La rupture du contrat de travail pour inaptitude après refus d’une proposition de reclassement
8 avril 2024
Le refus par le salarié déclaré inapte d’un poste proposé en reclassement par l’employeur dans les conditions prévues par la loi et prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail constitue depuis la loi de 2016 une cause réelle et sérieuse de licenciement, sans que l’employeur soit tenu de faire d’autres propositions de reclassement.
Avec l’arrêt du 13 mars 2024 (Cass. soc., 13 mars 2024, n°22-18.758), la Cour de cassation poursuit sa longue série d’arrêts rendus depuis deux ans sur l’interprétation des dispositions issues de la loi du 8 août 2016 ayant modifié les dispositions légales relatives à l’inaptitude physique du salarié et elle fait ressortir que ces dispositions ont profondément renouvelé le régime juridique applicable à l’inaptitude.
Était cette fois en cause la rupture du contrat de travail pour inaptitude d’une salariée après que celle-ci a refusé une proposition de reclassement (apparemment) conforme aux préconisations du médecin du travail.
Une salariée, occupée en qualité d’employée commerciale, et placée en arrêt de travail pour maladie, avait été déclarée inapte à son poste de travail et à tout poste à temps complet, le médecin du travail recommandant un poste à mi-temps, sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges, ce qu’il avait confirmé dans un avis ultérieur dans les mêmes termes.
Après consultation des délégués du personnel, l’employeur avait donc transmis une proposition de reclassement sur un poste de caissière à mi-temps à la salariée qui l’a refusée, en sorte que l’intéressée a été licenciée pour inaptitude.
La salariée ayant saisi la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé de son licenciement, la cour d’appel a accueilli sa demande et dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, après avoir relevé que la salariée avait refusé la proposition de reclassement en raison d’une baisse de rémunération et retenu que la salariée pouvait légitimement refuser le poste proposé qui entraînait -par la baisse de rémunération qu’il générait – une modification de son contrat de travail.
La décision est censurée par la Cour de cassation pour violation des articles L.1226-2-1 et L.1226-2 du Code du travail au motif qu’il ressortait des constatations de la cour d’appel que l’employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et que celle-ci l’avait refusé.
On pourrait s’en tenir là car la solution est parfaitement claire par elle-même et n’appelle guère de commentaire en apparence, mais l’arrêt donne l’opportunité de revenir sur les dispositions légales issues de la loi de 2016, expressément rappelées par la Cour de cassation dans sa motivation, pour mesurer en quoi elles ont modifié le droit positif applicable à la situation en cause.
I – Les règles applicables avant la loi du 8 août 2016 en cas de refus d’une proposition de reclassement par un salarié déclaré inapte
Avant 2016, le Code du travail ne comportait aucune disposition sur les causes de rupture du contrat de travail du salarié déclaré inapte pour une cause d’origine non professionnelle mais l’article L.1226-12 du code régissant l’inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle disposait que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de l’impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L.1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions ; et on pouvait penser que la règle était transposable à l’inaptitude d’origine non professionnelle, de sorte que le refus d’un poste proposé par l’employeur à un salarié déclaré inapte était bien une cause possible de rupture, mais à quelles conditions ?
La jurisprudence aurait pu déjà décider comme pouvait paraître le lui suggérer l’article L.1226-12 que le seul refus par le salarié de l’emploi proposé et répondant aux exigences légales des articles L.1226-2 (inaptitude d’origine non professionnelle) ou L.1226-10 (inaptitude d’origine professionnelle) constituait une cause légitime de rupture. Mais telle n’était pas sa position.
Il était jugé de manière constante que le refus par un salarié d’un poste proposé par l’employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n’implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation (Cass. soc., 29 novembre 2006, n°05-43.470) et que ne peut constituer en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus par le salarié du poste de reclassement proposé par l’employeur en application de l’article L.1226-2 du Code du travail lorsque la proposition de reclassement emporte modification du contrat de travail ou des conditions de travail (Cass. soc., 26 janvier 2011, n°09-43.193).
