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Actualité jurisprudentielle des élections professionnelles : les derniers arrêts de la Cour de cassation

Actualité jurisprudentielle des élections professionnelles : les derniers arrêts de la Cour de cassation

Institués par les ordonnances du 22 septembre 2017 pour une première mise en place au plus tard le 31 décembre 2019, les comités sociaux et économiques (CSE) ont remplacé à cette date les anciens comités d’entreprise (CE).

 

Quatre ans plus tard, l’heure est désormais au premier renouvellement de ces instances. Pendant cette période, la Cour de cassation a peu à peu précisé le régime de la mise en place des CSE et les règles applicables s’agissant de l’élection des représentants du personnel ainsi que des modalités de contestation judiciaire des élections professionnelles.

 

Par trois arrêts récents, la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle sur ces questions.

 

Respect des principes généraux du droit électoral et élections professionnelles

 

Obligation de neutralité et charge de la preuve

Cass. soc., 18 mai 2022, n°20-21.529

Aux termes de l’article L.2314-28 du Code du travail, le protocole d’accord préélectoral (PAP) fixant les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales entre l’employeur et les organisations syndicales doit respecter les principes généraux du droit électoral dont fait notamment partie l’obligation de neutralité.

 

Ainsi, l’employeur doit s’abstenir de toute action de nature à influencer le scrutin et la sincérité des votes ou à favoriser une liste par rapport à une autre.

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 2022, le PAP prévoyait une date et une heure limite pour le dépôt des listes de candidats du premier tour des élections professionnelles.

 

En l’espèce, un syndicat avait adressé sa liste par courriel après l’heure limite établie par le PAP, et l’employeur ne l’avait pas retenue. En revanche, la liste d’un autre syndicat déposée en main propre auprès de l’employeur à cette même date, sans qu’il soit justifié de l’heure de son dépôt, avait été retenue.

 

S’il est de jurisprudence constante que l’employeur peut écarter une liste présentée hors délai (Cass. soc., 9 novembre 2011, n°10-28.838 ; Cass. soc., 31 mai 2016, n°15-60.157), les deux syndicats qui avaient déposé leur liste à la même date avaient fait l’objet d’un traitement différencié, de sorte que le syndicat dont la liste n’avait pas été retenue a saisi le tribunal judiciaire aux fins d’annulation des élections des membres du CSE.

 

Pour annuler les élections, le Tribunal a retenu qu’il n’était pas possible d’apprécier si l’heure limite de dépôt avait été respectée lors de la remise en main propre et que, dès lors, la société ne justifiait pas avoir respecté son obligation de neutralité en retenant une liste et en rejetant l’autre. L’employeur s’est alors pourvu en cassation.

 

La Cour de cassation rappelle tout d’abord :

 

    • que les irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral, parmi lesquels figure le principe de neutralité, constituent une cause d’annulation des élections indépendamment de leur influence sur leur résultat ;
    • qu’il appartient à celui qui invoque la violation par l’employeur de son obligation de neutralité d’en rapporter la preuve.

 

Se prononçant pour la première fois, à notre connaissance, sur la charge de la preuve de la violation de l’obligation de neutralité, la haute juridiction censure la décision des juges du fond pour avoir, d’une part, inversé la charge de la preuve et, d’autre part, pour n’avoir pas caractérisé le manquement de l’employeur à son obligation de neutralité.

 

C’est donc au syndicat qui se prévaut d’un manquement de l’employeur à son obligation de neutralité de démontrer que la liste en cause avait été déposée hors délai.

 

Egalité entre les électeurs et vote électronique

Cass. soc., 1er juin 2022, n°20-22.860

Le vote électronique est l’un des modes de scrutin que l’employeur peut mettre en place pour les élections professionnelles.

 

Le Code du travail encadre cependant cette pratique en imposant :

 

    • qu’un accord collectif d’entreprise ou de groupe ou, à défaut, l’employeur, en autorise le recours (C. trav., art. L.2314-26 et R.2314-5) ;
    • que sauf accord d’entreprise contraire, les élections aient lieu durant les heures de travail, sur le lieu de travail ou à distance en respectant certaines garanties (C. trav. art. L.2314-27 et R.2314-6 et s.) ;
    • de ne pas déroger aux principes généraux du droit électoral (Cass. soc., 3 octobre 2018, n°17-29.022).

