En cas de refus par le salarié inapte d’un poste de reclassement, le médecin du travail doit être à nouveau consulté !
14 novembre 2025
Pour mémoire, en cas d’inaptitude du salarié, que celle-ci soit consécutive à un accident ou une maladie à caractère professionnel ou non, l’employeur doit :
⇒ chercher à reclasser le salarié dans le cadre d’uinaptitune recherche sérieuse et loyale d’un reclassement dans autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant ;
⇒ prendre en compte dans la proposition de reclassement, après avis du CSE, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications que ce dernier formule sur les capacités du salarié.
Seules dispensent expressément l’employeur de cette obligation de reclassement, les mentions expresses, dans l’avis du médecin du travail, indiquant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, qu’il s’agisse d’une inaptitude d’origine professionnelle ou non (Cass. soc., 12 février 2025, n° 23-22.612).
L’employeur ne pourra donc rompre le contrat de travail du salarié déclaré inapte que s’il justifie, soit de son impossibilité de proposer un emploi de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail, soit du refus par le salarié d’un tel emploi (C. trav. art. L.1226-2-1 al.2 et L.1226-12, al.2).
Pour permettre à l’employeur de licencier pour inaptitude un salarié ayant refusé un emploi de reclassement conforme aux prescriptions légales, sans poursuivre ses recherches de postes de reclassement adaptés, la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (dite « loi Travail ») a institué une présomption de bonne exécution de l’obligation de reclassement suivant laquelle l’employeur est présumé avoir rempli son obligation de reclassement s’il propose un emploi approprié aux capacités du salarié, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé et conforme aux préconisations du médecin du travail (C. trav., art. L.1226-2-1, al.3 ; art. L.1226-12, al.3).
Il s’agit néanmoins d’une présomption simple puisque le salarié peut apporter la preuve contraire s’il établit que l’employeur n’a pas exécuté son obligation loyalement (Cass. soc. 4 septembre 2024, n°22-24.005).
Dans l’arrêt commenté (Cass. soc., 22 octobre 2025, n°24-14.641), la Cour de cassation se prononce sur la portée de cette présomption en cas de contestation par le salarié de la compatibilité du poste de reclassement proposé avec les préconisations du médecin du travail.
Faits d’espèce
En l’espèce, un salarié, engagé en qualité de monteur vendeur, avait été placé en arrêt de travail à la suite d’une maladie professionnelle prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Il a ensuite été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, qui précise néanmoins dans son avis d’inaptitude que le salarié « peut occuper un poste de vendeur ; peut occuper un poste sans gestes répétitifs des membres supérieurs et sans gestes « bras au-dessus de la ligne horizontale des épaules ».
Par la suite, l’employeur avait, par un courrier, informé le médecin du travail qu’un poste de vendeur, respectant ses préconisations, allait être proposé au salarié.
Ce dernier avait toutefois refusé le poste au motif qu’il n’était pas, selon lui, compatible avec les préconisations du médecin du travail.
Se prévalant des dispositions faisant présumer le respect son obligation, l’employeur avait procédé au licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement du salarié, lequel avait alors saisi la juridiction prud’homale afin de contester la rupture de son contrat.
La cour d’appel lui avait donné raison, considérant :
-
- qu’il n’était pas établi que le poste de vendeur avait été validé par le médecin du travail au vu d’un descriptif précis du poste ;
-
- que le contenu de l’échange avec l’employeur visé par l’avis d’inaptitude n’était pas connu ;
-
- et que l’employeur, dans son courrier au médecin du travail l’informant qu’il allait, conformément aux préconisations contenues dans l’avis d’inaptitude, proposer le poste de vendeur au salarié, ne « précise aucunement les tâches accomplies par un vendeur » relève la cour.
Elle en avait conclu que l’employeur aurait dû consulter le médecin du travail à la suite du refus de ce poste par le salarié.
A l’appui d’un pourvoi en cassation, l’employeur a fait valoir, notamment, qu’il n’était pas tenu de consulter à nouveau le médecin du travail en cas de refus du poste par le salarié dès lors que le médecin avait été tenu informé de la proposition de poste et que, en l’absence de réaction de sa part, l’employeur avait satisfait à son obligation de reclassement.
