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Réserve spéciale de participation : le Conseil constitutionnel confirme l’impossibilité de remettre en cause le bénéfice fiscal

Réserve spéciale de participation : le Conseil constitutionnel confirme l’impossibilité de remettre en cause le bénéfice fiscal

La participation des salariés aux résultats de l’entreprise, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, permet à ces derniers de prendre part aux bénéfices de l’entreprise. De nature collective, son montant est déterminé par l’application d’une formule de calcul fixée par la loi, qui fait intervenir des notions économiques et comptables telles que le bénéfice de l’entreprise, le montant de ses capitaux propres, sa masse salariale ou encore la valeur ajoutée.

 

Par une décision rendue le 24 janvier 2024 (Décision n° 2023-1077 QPC du 24 janvier 2024, CSE Procter & Gamble Amiens) dans un dossier où Bruno Gibert, Associé de notre département fiscal, et nous même assistions les sociétés en défense, le Conseil constitutionnel confirme qu’une fois attesté par le commissaire aux comptes ou l’inspecteur des impôts, le bénéfice pris en compte pour calculer le montant de la participation ne peut être remis en cause.

 

Voulue par le général de Gaulle, la participation a été créée par l’ordonnance du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises. Ce mécanisme de partage de la valeur a pour objectif de redistribuer aux salariés une partie des bénéfices dégagés par l’entreprise, récompensant ainsi leur travail ayant permis à l’entreprise de réaliser ces mêmes bénéfices.

 

La participation est par nature collective et repose sur la constitution d’une réserve spéciale (dite «RSP»), au sein de laquelle est affectée une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise, cette réserve étant ensuite redistribuée entre les salariés en fonction de certains critères.

 

Le bénéfice réalisé provenant tant du travail des salariés que des rendements du capital, la fraction de bénéfice affectée à la réserve spéciale est calculée en fonction de la part du travail dans la valeur ajoutée réalisée par l’entreprise.

 

L’article L.3324-1 du Code du travail établit ainsi la formule de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP) de la façon suivante :

 

RSP = 1/2 (Bénéfice – 5% Capitaux propres) X Salaires / Valeur ajoutée

 

L’article L.3324-2 du Code du travail ne permet de déroger à cette formule de calcul que dans un sens plus favorable.

 

La notion de bénéfice telle qu’utilisée pour ce calcul est donc centrale.

 

L’article L.3324-1 du Code du travail pose à cet égard un principe très clair : le bénéfice en cause est celui « tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés ».

 

Autrement dit, il s’agit du bénéfice fiscal. Ce choix du législateur d’asseoir le calcul de la RSP sur le bénéfice fiscal, tel que déclaré à l’administration fiscale, est justifié à plusieurs égards.

 

D’une part, il s’agit d’une donnée aisément accessible et nécessairement déterminée chaque année par l’entreprise lors de la clôture de ses comptes.

 

D’autre part, ce choix permet d’asseoir le calcul de la participation sur une donnée objective et intangible, le bénéfice fiscal ne pouvant être remis en cause, sauf par l’administration fiscale à l’occasion d’un éventuel contrôle.

 

En faisant ce choix d’asseoir le calcul de la RSP sur le bénéfice fiscal, le législateur a donc totalement exclu qu’il puisse exister deux bénéfices nets différents, l’un qui serait pris en compte pour le calcul de l’impôt et l’autre pour le calcul des droits à participation : c’est ainsi le même bénéfice qui est commun tant pour le calcul de l’impôt que pour le calcul de la RSP.

 

Ce faisant, le choix du bénéfice fiscal comme base de calcul de la RSP assure la sécurité juridique à l’ensemble des acteurs, l’employeur comme ses salariés ; le montant du bénéfice utilisé pour le calcul de la RSP ne pouvant être remis en cause, ni par l’un, ni par les autres.

 

C’est précisément afin d’empêcher cette remise en cause que l’article L.3326-1 du Code du travail dispose :

 

«Le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application du présent titre.»

 

Ce texte pose ainsi deux principes :

 

Premièrement, le montant du bénéfice en cause doit faire l’objet d’une attestation de l’inspecteur des impôts, ou du commissaire aux comptes de l’entreprise.

 

Cette attestation a un but purement recognitif : elle ne fait ainsi qu’attester que le montant du bénéfice tel qu’il est pris en compte pour le calcul de la RSP est bien celui qui a été retenu pour le calcul de l’impôt sur les bénéfices de l’entreprise.