Dans une telle hypothèse, était-il ajouté par la jurisprudence, le salarié étant en droit de refuser le poste de reclassement proposé, il appartient à l’employeur de tirer les conséquences d’un tel refus, soit en formulant de nouvelles propositions, soit en procédant au licenciement de l’intéressé au motif de l’impossibilité de reclassement ; et le caractère abusif d’un refus, à le supposer établi, a pour seule conséquence de lui faire perdre au cas d’inaptitude d’origine professionnelle le bénéfice des indemnités spécifiques de rupture prévues par l’article L.1226-14 du Code du travail (Cass. soc., 25 mai 2011, n°09-71.543).
Partant, la seule limite à l’obligation de reclassement de l’employeur, qui ne pouvait donc résider dans le (seul) refus par le salarié d’un ou des postes proposés par l’employeur consistait dans l’absence de tout poste disponible, dans l’entreprise ou le groupe auquel appartenait éventuellement l’entreprise, compatible avec l’inaptitude de l’intéressé (Cass. soc., 30 novembre 2010, n°09-66.687), sachant que c’est à l’employeur tenu de l’obligation de reclassement qu’il appartient de justifier de l’absence de poste disponible.
Il s’en déduisait que le licenciement consécutif au refus par un salarié déclaré inapte du poste qui lui avait été proposé en reclassement était bien souvent jugé sans cause réelle et sérieuse, faute pour l’employeur de pouvoir justifier de l’absence de toute autre possibilité de reclassement compatible avec l’inaptitude de l’intéressé, même si une évolution de jurisprudence était intervenue en 2016 dont il résultait que l’employeur, après un premier refus de poste, peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte par le médecin du travail pour justifier qu’il n’a pu, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités aux termes d’une recherche sérieuse (Cass. soc., 23 novembre 2016, n°15-18.092 ; n°12-26.398 ; n°14-26.326).
Est-ce de cette jurisprudence constante sur le licenciement consécutif au refus par un salarié inapte d’un poste proposé en reclassement dont la cour d’appel en l’espèce a entendu faire application ?
On peut le supposer même si la cour d’appel, pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse se bornait à retenir, après avoir constaté précisément que le poste à mi-temps proposé par l’employeur était rigoureusement conforme aux préconisations réitérées du médecin du travail, que la salariée pouvait légitimement refuser le poste proposé dès lors qu’il entraînait une modification de son contrat de travail par la baisse de rémunération qu’il générait.
La salariée ne pouvait, certes être tenue d’accepter une modification de son contrat de travail, ce qui en toute hypothèse légitimait son refus du poste proposé, mais cela ne suffisait pas à rendre illicite le licenciement pour impossibilité de reclassement sauf à ce qu’il soit démontré que d’autres postes de reclassement étaient disponibles qui auraient dû lui être proposés, ce que ne retient pas la cour d’appel dans ses motifs, à moins que ce ne soit sous-entendu.
Quoi qu’il en soit, l’état du droit applicable en la matière a changé avec la loi du 8 août 2016, ce qui a justifié la cassation de la décision de la cour d’appel et mérite désormais qu’on s’y arrête.
II – La satisfaction de l’obligation de reclassement en cas de proposition par l’employeur d’un emploi de reclassement répondant aux exigences légales
La loi de 2016 a sensiblement modifié le régime applicable à l’inaptitude.
Sans toucher à proprement parler au contenu de l’obligation de reclassement, si ce n’est sur le périmètre de l’obligation, elle a d’abord harmonisé les règles applicables à l’inaptitude d’origine non professionnelle et à l’inaptitude d’origine professionnelle en faisant désormais précéder la proposition d’un poste de reclassement dans la première hypothèse de l’avis du comité social et économique et en prévoyant, dans la première hypothèse (inaptitude d’origine non professionnelle) les cas de rupture du contrat de travail du salarié déclaré inapte, dont le refus par le salarié du poste proposé.
Mais surtout, elle a ajouté pour l’avenir dans les deux hypothèses que l’obligation de reclassement est satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 (ou l’article L.1226-10), en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
Or, la combinaison de ces dispositions légales, expressément reprises et explicitées par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 mars 2024 en tête de sa motivation changent fondamentalement les choses par rapport à l’état du droit antérieur tel qu’interprété par la Cour de cassation.
