L’accord conclu dans le périmètre d’une UES est un accord d’entreprise
5 avril 2024
Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation décide, dans un arrêt du 13 mars 2024, que l’accord conclu dans le périmètre d’une unité économique et sociale «UES» est un accord d’entreprise (Cass. soc. 13 mars 2024, n°22-14.004).
Après avoir jugé, par un arrêt du 6 mars 2024 (Cass. soc. 6 mars 2024, n°22-13.672), que l’accord de configuration de l’UES n’est pas un accord interentreprises de sorte que toutes les organisations syndicales représentatives au sein des entités composant l’UES ont vocation à participer à sa négociation, la Cour de cassation poursuit sa construction jurisprudentielle concernant l’UES dont le régime juridique n’a jamais été pleinement défini par le législateur. (1)
L’affaire et sa solution
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation, un salarié engagé par un contrat de travail à durée indéterminée intermittent, prévoyant alternativement des périodes travaillées et non travaillées pour une durée annuelle minimale de 120 heures, avait saisi la juridiction prud’homale postérieurement à son licenciement pour demander la requalification de son contrat en contrat de travail à temps plein au motif que les dispositions légales encadrant le recours au contrat de travail intermittent n’avaient pas été respectées.
Pour rappel, en effet, l’article L.3123-31, devenu L.3123-33 du Code du travail depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, dispose que «Des contrats de travail intermittent peuvent être conclus dans les entreprises couvertes par une convention ou par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche étendu qui le prévoit.»
A l’appui de sa demande, le salarié faisait valoir que l’accord sur lequel se fondait le recours au travail intermittent, conclu au niveau de l’UES constituée entre sept entreprises appartenant au même groupe, constituait en réalité un accord de groupe qui ne permettait pas de recourir au travail intermittent.
En effet, à l’époque des faits, les dispositions qui assimilent l’accord de groupe à l’accord d’entreprise, n’étaient pas encore entrées en vigueur (C. trav., art. L.2232-11, modifié par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018).
Pour prononcer la requalification du contrat de travail intermittent du salarié en un contrat à durée indéterminée à temps complet, la cour d’appel avait retenu que :
⇒ l’accord en cause a été signé par sept sociétés du groupe de sorte qu’il ne saurait être considéré autrement que comme un accord de groupe dès lors qu’il engage plusieurs employeurs distincts ;
⇒ ce qui exclut, quand bien même ces derniers appartiendraient à une même unité économique et sociale, qu’il puisse s’agir d’un accord d’entreprise ou d’établissement.
La société s’étant pourvue en cassation, la Haute juridiction rappelle tout d’abord que :
⇒ aux termes de l’article L.2322-4 du Code du travail (devenu l’article L.2313-8) : «Lorsqu’une unité économique et sociale regroupant cinquante salariés ou plus est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un comité d’entreprise commun est obligatoire» ;
⇒ selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les notions de groupe et d’unité économique et sociale sont incompatibles, sauf si leurs périmètres respectifs sont distincts (Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60.398 ; Cass. soc., 30 mai 2001, n°00-60.111).
La Cour de cassation censure donc la décision des juges du fond qui avaient retenu que l’accord conclu au niveau de l’UES était un accord de groupe en énonçant clairement que «l’accord collectif conclu dans le périmètre d’une unité économique et sociale est un accord d’entreprise.»
L’employeur avait donc la possibilité de recourir à l’accord collectif négocié au niveau de l’UES pour établir des contrats de travail intermittents.
La portée de la décision
Jusqu’à présent, en l’absence de jurisprudence, la doctrine était divisée sur le point de savoir si l’accord conclu dans le périmètre de l’UES constituait un accord d’entreprise, un accord de groupe, voire un accord interentreprises depuis la consécration de ce dernier par la loi dite «Travail» n°2016-1088 du 8 août 2016.
En effet, si l’administration retenait depuis 2004 que «les accords collectifs négociés et conclus, au sein d’une unité économique et sociale reconnue, par les organisations syndicales représentatives ayant procédé à la désignation d’un délégué syndical dans ce cadre, sont soumis au régime des conventions et accords d’entreprise, ainsi qu’à leurs conditions de validité» (circulaire du 22 septembre 2004, fiche n°5, point 1), le Code du travail ne contenait jusqu’en 2017 aucune disposition relative à la nature de l’accord d’UES ou ses conditions de validité.
Avec les ordonnances de septembre 2017, le Code du travail a, pour la première fois, qualifié d’accord d’entreprise, l’accord conclu au niveau de l’UES pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place d’un comité social et économique (C. trav. art L.2313-8 alinéa 3).
On pouvait toutefois se demander si cette qualification concernait de manière générale toute négociation menée au niveau de l’UES.
Bien que cette décision ait été rendue sur une situation antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 qui a instauré les accords interentreprises dans le Code du travail, il semble que la Cour de cassation ait entendu mettre fin aux incertitudes relatives à la nature juridique de l’accord collectif conclu dans le périmètre de l’UES, en décidant, pour la première fois à notre connaissance :
-
- que l’accord collectif conclu dans le périmètre d’une UES est un accord d’entreprise ;
-
- même si les entreprises qui composent cette UES appartiennent à un groupe.
Ainsi, ni l’accord conclu dans le périmètre de l’UES, ni l’accord de configuration de l’UES (Cass. soc., 6 mars 2024), ne sont des accords interentreprises.
Compte-tenu de ces décisions, le champ de l’accord interentreprises, instauré par le législateur en 2016, semble réduit à portion congrue et se limiter uniquement aux négociations entre des entreprises qui n’ont aucun lien entre elles, ni juridique (UES), ni capitalistique.
Cela pourrait notamment concerner des entreprises d’un même secteur géographique ou d’un même secteur d’activité (zone industrielle, centres commerciaux, etc.), ou encore des réseaux de franchisés, qui souhaiteraient définir entre elles un statut collectif commun.
On notera, enfin, que la qualification d’accord d’entreprise ou d’accord interentreprises ne présente pas d’intérêt particulier s’agissant de l’appréciation des conditions de validité de l’accord : en effet, dans les deux cas, l’audience syndicale s’apprécie par addition des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives dans l’ensemble des entreprises ou établissements compris dans le périmètre de l’accord.
En revanche, l’assimilation de l’accord d’UES à un accord d’entreprise présente un intérêt non négligeable en ce qui concerne la faculté de déroger aux accords de branche.
En effet, si cette faculté est expressément reconnue aux accords d’entreprise, mais aussi aux accords de groupe et aux accords d’établissement, assimilés à l’accord d’entreprise par l’article L.2232-11 du Code du Travail, elle n’est pas prévue pour les accords interentreprises.
En reconnaissant que l’accord conclu au niveau de l’UES est un accord d’entreprise, la Cour de cassation reconnait à cet accord la faculté de déroger à l’accord de branche dans tous les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive ou de sa primauté.
Avec cette décision, le régime juridique de la négociation au sein d’une UES continue de se préciser.
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