La faute lourde : retour sur la notion de faute d’une extrême gravité

12 juillet 2022
Le 21 avril dernier, la Cour de cassation (Cass. soc., 21 avr. 2022, n°20-22.773) s’est prononcée favorablement sur la reconnaissance d’une faute lourde d’un salarié qui avait démarché des clients et fournisseurs travaillant avec la société qui l’employait, détourné des affaires en cours à son profit avec la complicité de fournisseurs et perçu des commissions ayant appauvri son employeur.
Cette décision est l’occasion de revenir sur les éléments constitutifs de cette faute d’une extrême gravité.
La faute lourde : de la nécessité de démontrer une intention de nuire
Lorsqu’un salarié commet une faute, de nombreuses mesures existent en droit du travail français visant à le sanctionner aux termes d’une procédure disciplinaire.
Il peut s’agir d’une faute légère, qui justifiera par exemple un avertissement, d’une faute susceptible de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, ou dans certains cas, d’une faute grave, rendant impossible la poursuite du contrat de travail même pendant la durée limitée du préavis, voire d’une faute lourde ; cette dernière correspondant à la sanction la plus importante qui puisse être prononcée à l’encontre d’un salarié.
Du fait de son importance et des conséquences notamment pécuniaires pour le salarié qui la commet, la reconnaissance d’une faute lourde est particulièrement encadrée et la preuve de la commission d’une telle faute repose sur l’employeur qui doit en justifier.
Le Code du travail ne prévoit pas de définition de la faute lourde mais y fait toutefois référence dans ses dispositions relatives à l’exercice du droit de grève.
L’article L. 2511-1 du Code du travail prévoit en effet que l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Le droit de grève étant particulièrement protégé en droit français, l’on comprend ainsi que la faute lourde est celle d’une extrême gravité.
C’est la jurisprudence qui a défini les contours de la faute lourde qui, pour être constituée, doit révéler une intention de nuire du salarié à l’encontre de l’entreprise et de l’employeur (Cass. soc., 29 novembre 1990 n°88-40.618 ; Cass. soc., 2 décembre 1998, n° 96-42.382)
Il revient ici à l’employeur de démontrer que le salarié a entendu lui nuire. Ainsi, la seule réalisation d’un acte préjudiciable à l’entreprise n’est pas suffisante pour caractériser une telle intention (Cass. soc. 8 février 2017, n°15-21.064).
La faute lourde est souvent retenue dans le cadre de violence physique et menace de mort envers l’employeur (Cass. soc. 4 juillet 2018, n°15-19.597) et, très souvent, dans à des situations de concurrence déloyale.
A titre d’illustration, la Cour de cassation a récemment pu considérer qu’était constitutif d’une faute lourde le fait pour un responsable des ressources humaines, par ailleurs actionnaire majoritaire d’une société tierce, d’avoir conclu à travers cette dernière, plusieurs contrats avec des sociétés clientes ou filiales de celle qui l’employait (Cass. soc., 10 févr. 2021, n° 19-14.315).
Ici, c’est en réalité le manquement à l’obligation de loyauté établissant la volonté de faire prévaloir son intérêt personnel sur celui de son employeur, qui caractérise l’intention de nuire.
Les conséquences de la faute lourde : une sanction devenue symbolique ?
La distinction entre les conséquences relatives à la faute lourde et celles relatives à la faute grave s’est, peu à peu, estompée.
Ainsi, tout comme la faute grave, la faute lourde peut justifier le licenciement du salarié sans préavis ni indemnité de rupture (C. trav. Art. L. 1234-1 et L. 1234-9) mais la différence tenait principalement à l’absence de versement d’une indemnité compensatrice de congés payés au salarié licencié pour faute lourde.
Toutefois, depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 2 mars 2016, le salarié licencié pour faute lourde n’est plus privé de l’indemnité compensatrice de congés payés, comme cela était le cas auparavant (Conseil constitutionnel, Décision n° 2015-523, QPC du 2 mars 2016).
En revanche, la faute lourde a pour conséquence de priver le salarié du bénéfice de la portabilité de la couverture de santé et de prévoyance (Article L.911-8 du Code de la sécurité sociale).
La distinction entre la faute grave et la faute lourde, là où, on l’a vu, la qualification de la seconde reste complexe, revêt de moins en moins d’intérêt, sauf à envisager une action judiciaire à l’encontre du salarié pour engager sa responsabilité pécuniaire.
En effet, selon la jurisprudence, seule la faute lourde permet d’engager la mise en cause de la responsabilité pécuniaire du salarié (Cass. soc., 25 janvier 2017, n°14-26.071)L’arrêt du 21 avril 2022 s’inscrit dans la droite ligne des arrêts déjà rendus par la Cour de cassation sur la faute lourde, d’autant plus que, en l’espèce, la faute lourde a été reconnue a posteriori d’une démission et n’avait donc d’autre objectif que d’engager la responsabilité pécuniaire de l’ancien salarié.
En l’espèce, un salarié responsable des ventes équipements production a démissionné en juillet 2012.
Un litige s’est alors noué entre la société et l’ancien salarié pour concurrence déloyale et parasitisme, et la société lui a réclamé des dommages et intérêts au titre d’agissements constitutifs d’une faute lourde, qui avaient privé la société de 1,3 millions d’euros au titre de commissions.
Pour reconnaitre la faute lourde, les juges du fond ont analysé les faits commis par l’ancien salarié et ont retenu un :
-
- Démarchage de clients et fournisseurs travaillant avec la société ;
-
- Détournement d’affaires en cours avec la complicité de fournisseurs de l’employeur ;
-
- Détournement de commissions dues à l’employeur à travers un système de commissionnement occulte pendant l’exécution du contrat de travail.
La Cour de cassation approuve ainsi la cour d’appel de Paris d’avoir déduit que ces agissements procédaient d’une intention de nuire caractérisant la faute lourde.
Néanmoins, la Cour casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris au motif que la société avait déjà été indemnisée de ce préjudice devant le tribunal de commerce à travers la condamnation de l’entreprise cliente et qu’elle ne pouvait l’être deux fois au titre du même préjudice tout en reconnaissant le principe de la faute lourde et la qualification éclairante retenue par les premiers juges.
Alors que le juge se montre souvent réticent à retenir l’intention de nuire du salarié nécessaire à la qualification de faute lourde, cet arrêt fournit une intéressante illustration des situations susceptibles de caractériser l’existence d’une telle faute.
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