Télétravail : une mise en œuvre simplifiée mais à quels coûts pour l’entreprise ?
25 mai 2018
L’encadrement du télétravail a été organisé il y a bientôt treize ans par un premier accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, repris en partie dans le Code du travail par une loi du 22 mars 2012.
Depuis lors, bien que la pratique du télétravail n’ait cessé de se développer avec l’essor des outils numériques, aucune modification législative n’avait été apportée.
L’intérêt croissant de ce dispositif, tant pour les entreprises que pour les salariés, a poussé le gouvernement à se saisir de ce thème dans le cadre des ordonnances du 22 septembre 2017 et de la loi de ratification qui a suivi.
Avec plus de 90% des télétravailleurs satisfaits de leurs expériences1, l’objectif était de simplifier le dispositif du télétravail pour en faciliter le recours que ce soit à titre ponctuel ou régulier.
Cependant, certains points, et tout particulièrement le régime de la prise en charge des frais induits par le télétravail, restent incertains.
Dans un objectif de simplification, le cadre collectif est privilégié
Selon le nouvel article L.1222-9 alinéa 3 du Code du travail, la mise en place du télétravail s’effectue par accord collectif, ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis, le cas échéant, du comité social et économique. Relevons à ce stade, que le recours à la charte unilatérale impose à l’employeur de respecter les contraintes de l’ANI de 2015 (s’il relève de cet accord), le privant ainsi de la souplesse mise en œuvre par les ordonnances.
En l’absence d’un tel support juridique, il peut être recouru au télétravail par accord entre le salarié et l’employeur. Cet accord doit être formalisé par tout moyen.
La distinction entre les différents types de recours au télétravail a été supprimée. Ainsi, qu’il soit régulier ou occasionnel, le télétravail peut être instauré par une norme collective ou, à défaut, par accord entre l’employeur et le salarié.
Les principales mesures à définir dans l’accord collectif, ou, à défaut, dans la charte élaborée par l’employeur sont :
1° Les conditions de passage en télétravail, (…), et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
2° Les modalités d’acceptation par le salarié (…) ;
3° Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
4° La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
Bien que l’adoption d’un accord collectif ne soit pas imposée, ce dernier permet également d’offrir un cadre plus sécurisant pour l’employeur en vue de justifier le respect du principe d’égalité de traitement. A cet égard, la définition des critères d’éligibilité au télétravail constituera certainement un enjeu de taille pour les partenaires sociaux dans le cadre de leur négociation à venir.
En outre, relevons qu’en cas de refus du passage au télétravail, l’employeur doit désormais motiver sa décision par des éléments objectifs. La référence à ces critères conventionnels devrait alors être précieuse.
Ce nouveau cadre du télétravail vise donc à faciliter son recours. Pour autant, certains sujets n’ont pas été clarifiés et risquent de poser des difficultés lors de la négociation des accords et/ ou de la mise en œuvre du télétravail : la sécurisation des moyens de communication et des données, la question de la maîtrise et du contrôle du temps de travail, …. Tel est également le cas de la prise en charge des frais qui représentent un point d’attention pour les entreprises. Si tous ces points ne figurent pas parmi les dispositions impératives à prévoir dans le cadre de la norme collective, ils devraient faire l’objet d’une réflexion approfondie afin de limiter les difficultés d’application.
Les implications de la suppression de l’obligation légale de prise en charge des coûts directement liés au télétravail
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a supprimé la référence à l’obligation pour l’employeur de prendre en charge « tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ».
Il est vrai qu’une telle référence favorisait l’évaluation des coûts au réel alors même qu’elle est peu adaptée à la réalité des entreprises pour lesquelles il est plus simple de prévoir une prise en charge forfaitaire.
Pour autant le principe d’indemnisation n’est pas supprimé. En premier lieu, précisons qu’à défaut d’un accord collectif, l’entreprise devrait respecter l’obligation prévue par l’ANI de prendre en charge « les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications ».
En second lieu, le principe général selon lequel « les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l’employeur » continue à s’appliquer.
Dès lors, la suppression de l’obligation légale de prise en charge des coûts découlant du télétravail n’exonère pas l’employeur de tout remboursement des frais professionnels supplémentaires induits par ce dernier, mais permet d’envisager une indemnisation forfaitaire.
Pour autant, le régime strict des remboursements des frais professionnels n’a pas été modifié
Au plan des principes, lorsque le salarié engage des frais supplémentaires inhérents à son activité professionnelle, leur remboursement par l’employeur n’est pas soumis à cotisations sociales ni à impôts sur le revenu, sous réserve de respecter les conditions d’une telle qualification au regard de la règlementation applicable2. Le remboursement des frais professionnels résultant du télétravail doit respecter ces principes. Dans ce contexte, il est important de rappeler que le choix d’une indemnisation forfaitaire du télétravail ne permet pas en tant que tel d’appliquer le régime fiscal et social des frais professionnels. En effet un tel forfait serait analysé comme un complément de rémunération.
Dans ce contexte, il apparait donc essentiel que l’accord ou, à défaut, la charte unilatérale définisse les conditions de prise en charge des frais au titre du télétravail et que, l’employeur anticipe le traitement fiscal et social des sommes versées à cette occasion, en sollicitant l’URSSAF dans le cadre d’un rescrit social. Ce rescrit aurait pour objet de faire valider l’exonération de modalités d’indemnisation consistant par exemple à évaluer forfaitairement la part professionnelle de l’utilisation des biens tout en justifiant de la réalité de la dépense.
On peut néanmoins regretter sur ce dernier point l’absence d’une réforme de l’évaluation des frais professionnels sur une base forfaitaire légale ou conventionnelle qui aurait permis de sécuriser les entreprises et simplifier la gestion des dispositifs de télétravail.
Notes
1Source LBMG
2Arrêté du 20 décembre 2002 et circulaire du 7 janvier 2003
Auteurs
Delphine Pannetier, avocat counsel, droit du travail et droit de la sécurité sociale
Maïté Ollivier, avocat, droit social
Télétravail : une mise en œuvre simplifiée mais à quels coûts pour l’entreprise ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 18 mai 2018
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