 

Le Tribunal des conflits confirme ainsi que l’objectif de cette attestation est de «garantir la concordance entre le montant du bénéfice déclaré à l’administration et celui utilisé par l’entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés» (Trib. conf., 11 décembre 2017, n°4104).

 

Deuxièmement, l’article L.3326-1 précité interdit de remettre en cause le montant de ce bénéfice net qui figure sur l’attestation du commissaire aux comptes lors d’un litige portant sur le calcul de la participation.

 

Par ce mécanisme, la loi garantit que la concordance entre le bénéfice fiscal et le bénéfice utilisé pour calculer la RSP sera bien assurée, y compris en cas de contentieux.

 

Ce bénéfice ne peut ainsi être remis en cause que par l’administration fiscale à l’occasion d’un contrôle de l’entreprise, sous le contrôle du juge de l’impôt, le juge administratif.

 

Cette concordance est d’ailleurs maintenue lorsque le montant du bénéfice fiscal est réévalué par l’administration fiscale.

 

L’article D.3325-4 du Code du travail dispose en effet que :

 

« La modification d’assiette du bénéfice net intervenue après la délivrance d’une attestation donne lieu à l’établissement d’une attestation rectificative établie dans les mêmes conditions que l’attestation initiale. » 

 

Autrement dit, lorsque l’administration fiscale modifie le montant du bénéfice net, une attestation rectificative du commissaire aux comptes est établie fixant le nouveau montant de bénéfice servant au calcul de la RSP.

 

Cette modification du bénéfice entraîne donc logiquement un nouveau calcul de la RSP, ce qu’a confirmé de longue date la Cour de cassation (Cass. soc. 10 mars 1998, n° 96-16.473, Bull. civ. V n° 125).

 

La loi n°2023-1107 du 29 novembre 2023 relative au partage de la valeur a consacré la nécessité de ce nouveau calcul au plan législatif.

 

Elle a ainsi introduit un article L.3326-1-1 du Code du travail qui dispose désormais (1).

 

« Lorsque la déclaration des résultats d’un exercice est rectifiée par l’administration ou par le juge de l’impôt, que les rectifications donnent lieu ou non à l’application de majorations, à des poursuites pénales ou à une convention judiciaire d’intérêt public, le montant de la participation des salariés au bénéfice de cet exercice fait l’objet d’un nouveau calcul tenant compte des rectifications apportées. »

 

Le mécanisme est donc clair :

 

    • la RSP est calculée sur le bénéfice fiscal ;
    • ce bénéfice fait l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes qui en garantit la concordance avec le bénéfice effectivement déclaré à l’administration fiscale ;
    • seule l’administration fiscale peut remettre en cause ce bénéfice à l’occasion d’un contrôle, ce qui donne lieu à un nouveau calcul de la RSP au profit des salariés ;
    • en revanche, il est interdit pour les salariés ou leurs représentants de remettre en cause d’eux-mêmes ce bénéfice.

 

Saisie de litiges initiés par des salariés, des comités sociaux et économiques (CSE) ou des organisations syndicales, la Cour de cassation a confirmé à de nombreuses reprises l’application de ce régime.

 

Elle juge ainsi depuis plusieurs décennies que la demande tendant à remettre en cause ce montant du bénéfice net devant le juge judiciaire est irrecevable (Cass. soc., 7 novembre 2001, n°00-12.216 ; Cass. soc., 8 décembre 2010, n°09-65.810).

 

Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé cette impossibilité de remise en cause du bénéfice fiscal y compris lorsque les requérants invoquent l’existence d’une fraude ou d’un abus de droit.

 

C’est le sens de la jurisprudence Wolters Kluwer (2) par lequel la Cour de cassation juge que  :

 

« le montant du bénéfice net devant être retenu pour le calcul de la réserve de participation qui avait été certifié par une attestation du commissaire aux comptes de la société dont les syndicats ne contestaient pas la sincérité ne pouvait être remis en cause dans un litige relatif à la participation, quand bien même l’action des syndicats était fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société ».

 

Après plusieurs réitérations de cette jurisprudence (3), le sujet semblait donc définitivement clos : il est impossible pour les salariés ou leurs représentants de remettre en cause le bénéfice fiscal servant de base de calcul de la RSP, quels que soient les moyens invoqués.

 

Pourtant, poursuivant la contestation de cette impossibilité, des syndicats et un comité social et économique en ont appelé au Conseil constitutionnel dans le cadre d’un litige ayant donné lieu à la décision du Conseil du 24 janvier 2024.

