur consultation, soit communiquer à ces mêmes syndicats des copies ou extraits desdits documents, expurgés des éléments confidentiels, notamment relatifs à la rémunération des salariés » (Cass. soc., 6 janvier 2016, n°15-10.975).

 

La Cour a jugé quelques années plus tard que le manquement à cette obligation de loyauté constitue une cause de nullité de l’accord préélectoral – et donc des élections subséquentes – quand bien même cet accord serait valable au regard de la condition de double majorité (Cass. soc., 9 octobre 2019, n°19-10.780).

 

La Dreets dispose ainsi d’un certain pouvoir d’appréciation pour accepter ou non de se prononcer. Le juge, en revanche, ne dispose pas d’une telle liberté. Saisi à la suite d’une décision de la Dreets, il ne peut se défausser, sauf à commettre un déni de justice.

 

C’est le sens de cette décision du 25 juin 2025 de la chambre sociale de la Cour de cassation (n°23-24.013).

 

Au cas particulier, des élections au sein d’une unité économique et sociale (UES) sont organisées. Un accord collectif prévoit que les sociétés de l’UES présentes en Île-de-France sont regroupées en trois établissements distincts. Pour les trois CSE d’établissement (CSEE), l’employeur invite les organisations syndicales intéressées à négocier un PAP.

 

En l’absence d’accord pour deux des CSEE, l’employeur saisit la Dreets pour fixer la répartition du personnel dans les collèges électoraux et la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel, conformément à l’article L.2314-13 du Code du travail.

 

En l’absence de réponse de la Dreets dans le délai de deux mois, l’employeur conteste la décision implicite de rejet ainsi née devant le juge judiciaire auquel il demande de procéder à ces répartitions.

 

Toutefois, le tribunal judiciaire refuse de se prononcer sur cette répartition au motif que la négociation du PAP n’aurait pas été menée loyalement. Il déclare la demande irrecevable et ordonne la reprise des négociations dans un délai de 8 jours.

 

Le juge a considéré que les organisations syndicales n’avaient pas disposé de toutes les informations utiles en relevant le refus de l’employeur de délivrer aux syndicats participant à la négociation les fiches de postes et toutes les informations susceptibles de permettre la vérification de la correspondance entre les classifications de la convention collective applicable et la réalité des tâches exercées dans l’entreprise, ainsi que toutes les informations utiles à la sous-traitance.

 

La Cour de cassation (la décision du juge judiciaire n’étant pas susceptible d’appel) censure la décision ainsi rendue.

 

Elle rend sa décision au visa des articles L.2314-13 et R.2314-13 du Code du travail mais surtout de l’article 4 du Code civil qui dispose que « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».

 

Pour la Haute Juridiction le tribunal judiciaire ne peut pas déclarer irrecevable la demande d’une société de fixer la répartition du personnel et des sièges entre les différents collèges électoraux.

 

Il doit obligatoirement se prononcer et procéder à ces répartitions. Si des éléments d’information demandés par les syndicats sont manquants – et s’ils existent – et sont nécessaires pour ce faire, alors le juge doit en ordonner la production.

 

Sur ce dernier point, la solution n’est pas nouvelle. Il a effet déjà été jugé que, faute d’accord sur le PAP, le juge saisi d’une demande visant à répartir les sièges entre les collèges électoraux, doit effectuer cette répartition en s’appuyant sur les pièces fournies par l’employeur, et dans le cas où ces pièces lui paraissent insuffisantes, demander la production de justificatifs complémentaires (Cass. soc., 27 mai 2021, n°20-10.638).

 

Cette décision est manifestement contraire à une précédente décision rendue le 6 mai dernier dans une circonstance similaire (n°24-17.928) et aux termes de laquelle la Cour de cassation a confirmé la décision du juge judiciaire de renvoyer les parties à la négociation après avoir constaté un manquement à l’obligation de loyauté dans la négociation du PAP.

 

Pour quelles raisons deux décisions rendues à quelques semaines d’écarts sont-elles à ce point différentes ?

 

Dans l’arrêt du 6 mai 2025, la Cour de cassation a mis en exergue un courrier de l’inspection du travail qui pointait les conditions délétères de négociations du PAP et les agissements déloyaux. La Cour a ainsi considéré que la Dreets n’avait même pas lieu d’être saisie de la demande de répartition puisque les négociations n’avaient pas été loyales.

 

Dans l’arrêt du 25 juin 2025, la Cour de cassation ne se fonde pas sur un quelconque manquement à l’obligation de loyauté mais insiste sur les pouvoirs du juge en termes d’investigation et d’obligation de se prononcer. En outre, la Dreets ne s’était pas prononcée.

 

Différence subtile mais seule à même d’expliquer des décisions en ce point différentes. Il y aurait donc deux situations :

 

♦ La Dreets se prononce et le juge, saisi d’une contestation de cette décision, peut renvoyer les parties à la négociation en cas de manquement à l’obligation de loyauté ;

 

♦ La Dreets ne se prononce pas (décision implicite de rejet) et le juge doit alors se prononcer sur la répartition.

 

En tout état de cause, les employeurs sont invités à se montrer loyaux dans les négociations relatives au PAP. A défaut, ils prennent le risque que la Dreets les renvoient à la négociation ou qu’in fine, le juge leur impose la communication des informations nécessaires.

 

Auteur

Damien CHATARD, avocat Counsel, docteur en droit, CMS Francis Lefebvre Avocats

Next Story

This is the most recent story.