 

Le vote électronique doit par ailleurs assurer, d’une part, la confidentialité des données transmises, notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales des collèges électoraux, et, d’autre part, la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, d’émargement, d’enregistrement et de dépouillement des votes (C. trav. art. R. 2314-6).

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la Cour de cassation du 1er juin 2022, une société organisant les élections des membres de la délégation du personnel au CSE avait été alertée du fait que certains salariés distributeurs de prospectus, constituant la très grande majorité du collège «employés», qui ne se rendaient qu’une fois par semaine dans les locaux de l’entreprise pour récupérer leur feuille de route et les imprimés publicitaires à distribuer, ne disposaient pas de poste de travail, de bureaux de vote ni d’ordinateur professionnel.

 

L’employeur avait, en conséquence, organisé par décision unilatérale les modalités de vote électronique pour ces salariés, leur permettant de «voter à tout moment pendant la période d’ouverture du vote électronique à partir de n’importe quel terminal Internet via un lien direct avec le site du prestataire, de leur lieu de travail, de leur domicile ou de tout autre lieu de leur choix en se connectant sur le site sécurisé propre aux élections».

 

La période de vote avait été fixée à huit jours pour chacun des deux tours du vote, ce que la société jugeait suffisant pour permettre à chacun d’avoir accès « par ses propres moyens » à une connexion Internet et voter.

 

La société avait parallèlement restreint les supports à partir desquels ces salariés pouvaient voter, pour assurer le respect des règles de confidentialité des données, interdisant aux salariés «distributeurs» tout utilisation :

 

    • des ordinateurs de la société durant la période de vote ;
    • d’un ordinateur personnel dans les locaux de l’entreprise.

 

En l’espèce, il était reproché à la société de ne pas s’être assurée de l’accès de chaque salarié au matériel nécessaire au vote et de ne pas pouvoir justifier des raisons empêchant la mise en place d’autres procédés permettant de pallier le défaut d’accès de ses distributeurs au matériel de vote (par exemple des terminaux dédiés au vote électronique dans ses établissements).

 

Le Tribunal judiciaire, confirmé par la Cour d’appel, considère que la carence de l’employeur à garantir l’accès au scrutin des personnes n’ayant pas le matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet caractérise une atteinte au principe général d’égalité face à l’exercice du droit de vote. En conséquence et peu important les résultats des élections, ce manquement constitue à lui seul une cause d’annulation du scrutin.

 

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir annulé les élections et justifie cette solution en précisant :

 

    • dans un premier temps, que le recours au vote électronique ne permet pas de déroger aux principes généraux du droit électoral comme elle l’avait déjà jugé auparavant (Cass. soc. 3 oct. 2018, n°17-29.022) ;
    • dans un deuxième temps, qu’il résulte des éléments de fait et de preuve souverainement relevés par le Tribunal une « atteinte au principe général d’égalité face à l’exercice du droit de vote, constituant à elle seule une cause d’annulation du scrutin, quelle que soit son incidence sur le résultat ».

 

Si la Cour de cassation avait déjà jugé que la violation d’un principe général du droit électoral s’analyse en une irrégularité justifiant à elle seule l’annulation des élections (Cass. soc., 30 sept. 2015, n°14-25.925), c’est la première fois qu’elle se réfère au principe général d’égalité dans l’exercice du droit de vote.

 

Ce faisant, elle adopte ainsi une formule proche de celle du Conseil d’Etat concernant les élections de représentants du personnel de la fonction publique, exigeant que « les précautions appropriées soient prises » pour qu’aucune personne ne soit écartée du scrutin (CE, 3 octobre 2018, n°417312).

 

Ainsi, le recours au vote électronique pour les élections professionnelles requiert de s’assurer que chaque salarié ait accès à un terminal de vote et, en cas contraire, qu’une solution alternative, telle que des terminaux physiques dédiés au vote électronique dans les établissements concernés, soit mise en place.

 

Pas de contestation possible des modalités d’organisation des élections professionnelles fixées par décision unilatérale en l’absence de réserves émises par le syndicat lors du dépôt de la liste de candidats

Cass. soc., 18 mai 2022, n°21-11.737

Avant les élections professionnelles, le protocole d’accord préélectoral (PAP) négocié entre l’employeur et les organisations syndicales détermine notamment les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales (C. trav., art. L.2314-28).

