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L’interprétation patronale inexacte d’une convention collective est-elle constitutive d’une exécution déloyale ?

L’interprétation patronale inexacte d’une convention collective est-elle constitutive d’une exécution déloyale ?

La décision est inédite : une organisation patronale de branche qui adopte une interprétation considérée comme erronée d’une stipulation de la convention collective nationale et qui diffuse cette interprétation auprès de ses adhérents au moyen de notes explicatives engage sa responsabilité pour exécution déloyale de la convention.

 

C’est ce qu’a jugé, le 2 décembre 2025, le tribunal judiciaire de Paris à propos de l’interprétation faite par l’Union des Industries des Métiers de la Métallurgie (UIMM) de l’article 140 de la convention collective nationale conclue le 7 février 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, relatif aux salaires minima hiérarchiques (SMH).

 

L’organisation patronale faisait savoir que cet article se comprenait comme induisant d’inclure dans l’assiette de détermination des salaires minima hiérarchiques la prime d’ancienneté mise en place par l’entreprise ainsi que les contreparties salariales liées à des organisations ou des conditions particulières de travail (TJ Paris, 2 décembre 2025, n°25/08553).

 

Des organisations syndicales contestaient cette interprétation et, après avoir saisi la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation (CPPNI), qui n’a rendu aucun avis ni avenant interprétatif, ont décidé de porter la question devant le tribunal judiciaire.

 

Ce dernier a convenu que l’interprétation de l’organisation patronale était exacte en ce qui concerne l’exclusion de la seule prime d’ancienneté mise en place dans la branche de l’assiette de calcul des SMH. Mais il a estimé qu’elle était erronée s’agissant de l’exclusion des contreparties salariales liées à des organisations ou à des conditions particulières de travail.

 

Et il a jugé que la diffusion de cette interprétation erronée auprès des adhérents caractérisait une exécution déloyale de la convention collective nationale au regard des dispositions de l’article L.2262-4 du Code du travail qui prescrit aux organisations de salariés et d’employeurs de ne rien faire qui soit de nature à compromettre l’exécution loyale de la convention ou de l’accord.

 

Sans se préoccuper ici de la question de l’interprétation de la stipulation en cause, c’est la réprobation d’une exécution déloyale de la convention collective qui déconcerte.

 

Il est douteux, en droit, que l’article L.2262-4 qui se rapporte, dans le Code du travail, aux effets de l’application des conventions et accords et, plus précisément, aux obligations d’exécution ait la portée que le tribunal lui donne pour sanctionner, sur la base de ce texte, une interprétation considérée comme erronée de la convention. Interpréter n’est pas exécuter ni compromettre l’exécution.

 

Il est très hasardeux, en outre, de qualifier l’exécution de déloyale quand le tribunal reconnaît lui-même que l’interprétation faite par l’organisation patronale de la stipulation était en partie exacte et que c’est au prix d’une argumentation qui lui est propre qu’il a considéré que, sur le second point débattu, l’interprétation à retenir n’était pas celle préconisée par l’organisation patronale.

 

Où est la déloyauté ? Quelle est la déloyauté ? L’organisation patronale serait de bonne foi à faire une interprétation de la convention collective qui est exacte et à la diffuser, mais elle ferait preuve de déloyauté dans l’exécution de la convention à communiquer à ses adhérents une interprétation qui n’est pas celle que le tribunal a fait sienne et qu’il juge « erronée ».

 

Au fond, qu’est-il reproché à l’organisation patronale ? D’avoir adressé aux adhérents des notes explicatives relatives à l’appréciation du respect des minima sociaux.

 

L’organisation patronale est dans son rôle à faire connaître ainsi le sens des stipulations de la nouvelle convention collective qui doivent être appliquées par les entreprises de la branche. Les notes explicatives n’ont du reste qu’une valeur informative, qui est celle du droit souple, et sont dépourvues de toute force prescriptive qui s’imposerait aux adhérents.

 

L’organisation patronale, autrement dit, ne prend pas part elle-même à l’exécution de la convention collective, ni ne compromet son exécution loyale par la diffusion d’un document interprétatif qui n’a qu’une finalité informative.

 

Mutatis mutandis, une entreprise qui, comme on le voit en pratique, diffuserait auprès des salariés un document explicitant le sens des stipulations d’un accord d’entreprise sous la forme, devenue courante, d’un questions-réponses aurait-elle également à répondre d’une exécution déloyale de l’accord si, d’aventure, il est ultérieurement jugé que l’une de ses stipulations doit être interprétée différemment ?

 

La pente paraît dangereusement glissante. On ne peut le dire autrement : interpréter, fut-ce de manière inexacte, les stipulations d’une convention ou d’un accord collectif et faire connaître cette interprétation au moyen d’une note explicative n’est pas l’exécuter, a fortiori l’exécuter de manière déloyale.

 

Au-delà de la question de fond sur l’inclusion ou non de certaines sommes dans l’assiette du salaire minimum, cette question mériterait à elle seule d’être à nouveau débattue.

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