Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Licenciement d’un salarié protégé : les contours du préjudice en cas de contentieux

Licenciement d’un salarié protégé : les contours du préjudice en cas de contentieux

En cas d’annulation d’une décision administrative ayant autorisé le licenciement d’un salarié protégé, celui-ci a droit au versement d’une indemnité tendant à indemniser le préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration.

Cependant, ce préjudice indemnisable ne comprend pas l’éventuel surcoût fiscal correspondant au versement en une seule fois de l’ensemble des salaires dus sur cette même période (Cass. soc., 6 avril 2022, n°20-22.918).

 

Principes d’indemnisation des salariés protégés réintégrés suite à l’annulation judiciaire du licenciement

Par une décision récente, la Cour de cassation a apporté des précisions relatives à l’indemnisation possible d’un salarié protégé licencié et pour lequel l’autorisation de licenciement avait été annulée par le juge administratif.

 

Le salarié protégé en raison d’un mandat syndical ou de représentation du personnel ne peut être licencié qu’après autorisation expresse de l’inspection du travail.

 

Celle-ci s’attache notamment à vérifier le respect de la procédure de licenciement, la cause du licenciement invoquée par l’employeur et l’absence de tout lien entre le mandat du salarié et le licenciement envisagé.

 

L’autorisation accordée par l’inspection du travail peut néanmoins faire l’objet d’une annulation par le juge administratif, que ce soit pour des motifs de légalité dite externe, c’est-à-dire liée pour l’essentiel à la procédure suivie par l’inspection du travail ou au formalisme de sa décision, ou des motifs de légalité interne, par exemple en considération du fait que le motif invoqué de licenciement ne justifie pas la rupture du contrat de travail.

 

Lorsque la décision d’autorisation du licenciement a été définitivement annulée par le juge administratif, l’article L. 2422-1 du Code du travail permet au salarié de solliciter sa réintégration au sein de l’entreprise dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.

 

Dans le cadre de cette réintégration, le salarié doit retrouver son poste ou, à défaut, un emploi équivalent.

 

Le licenciement prononcé est quant à lui réputé n’avoir jamais existé.

 

L’article L. 2422-4 du Code du travail ouvre en conséquence au salarié le droit à indemnisation du préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration. Le texte exprime une réparation de « la totalité du préjudice subi », ce qui vise donc une réparation intégrale de ce dernier, et non une réparation adéquate comme le prévoit le barème applicable au licenciement de salariés non protégés en cas de licenciement abusif (1).

 

La Cour de cassation a ainsi précisé que l’indemnité doit correspondre à la totalité du préjudice, tant matériel que moral, subi au cours de la période séparant le licenciement de la réintégration (Cass. soc., 12 novembre 2015, n°14-10.640).

 

Cette réparation intégrale du préjudice matériel subi par le salarié comprend l’obligation pour l’employeur de verser au salarié les salaires que celui-ci aurait dû percevoir sur la période considérée.

 

Cependant, puisque l’objectif est de réparer le préjudice réel du salarié, il est nécessaire de déduire de l’indemnité due au salarié les sommes que celui-ci a perçu durant la période précédant sa réintégration, qu’il s’agisse de revenus de remplacement (chômage, pension d’invalidité, etc.) ou de revenus professionnels (Cass. soc., 13 novembre 2008, 07-41.331 ; Cass. soc., 29 septembre 2014, n°13-15.733).

 

Pour autant, le licenciement étant réputé n’avoir jamais existé, l’évaluation du préjudice par le juge doit également tenir compte des indemnités de rupture qui n’auraient pas dû être perçues par le salarié. L’employeur est ainsi bien fondé à solliciter le remboursement de l’indemnité de licenciement versée au salarié (Cass. soc., 1er février 2017, n° 15-20.739).

 

Existence d’un potentiel préjudice fiscal

Malgré ces différentes possibilités de déductions, l’obligation de réparation intégrale du préjudice peut conduire au paiement d’une indemnité très importante, représentant plusieurs années de salaires. Cela est d’autant plus vraisemblable si la procédure judiciaire ayant conduit à l’annulation définitive de l’autorisation de licenciement a été longue et que le salarié n’a pas perçu d’autres revenus depuis son licenciement.

 

Pour le salarié, ce versement en une seule fois d’une indemnisation représentant plusieurs années de salaires peut avoir un effet sur son impôt sur le revenu.

 

En effet, au lieu d’être étalés dans le temps, les revenus sont concentrés sur une seule année fiscale, pouvant conduire à un surcoût d’impôt. On songe ainsi notamment au cas où les revenus de chaque année pris isolément auraient dû conduire à ce que le salarié ne soit pas imposable, mais qui, pris ensemble, conduisent à son imposition au titre d’une seule année.

 

Le salarié se retrouve donc potentiellement lésé financièrement. C’est pourquoi certains conseils ont développé des demandes spécifiques d’indemnisation de ce « préjudice fiscal », dont l’objectif est l’obtention de dommages et intérêts d’un montant égal au surplus d’impôt payé par le salarié.
Sur le plan des principes, une telle demande semblait aller de pair avec le principe de réparation intégrale du préjudice posé par l’article L. 2422-4 du Code du travail.

 

Rejet par la Cour de cassation de l’indemnisation du préjudice fiscal

Pour autant, par sa décision du 6 avril 2022, la Cour de cassation a, au contraire, retenu que ce «préjudice fiscal» n’était pas indemnisable.

 

La Haute Cour retient en effet que «les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l’indemnisation de la victime».

