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Pas d’obligation de consultation du CSE lorsque l’avis d’inaptitude mentionne l’impossibilité de reclassement du salarié

Pas d’obligation de consultation du CSE lorsque l’avis d’inaptitude mentionne l’impossibilité de reclassement du salarié

Par un arrêt récent en date du 8 juin 2022 (n°20-22.500), la Cour de cassation se prononce pour la première fois concernant la procédure à suivre par l’employeur vis-à-vis du comité social et économique (CSE) en cas d’avis d’inaptitude d’un salarié dont le reclassement est reconnu impossible par le médecin du travail.

 

La Chambre sociale a tranché un débat jurisprudentiel qui animait les cours d’appel sur ce point, en précisant que, dans cette hypothèse, l’employeur n’a pas à consulter les représentants du personnel, en l’espèce les délégués du personnel, puisque les faits dataient de 2017 (la mise en place du CSE devant intervenir au plus tard le 31 décembre 2019). Aujourd’hui, cette solution paraît totalement transposable aux entreprises pourvues de CSE.

 

Pour rappel, lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, que cette inaptitude soit d’origine professionnelle ou non-professionnelle, l’employeur a l’obligation de lui proposer, après avis du CSE, un autre emploi approprié à ses capacités en tenant compte des préconisations du médecin du travail et des indications qu’il formule sur les capacités du salariés à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise (C. trav., art. L.1226-2 et L.1226-10) .

 

En cas d’impossibilité de reclassement, l’employeur (C. trav., art. L.1226-12 et L.1226-2-1) :

 

    • doit faire connaître par écrit au salarié inapte les motifs qui s’opposent au reclassement ;
    • peut rompre le contrat de travail du salarié inapte s’il justifie de son impossibilité de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités ou du refus par le salarié de l’emploi proposé.

 

 

C’est la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qui a introduit une nouvelle possibilité de rompre le contrat de travail du salarié déclaré inapte lorsque le médecin du travail a expressément mentionné dans son avis :

 

    • que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;
    • ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

 

A compter de l’entrée en vigueur des nouvelles règles issues de la loi Travail relatives à l’inaptitude, le 1er janvier 2017, s’est alors posée la question, dans le silence des textes, de la consultation du CSE (ou des anciens DP) dans cette hypothèse. C’est précisément à cette question que répond la Cour de cassation avec l’arrêt du 8 juin 2022.

 

Contexte légal et jurisprudentiel : évolution des textes et controverse jurisprudentielle

 

Avant le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur des dispositions la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relatives à l’inaptitude, l’employeur pouvait rompre le contrat de travail du salarié inapte, quelle que soit son origine, seulement en cas de d’impossibilité de reclassement laissée à sa seule appréciation.

La jurisprudence relative à l’inaptitude décidait que lorsque le médecin du travail avait conclu à une inaptitude à tout poste dans l’entreprise (Cass. soc. 29 mai 1991 n° 88-43.114) ou lorsque le reclassement du salarié était impossible, l’employeur avait l’obligation de requérir – en cas d’inaptitude d’origine professionnelle – l’avis des délégués du personnel afin que cette impossibilité de reclassement constatée par lui puisse être discutée par les représentants du personnel (Cass. soc. 11 juin 2008, n°06-45.537).

 

A compter du 1er janvier 2017, la procédure de l’inaptitude professionnelle et non-professionnelle a été unifiée et prévoit désormais des règles identiques concernant l’impossibilité de reclassement, qu’il s’agisse de l’obligation de consulter le CSE (ou à défaut les DP) ou de faire connaitre par écrit au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement.

 

En outre, cette impossibilité de reclassement peut désormais résulter également de l’avis du médecin du travail constatant (C. trav., art. L.1226-12 et L.1226-2-1) :

 

    • soit que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;
    • soit que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

 

Dans ces conditions, on pouvait s’interroger sur le point de savoir si l’obligation jurisprudentielle de consulter les DP ou le CSE en cas d’impossibilité de reclassement constatée par l’employeur avait également vocation à s’appliquer lorsque cette impossibilité de reclassement émanait du médecin du travail.

 

La réponse à cette question n’est pas sans incidence pour l’employeur. En effet, l’absence de consultation des DP ou du CSE constitue la violation d’une garantie substantielle privant le licenciement du salarié inapte de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 30 septembre 2020, n°19-11.974). En cas d’inaptitude d’origine professionnelle, ce manquement est sanctionné par le versement d’une indemnité spécifique en cas d’inaptitude professionnelle (C. trav. art., L.1226-15).