Il avançait également que la cour d’appel aurait dû rechercher par elle-même si la proposition d’un poste de vendeur faite au salarié avait été loyale et si ce poste constituait, compte tenu des préconisations et indications du médecin du travail, un emploi approprié aux capacités du salarié, aussi comparable que possible à l’emploi de monteur vendeur précédemment occupé.
La chambre sociale de la Cour de cassation était ainsi amenée à se prononcer sur le point de savoir si – en cas de contestation par le salarié de la compatibilité du poste avec les préconisations du médecin du travail – le fait que l’employeur ait informé préalablement le médecin du travail qu’il allait proposer un poste sur lequel le médecin du travail avait envisagé le reclassement, permettait en l’absence de réaction de ce dernier, de considérer que l’employeur avait respecté son obligation de reclassement ?
Solution rendue
La Cour de cassation répond par la négative à cette dernière question et exige que l’employeur procède à une nouvelle consultation du médecin du travail.
En effet, la Cour :
⇒ tout en rappelant le principe de la présomption de bonne exécution du reclassement en ces termes « (…) lorsque l’employeur a proposé un emploi conforme aux dispositions de l’article L.1226-10 du code du travail, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail, l’obligation de recherche de reclassement est réputée satisfaite » ;
⇒ précise toutefois que « (…) lorsque le salarié conteste la compatibilité de l’emploi proposé avec les recommandations du médecin du travail émises dans l’avis d’inaptitude, il appartient à l’employeur de solliciter à nouveau l’avis de ce dernier».
Pour justifier cette solution, la chambre sociale se fonde sur les constatations de la cour d’appel qui a examiné si le poste de vendeur avait effectivement été validé par le médecin du travail.
Or, la Cour de cassation relève que, suivant les constatations de la cour d’appel :
- « (…) le médecin du travail n’avait pas validé le poste de vendeur au vu descriptif précis des tâches à accomplir» que le contenu d’un échange ayant eu lieu entre l’employeur et le médecin du travail n’était pas connu et, enfin, que « la lettre du 17 octobre 2019 dans laquelle l’employeur prétendait que le poste de vendeur était conforme à ses recommandations ne précisait pas les tâches du vendeur ». Pour toutes ces raisons, le poste de reclassement proposé ne pouvait donc être considéré comme ayant été préalablement validé par le médecin du travail.
- elle en déduit qu’à défaut de validation préalable par le médecin du travail du poste proposé, il incombait à l’employeur, « au regard des contestations émises par le salarié quant à la compatibilité du poste proposé avec son état de santé (…) de solliciter un nouvel avis du médecin du travail».
La Cour de cassation conclut dès lors que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement et que, en conséquence, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.
Portée de la solution
La Cour de cassation considère qu’en cas de contestation par le salarié de la compatibilité du poste proposé avec les préconisations médicales, l’employeur doit solliciter un nouvel avis du médecin du travail sans pouvoir se prévaloir de la présomption de bonne exécution du reclassement.
Dans cette hypothèse, le médecin du travail devrait alors se prononcer sur cette compatibilité du poste proposé avec ses préconisations et ce n’est qu’en cas de confirmation par ce dernier que l’employeur pourra procéder au licenciement pour inaptitude du salarié qui maintient son refus d’accepter le poste.
Cette solution n’est pas totalement nouvelle. En effet, la Cour de cassation avait déjà rendu des décisions en ce sens avant l’entrée en vigueur des dispositions instaurant la présomption de respect de l’obligation de reclassement (en vigueur depuis le 1er janvier 2017) en imposant à l’employeur de solliciter à nouveau l’avis du médecin du travail si le salarié contestait la compatibilité du poste de reclassement avec ses recommandations (Cass. soc. 6 février 2008, n°06-44.413 ; Cass. soc. 7 décembre 2017, n°16-21.814 ; Cass. soc. 4 novembre 2021, n°20-17.316).
Une question demeure cependant : si le médecin du travail avait validé le poste sur la base d’un descriptif précis, conservé par l’employeur, ce dernier aurait-il dû malgré tout solliciter un nouvel avis en cas de contestation du salarié ?
La solution retenue dans cet arrêt semble porter à répondre par la négative, rejoignant ainsi une position adoptée dans un arrêt non publié du 27 mars 2019 (Cass. soc., 27 mars 2019, n°17-27.986).
AUTEURS
Astrid Duboys-Fresney, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
Léo Yamine, stagiaire au sein de la Doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre Avocats
A LIRE ÉGALEMENT
Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur (Aurore Friedlander, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats)
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