 

Autrement dit, il n’appartient pas au juge de tenir compte du régime fiscal de l’indemnisation allouée à la victime d’un dommage, ici le salarié licencié sur le fondement d’une autorisation annulée par le juge, pour évaluer son préjudice .

 

En cela, la chambre sociale de la Cour de cassation se conforme à la jurisprudence déjà rendue par les autres chambres civiles .

 

Le même attendu de principe avait en effet déjà été appliqué mot pour mot par la deuxième chambre civile (Cass. civ. 2e, 5 mars 2020, n°18-20.278) ou encore par la chambre commerciale (Cass. com., 27 mars 2019, n°17-26.646).

 

Cette application uniforme d’un même principe est parfaitement logique puisque chaque chambre ne fait en réalité qu’appliquer les principes posés par les articles 1240 (anciennement 1382) et 1241 (anciennement 1383) du Code civil qui posent le principe de la responsabilité individuelle : chacun n’est responsable que de ce qu’il a causé par son propre fait, par sa négligence ou par son imprudence.

 

Or, la soumission d’une indemnité à l’impôt sur le revenu n’est pas le fait de la partie condamnée mais s’impose à tous par l’effet de loi fiscale. L’employeur n’est ainsi pas responsable du régime d’imposition de l’indemnité versée au salarié réintégré. En conséquence, il ne saurait être condamné à réparer le préjudice qui en résulte.

 

Cette solution est donc pleinement logique et résulte de l’application au droit du travail des règles générales d’indemnisation du préjudice fixées par le Code civil. Elle a également le mérite de la simplicité puisque l’évaluation du préjudice fiscal implique de parvenir à reconstituer un montant théorique d’impôt qui aurait été payé par le salarié s’il n’avait pas été licencié, ce qui, en pratique, peut s’avérer particulièrement difficile et nourrir des débats techniques et complexes devant le juge.

 

Une inégalité de traitement fiscal et social entre salariés protégés et non-protégés au regard des dommages et intérêts pour préjudice moral ?

Cette décision est également l’occasion de s’interroger sur les conséquences du régime fiscal et social de l’indemnité versée au salarié protégé réintégré en termes d’égalité de traitement.

En effet, le troisième alinéa de l’article L. 2422-4 du Code du travail assimile la totalité de l’indemnité versée au salarié protégé à un complément salaire («Ce paiement s’accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire»).

 

Cette rédaction peut néanmoins être discutée. En effet, la somme versée au salarié en application de l’article L. 2422-4 du Code du travail vise non seulement le préjudice matériel du salarié, mais également son préjudice moral.

 

Pourtant, les dommages et intérêts alloués par un juge au titre d’un préjudice moral n’ont en principe pas la nature de salaire.

 

En effet, selon la doctrine administrative opposable aux URSSAF, les dommages et intérêts représentatifs d’un préjudice moral sont par principe exonérés de cotisations sociales (Bulletin officiel de la Sécurité sociale, Indemnités de rupture, § 1960 : «une somme représentative de dommages-intérêts indemnisant un préjudice autre que la perte de salaire peut être exclue de l’assiette des cotisations»).

 

De même, l’article 80 du Code général des impôts prévoit que les dommages et intérêts alloués par le juge en raison du préjudice moral sont exonérés d’impôt sur le revenu dans la limite d’un million d’euros.

 

Pourtant, par application stricte de l’article L. 2422-4 du Code du travail, la totalité de l’indemnisation versée au salarié protégé licencié puis réintégré est assimilée à du salaire et donc soumise à cotisations sociales, y compris donc pour sa part venant indemniser le préjudice moral du salarié.

 

Etant considéré comme du salaire, cette indemnité sera également intégralement soumise à impôt sur le revenu, y compris pour sa fraction représentative de dommages et intérêts pour préjudice moral.

 

Ainsi, en assimilant la totalité de l’indemnité versée au salarié à la suite de sa réintégration comme étant un complément de salaire, y compris pour sa fraction correspondant à la réparation du préjudice moral subi par le salarié, l’article L. 2422-4 du Code du travail conduit à traiter différemment au plan social et fiscal les dommages et intérêts alloués par un juge au titre du préjudice moral subi par le salarié, selon que celui-ci est ou non protégé.

 

Le salarié non-protégé pourra ainsi obtenir du juge des dommages et intérêts spécifiques pour préjudice moral, exonérés de cotisations et d’impôt, tandis que le salarié protégé pourra certes, lui aussi, obtenir du juge une indemnisation au titre de son préjudice moral mais celle-ci étant soumise aux prélèvements obligatoires, le montant net qu’il percevra sera donc moindre.

 

Cette situation est également pénalisante pour les entreprises qui supportent ainsi des cotisations patronales sur une somme qui aurait dû en principe être exonérée de cotisations si elle avait été allouée à un salarié non-protégé.

 

En somme, au regard de l’éventuel préjudice moral subi par le salarié et reconnu par le juge, tant l’entreprise que le salarié seront moins bien traités au plan social et fiscal, et ce du seul fait de la qualité de salarié protégé.

 

Cette inégalité du fait de la loi, qui s’accorde mal avec l’objectif de protection accordée aux représentants du personnel, mériterait donc d’être sérieusement discutée.

 

(1) Sauf cas de nullité du licenciement pour une des raisons visées par l’article L. 1235-3-1 du Code du travail (violation d’une liberté fondamentale, licenciement discriminatoire, etc.), auquel cas l’indemnisation du salarié n’est pas plafonnée et correspond au préjudice subi.

Print Friendly, PDF & Email