 

En l’absence de protocole préélectoral conclu avec les organisations syndicales dans les conditions de l’article L.2314-6 du Code du travail, ces modalités peuvent être fixées par le juge judiciaire (C. trav., art. L.2314-28), qui statue en dernier ressort selon la procédure accélérée au fond (C. trav., art. R. 2314-2).

 

En l’absence de toute saisine du juge, la Cour de cassation considère, selon une jurisprudence constante, qu’il revient à l’employeur de fixer par décision unilatérale les modalités d’organisation de ces élections (Cass. soc. 26 sept. 2012, n°11-22.598 ; Cass. soc., 20 mars 2019, n°18-60.063).

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 2022, après échec des négociations en vue de parvenir à un PAP, l’employeur, en l’absence de la saisine préalable du juge judicaire, avait fixé par décision unilatérale les modalités d’organisation des élections professionnelles, laquelle n’avait fait l’objet d’aucune contestation devant le Tribunal judiciaire.

 

C’est seulement après la proclamation des résultats qu’un syndicat et un candidat présenté par ce dernier ont saisi le Tribunal d’instance aux fins d’obtenir l’annulation de l’élection de l’ensemble des membres (titulaires et suppléants) du CSE de l’un des établissements, en invoquant différentes irrégularités, et notamment la décision de l’employeur de mettre en place un bureau de vote unique.

 

Cette demande ayant été rejetée par le tribunal judiciaire de Paris, le syndicat a formé un pourvoi en cassation.

 

Il revenait donc à la Cour de cassation de déterminer si une action en annulation des élections, dont les modalités d’organisation ont été fixées par décision unilatérale, peut être introduite en l’absence de contestation préalable de cette décision devant le juge judiciaire et postérieurement au résultat des élections.

 

La Cour approuve les juges du fond d’avoir rejeté la demande d’annulation des élections.

 

Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle qu’à défaut d’accord déterminant les modalités d’organisation et de déroulement des opérations électorales, il appartient à l’employeur, en l’absence de saisine du Tribunal judiciaire aux fins de fixation de celles-ci, de les prévoir par décision unilatérale.

 

En l’espèce, la Cour reconnait implicitement que le recours à une décision unilatérale se trouvait justifié par l’échec de la négociation du PAP et l’absence de saisine du juge judiciaire.

 

Dans un deuxième temps, la Cour précise, pour la première fois à notre connaissance, les conditions de la contestation par un syndicat ayant présenté une liste de candidats, des modalités d’organisation des élections prévues par une décision unilatérale de l’employeur.

 

Selon la Cour, faute pour le syndicat d’avoir émis des réserves sur ces modalités au plus tard lors du dépôt de sa liste, la validité de la décision unilatérale de l’employeur ne saurait plus être contestée après la proclamation des résultats, aux fins d’obtenir l’annulation des élections.

 

En l’espèce, l’organisation syndicale demanderesse ne pouvait plus contester certaines modalités prévues dans la décision unilatérale et demander l’annulation des élections dès lors qu’elle n’avait ni saisi le juge judiciaire d’un contentieux préélectoral, ni émis de réserves sur ces modalités au moment du dépôt de ses listes de candidats.

 

Avec cet arrêt, la Cour transpose à la décision unilatérale une solution déjà retenue en cas d’encadrement des élections par un protocole d’accord préélectoral (V. Cass. soc. 24 nov. 2021, n°20-20.962).

 

Ainsi, les modalités d’organisation des élections, qu’elles soient fixées par un PAP ou par une décision unilatérale, ne peuvent être contestées que dans certaines conditions.

 

Dans la seconde hypothèse, toute contestation introduite par un syndicat en vue d’obtenir l’annulation des élections peut uniquement intervenir :

 

    • soit, avant les élections, par la saisine du juge judiciaire pour demander la fixation des modalités d’organisation des élections qui n’ont pas fait l’objet d’un accord ou pour contester la décision unilatérale de l’employeur ;
    • soit après les élections, mais à la condition pour ce syndicat d’avoir émis des réserves sur ces modalités lors du dépôt de la liste de candidats

 

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