 

Avant que le Conseil Constitutionnel ne soit saisi, certains syndicats et l’un des CSE des sociétés en cause avaient vainement tenté d’écarter l’application de l’article L.3326-1 du Code du travail dans le cadre de différents dossiers dans lesquels nous assurions la défense des sociétés du Groupe Procter & Gamble.

 

Successivement, le tribunal judiciaire de Nanterre (jugement du 22 mai 2020) et la cour d’appel de Versailles (décision du 25 octobre 2022) ont considéré que l’action des demandeurs était irrecevable et cette dernière a refusé de transmettre la QPC à la Cour de cassation en raison de son absence de caractère sérieux.

 

Les requérants ont cependant à nouveau soulevé devant la Cour de cassation une nouvelle QPC à l’encontre de l’article L.3326-1 du Code du travail, en invoquant pour l’essentiel une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

 

Par une décision du 25 octobre 2023, la Cour de cassation a décidé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel estimant que le texte querellé pourrait être considéré comme portant une atteinte substantielle au droit au recours juridictionnel effectif.

 

Or, par sa décision du 24 janvier 2024, limpide et sans ambiguïté, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité de ce texte à la Constitution.

 

Il rappelle d’abord que l’attestation «a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l’administration fiscale et celui utilisé par l’entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation».

 

Néanmoins, il confirme que par cette disposition «le législateur a entendu éviter que les montants déclarés par l’entreprise et vérifiés par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge de l’impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d’établissement de l’impôt » et que ce faisant le législateur « a poursuivi un objectif d’intérêt général».

 

Autrement dit, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est de l’intérêt général de conserver à l’administration fiscale le monopole de l’éventuelle remise en cause du bénéfice fiscal.

 

Ce bénéfice servant de base de calcul à la RSP, il est donc légitime que la loi empêche les tiers à l’administration fiscale de pouvoir remettre en cause ce montant devant le juge de la participation.

 

Le Conseil rappelle également que ce monopole de contrôle l’administration fiscale se fait «sous le contrôle du juge de l’impôt», confirmant ainsi qu’une juridiction impartiale et indépendante puisse effectivement vérifier, après débat contradictoire, le montant du bénéfice net.

 

Ce rappel de l’intervention du juge fiscal n’est certainement pas anodin dès lors que le droit constitutionnel invoqué par les requérants était celui de l’existence d’un recours juridictionnel effectif.

 

Le Conseil constitutionnel juge ensuite que «l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers, contester et faire rectifier les montants déclarés par l’entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit liés à des actes de gestion». Il rappelle également que dans ce cas, une attestation rectificative est établie.

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelle que le bénéfice fiscal ayant servi pour le calcul de la RSP n’est pas intangible : l’administration fiscale peut le réévaluer, notamment en cas de fraude ou d’abus de droit.

 

Ce disant, le Conseil constitutionnel estime que les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif.

 

Le Conseil constitutionnel confirme donc finalement la solution d’équilibre mise en place par l’article L.3326-1 du Code du travail. Celui-ci permet d’assurer la sécurité juridique de l’ensemble des parties et, s’il limite effectivement les prétentions pouvant être développées devant le juge amené à statuer sur le montant de la RSP, cette atteinte n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi.

 

Une décision contraire, qu’elle soit de non-conformité à la Constitution de l’article L.3326-1 du Code du travail ou que le Conseil émette une réserve d’interprétation, aurait pu avoir des effets particulièrement néfastes pour les entreprises supposant une remise en cause judiciaire incessante du bénéfice net de même que de leurs actes de gestion relevant de la liberté d’entreprendre, qui auraient ainsi continuellement pu être débattus devant le juge judiciaire compte tenu de leur possible influence sur le montant du bénéfice net fiscal, et donc de la participation.

 

La décision du Conseil constitutionnel, en ce qu’elle constitue une décision équilibrée et protectrice de l’intérêt général, se doit donc d’être saluée.

 

AUTEURS

Vincent Delage, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Martin Perrinel, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Etant précisé que le législateur a, à l’occasion de cette loi, maintenu à l’identique l’article L.3326-1 du Code du travail déjà contesté par pas moins de quatre amendements de suppression, tous rejetés.
(2) Cass. soc., 28 février 2018, 16-50.015, Bull. civ., V n°36
(3) Par exemple Cass. soc., 6 juin 2018, n°16-24.566

 

 

 

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