Rupture du contrat de travail du directeur général d’une filiale
7 novembre 2018
Le directeur général de la société-mère dispose du pouvoir de licencier le directeur général d’une filiale même sans délégation de pouvoirs écrite.
Aux termes de l’article L.1232-6 du Code du travail, seul « l’employeur », c’est-à-dire le représentant légal de la personne morale ou, dans la pratique, un salarié ayant reçu une délégation de pouvoir à cet effet, est compétent pour notifier un licenciement.
Pour autant, l’employeur ne peut mandater une personne étrangère à l’entreprise pour notifier un licenciement. Qu’est-ce qu’une personne étrangère à l’entreprise ?
Le directeur général de la société-mère n’est pas une personne étrangère à l’entreprise
La Cour de cassation a déjà jugé à plusieurs reprises que le directeur général de la société-mère n’est pas une personne étrangère par rapport à la filiale qui procède au licenciement.
Ainsi, le directeur du personnel de la société-mère, engagé pour exercer ses fonctions au sein de la société et de ses filiales, n’est pas une personne étrangère à ces filiales. Il peut recevoir mandat pour procéder au licenciement d’un salarié employé par l’une de ses filiales, sans qu’il soit nécessaire que la délégation de pouvoirs soit donnée par écrit (Cass. Soc., 19 janvier 2005, n°02-45675). Il en va de même du directeur financier de la société-mère (Cass. Soc., 30 juin 2015, n°13-28146).
De la même manière, n’est pas une personne étrangère à l’entreprise dans laquelle il effectue sa mission, un salarié intérimaire dont la mission est de conseiller, d’assister et éventuellement de remplacer le directeur des ressources humaines de l’entreprise utilisatrice, ce dont il se déduit qu’il peut signer des lettres de licenciement (Cass. Soc., 2 mars 2011, n°09-67237).
En revanche, un expert-comptable est une personne étrangère qui ne saurait valablement procéder au licenciement d’un salarié, même avec un mandat exprès (Cass. Soc., 26 avril 2017, n°15-25204).
La solution est logique : le licenciement d’un salarié ne saurait être le produit d’une décision de principe qu’un prestataire extérieur à l’entreprise serait chargé de mettre en forme pour en assurer l’exécution. C’est à l’employeur décideur de s’impliquer dans le processus conduisant à la rupture du contrat de travail.
Le directeur général du groupe qui supervise les activités du directeur d’une filiale a pouvoir pour notifier son licenciement
Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 13 juin 2018 sont les suivants : le directeur général du groupe a donné des directives précises à l’ensemble des directeurs généraux des filiales, afin de leur imposer l’approbation préalable de tout engagement contractuel de plus de 20.000 euros par l’intermédiaire du directeur financier du groupe.
Or un des directeurs a violé de manière manifeste ces directives en signant un contrat de sponsoring avec un sportif engageant son employeur pour une durée de trois ans et pour un montant de 750.000 dollars, et ce sans respecter la procédure d’approbation préalable.
Le salarié est par la suite licencié pour faute grave, sa lettre de licenciement étant signée par le directeur général du groupe.
Le salarié a alors saisi la juridiction prud’homale, contestant la qualité du directeur général du groupe pour le licencier. Employé par la filiale, il aurait dû, selon lui, être licencié par le représentant légal de cette société.
La Cour de cassation répond par la négative au pourvoi du salarié, au motif que ce dernier a été valablement licencié par le directeur général de la société mère. Pour justifier sa position, elle relève notamment que ce dernier supervisait les activités du directeur de filiale, de sorte qu’il n’était pas une « personne étrangère » à la filiale.
Si la Cour de cassation juge de manière constante qu’un salarié ne saurait être licencié par une personne étrangère à la société, cet arrêt a le mérite d’apporter des précisions supplémentaires sur cette notion qui est entendue de manière restrictive dans les groupes de sociétés, les filiales étant par essence autonomes de la maison-mère.
Par conséquent, la Cour de cassation adopte ici une approche pragmatique.
Le directeur général de la société-mère n’a pas besoin de détenir une délégation de pouvoirs écrite
Enfin, la Cour de cassation rappelle par cet arrêt qu’il n’est pas nécessaire pour le représentant de l’employeur de détenir une délégation de pouvoirs écrite pour pouvoir licencier. En l’espèce, cette souplesse s’explique par le fait que la délégation de pouvoirs découlait des fonctions mêmes du délégataire. Par cette décision, la Cour de cassation a manifestement décidé de prendre en compte la réalité du fonctionnement de nombreux groupes de sociétés.
Auteurs
Caroline Froger-Michon,avocat associée, droit social
Madeleine Bénistan, juriste, droit social
Rupture du contrat de travail du directeur général d’une filiale – Article paru dans Les Echos Exécutives le 26 octobre 2018
Related Posts
Intégration fiscale : Réclamation tendant au rétablissement du résultat déf... 30 mai 2018 | CMS FL
Forfait jours : attention à l’autonomie du salarié... 8 mars 2023 | Pascaline Neymond
La modification de la rémunération par l’employeur autorise-t-elle encore la... 13 janvier 2015 | CMS FL
Le RGPD et les RH : comment présenter simplement ce qui semble compliqué ?... 30 août 2018 | CMS FL
PME : que changent les ordonnances Macron ?... 9 novembre 2017 | CMS FL
La délégation de pouvoir : de la nécessité d’identifier les attentes pour ... 14 mai 2018 | CMS FL
Courriels professionnels : l’absence de déclaration à la CNIL n’en rend pa... 23 août 2017 | CMS FL
La maladie du salarié, cause de rupture du contrat de travail... 31 décembre 2013 | CMS FL
Articles récents
- L’interprétation patronale inexacte d’une convention collective est-elle constitutive d’une exécution déloyale ?
- Une proposition de loi pour relancer l’encadrement de l’esport ?
- Gérant d’une société de l’UES : une fonction incompatible avec tout mandat représentatif au niveau de l’UES
- Sécurisation des différences de traitement par accord collectif, un cap à suivre
- L’obligation de vigilance du maître d’ouvrage ne s’étend pas au sous-traitant du cocontractant
- Prestations du CSE : fin du critère d’ancienneté au 31 décembre 2025
- Cession d’une filiale déficitaire : sauf fraude, l’échec du projet de reprise ne permet pas de rechercher la responsabilité de la société mère
- Repos hebdomadaire : la Cour de cassation consacre la semaine civile
- L’inviolabilité du domicile du télétravailleur
- En cas de refus par le salarié inapte d’un poste de reclassement, le médecin du travail doit être à nouveau consulté !