Désormais :
⇒ il revient à l’employeur de proposer au salarié déclaré inapte par le médecin du travail un emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail, la proposition prenant en compte, après avis du comité social et économique lorsqu’il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise ;
⇒ l’employeur ne peut rompre le contrat que s’il justifie, notamment, du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions ;
⇒ l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues légalement, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.
La Cour de cassation explicite ainsi la combinaison de ces dispositions : il en résulte que l’employeur peut licencier le salarié s’il justifie du refus par celui-ci un emploi proposé dans les conditions prévues par la loi, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l’obligation de reclassement est réputée satisfaite.
Ces dernières dispositions peuvent paraître redondantes : la proposition de reclassement doit prendre en compte les conclusions du médecin du travail pour répondre aux exigences légales ; l’obligation de reclassement est satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi dans ces conditions…en prenant en compte l’avis et les conclusions du médecin du travail.
Il n’y a pourtant pas bégaiement du législateur. C’est une manière d’inciter l’employeur à revenir devant le médecin du travail pour s’assurer de la compatibilité de sa proposition avec les préconisations de celui-ci.
Il résulte ainsi des nouvelles dispositions légales, et notamment du nouvel article L.1226-2-1 du Code du travail (l’employeur ne peut rompre que s’il justifie du refus de l’emploi proposé, l’obligation est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi dans les conditions prévues) que le refus par le salarié d’un poste de reclassement proposé conformément aux préconisations du médecin du travail constitue désormais une cause réelle et sérieuse (objective) de licenciement.
Or, dans le cas de l’espèce, selon les constatations de la cour d’appel, le médecin du travail avait déclaré, le 4 janvier, la salariée inapte à son poste de travail et à tout poste à temps complet avec possibilité de reclassement sur un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges, avis qu’il a confirmé le 4 février ; le 7 février, l’employeur avait sollicité l’avis des délégués du personnel ; le 8 février l’employeur avait proposé à la salariée un poste de caissière à mi-temps ; il l’a ensuite avisée de l’absence d’objection du médecin du travail puis de l’accord de celui-ci à cette proposition. Et la salariée a refusé la proposition.
Par suite, en disant le licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu’il résultait de ses constatations que l’employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, et que celle-ci avait refusé, la cour d’appel a violé les articles L.1226-2 et L.1226-2-1 du Code du travail.
Il importe toute de même pour conclure de rappeler qu’il y a tout de même une limite non négligeable à la satisfaction de l’obligation de reclassement en cas de proposition par l’employeur d’un emploi de reclassement répondant aux exigences légales à un salarié déclaré inapte.
Elle avait été formulée de la manière suivante par la Cour de cassation dans un précédent arrêt : « La présomption (de satisfaction) instituée par le texte légal ne joue que si l’employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. » (Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-20.369, JCPS, 2022, n°1074, note J-Y Frouin).
Dans le cas de l’espèce, un poste de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail avait bien été proposé au salarié mais un autre poste disponible plus pratique pour le salarié et réclamé par celui-ci ne lui avait pas été proposé sans consultation du médecin du travail sur la compatibilité de ce dernier poste avec l’état de santé du salarié.
Et la Cour de cassation, après avoir rappelé la règle ci-dessus sur la loyauté de l’obligation de reclassement, a approuvé les juges du fond d’avoir décidé que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement.
Par conséquent, pour que l’obligation de reclassement soit effectivement satisfaite, encore convient-il que le poste proposé, si plusieurs postes de reclassement sont disponibles et compatibles avec l’état de santé du salarié, soit le plus susceptible de recueillir l’agrément du salarié.
Ou si l’on veut exprimer les choses autrement : l’employeur doit se garder de proposer en reclassement un poste d’un accès compliqué pour le salarié, même conforme aux préconisations du médecin du travail, si un autre poste disponible peut mieux lui convenir.
AUTEUR
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