 

Une controverse jurisprudentielle donnant lieu à des décisions contradictoires des juges du fond est alors née :

 

    • certaines cours d’appels ont considéré que l’employeur est dispensé d’une obligation de consultation du CSE ou des DP dans cette hypothèse dès lors que cette impossibilité de reclassement est attestée par le médecin du travail (CA de Paris, 9 mars 2022, n°19/11868) ;
    • à l’inverse, d’autres Cours d’appel considéraient que l’employeur n’était pas dispensé de l’obligation de consultation du CSE dans cette hypothèse, par analogie avec l’hypothèse d’une impossibilité de reclassement résultant de la seule appréciation de l’employeur (CA de Bourges, 19 novembre 2021, n°21/00153).

 

La Cour de cassation est précisément venue trancher ce débat jurisprudentiel en excluant toute consultation du CSE lorsque l’avis du médecin du travail mentionne expressément, comme c’était le cas en l’espèce, que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

 

Apports de l’arrêt : un débat jurisprudentiel tranché

En l’espèce, une salariée avait été, à la suite d’un accident du travail, déclarée inapte à son poste par le médecin du travail dont l’avis mentionnait « L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Par la suite, celle-ci, licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, avait contesté son licenciement en reprochant notamment à l’employer le défaut de consultation des délégués du personnel.

 

La cour d’appel avait condamné l’employeur au versement de dommages-intérêts à la salariée en raison du défaut de consultation des délégués du personnel, au motif qu’indépendamment de l’origine de l’inaptitude l’employeur a l’obligation de solliciter l’avis du CSE, même en l’absence de possibilité de reclassement.

 

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa des articles L.1226-10 et L.1226-12 applicables à l’inaptitude d’origine professionnelle.

 

La Cour rappelle l’objet de chacun de ces textes :

 

    • l’article L.1226-10 impose à l’employeur de proposer au salarié inapte un emploi approprié à ses capacités après avis du CSE ou des DP ;
    • l’article L.1226-12 encadre notamment les conditions de rupture du contrat de travail, soit en cas d’impossibilité, de proposer un emploi, soit en raison du refus de l’emploi proposé par le salarié, soit du fait de la mention expresse dans l’avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout maintien dans un emploi.

 

En particulier, la Cour déduit de ce second texte qu’en cas de mention expresse par le médecin du travail, dans son avis, que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel.

Elle censure donc la décision des juges du fond.

 

Selon nous, cette solution se justifie au regard d’une interprétation téléologique des textes.

En effet, la consultation des représentants du personnel est pertinente en cas d’impossibilité de reclassement relevant de la seule appréciation de l’employeur dès lors que ses recherches de reclassement ont vocation à être contrôlées par ceux-ci.

A l’inverse, en cas d’impossibilité de reclassement constatée par le médecin du travail, l’employeur n’a pas à effectuer des recherches de reclassement, ce qui prive de tout objet la consultation des représentants du personnel sur ce point.

 

Portée de l’arrêt : une application aux seules impossibilités de reclassement constatées par le médecin du travail

Bien que le présent arrêt rendu par la Cour de cassation concerne les cas d’impossibilité de reclassement reconnus par le médecin du travail du salarié dont l’inaptitude est d’origine professionnelle, il ne fait aucun doute que cette solution a vocation à s’appliquer également en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle.

 

En revanche, cette solution ne concerne que les cas où l’employeur est dispensé de reclassement du fait de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

 

Lorsque l’impossibilité de reclassement résulte de la seule appréciation de l’employeur, qui estime qu’aucun poste disponible dans l’entreprise n’est susceptible d’être proposé au salarié compte tenu de ses capacités résiduelles, la consultation du CSE demeure requise.

 

L’employeur doit donc être vigilant dans l’interprétation de l’avis d’inaptitude et s’assurer que la formulation retenue par le médecin du travail correspond précisément aux mentions prévues par la loi.

 

Enfin, le raisonnement tenu dans cet arrêt par la Cour de cassation à propos de la consultation du CSE en cas de dispense de reclassement expressément mentionnée par le médecin du travail dans son avis, devrait également conduire à considérer que, dans un tel cas, l’employeur n’est pas davantage tenu de notifier par écrit au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement.

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