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Alcool et entreprise ne font pas toujours bon ménage

A l’aube des fêtes de fin d’année et compte tenu du développement des pots de départs et d’accueil observés dans les entreprises, un rappel des règles – concernant la consommation d’alcool dans l’entreprise – paraît opportun.

Dans ce domaine, les intérêts des uns et des autres sont divergents. Au regard des obligations qui pèsent sur eux, les employeurs défendent de plus en plus souvent l’idée d’une interdiction totale de consommer de l’alcool sur le lieu de travail. Ce faisant, ils estiment contribuer – d’une certaine manière – au maintien de la santé des salariés. De l’autre côté, les salariés mettent en avant la liberté qui est la leur de consommer de l’alcool – en dehors comme sur leur lieu de travail – et soutiennent qu’il s’agit là d’un fait concernant leur vie privée, qui ne peut donc faire l’objet de restrictions, singulièrement lorsque le travail est accompli dans des conditions satisfaisantes.

Le code du travail limite la consommation d’alcool sur le lieu de travail

L’article R 4228-20 du code du travail précise qu’aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail. On notera ici que l’hydromel, qui était pourtant visé par l’ancien article L 232-2 du code du travail, ne figure plus dans la liste des boissons autorisées.

L’article suivant (R 4228-21) du même code du travail précise qu’il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse, sous peine de sanction pénale (amende encourue de 3 750 euros). Ces dispositions sont différentes de celles de l’ancien article L 232-2 du code du travail, lequel faisait interdiction au chef d’établissement de laisser introduire ou de laisser distribuer dans les établissements et locaux des boissons alcoolisées, autres que celles précitées, pour être consommées par le personnel.

Le salarié a l’obligation d’assurer sa santé et sa sécurité

On l’oublie trop souvent, il incombe légalement à chaque salarié de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité, ainsi que de celle des autres salariés concernés par ses actes ou ses omissions au travail.

Le salarié lui-même doit donc se prendre en main pour assurer sa santé et sa sécurité, mais aussi et surtout celle des autres salariés qu’il côtoie dans son environnement de travail.

A cet égard, il n’est pas exclu que la responsabilité civile et/ou pénale du salarié puisse être recherchée en cas d’accident survenu alors que le salarié se trouvait en état d’ébriété.

Le code du travail impose aux employeurs de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés

De jurisprudence constante, il pèse sur l’employeur, à l’égard de ses salariés, une obligation générale de sécurité de résultat.

Etant précisé que le non-respect par l’employeur d’une telle obligation peut conduire le salarié :

  • à prendre acte de la rupture de son contrat de travail à ses torts exclusifs ou à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail, lesquels modes de rupture produisent les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et permettent au salarié, sous certaines conditions, d’obtenir de la juridiction prud’homale les indemnités de rupture leur revenant (préavis, indemnité de licenciement notamment) ainsi qu’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou des dommages et intérêts pour rupture abusive,
  • à rechercher la faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle,
  • à rechercher la responsabilité pénale de l’employeur, par exemple si ce dernier avait conscience que, du fait de son état d’ébriété, il n’était pas en situation de conduire et qu’il a été victime – ou a été à l’origine – d’une fait accidentel, voire mortel.

Le règlement intérieur fixe les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise

Le règlement intérieur fixe, en particulier, les mesures d’application de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise. L’employeur doit donc définir, dans ce règlement intérieur, les règles concernant la consommation d’alcool.

La tentation est grande, pour celui-ci, de procéder à une interdiction totale de toute consommation d’alcool dans l’entreprise.

Une telle interdiction, aux termes d’un arrêt du Conseil d’Etat du 12 novembre 2012, n’est pas envisageable. Dans cette décision, la Haute juridiction administrative a tout d’abord rappelé que si l’employeur pouvait, lorsque les impératifs de sécurité le justifiaient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que l’interdiction posées aux articles R 4228-20 et R 4228-21 du code du travail, de telles dispositions devaient rester proportionnées au but recherché.

Le Conseil d’Etat a jugé ensuite qu’un règlement intérieur prévoyant que « la consommation de boissons alcoolisées est interdite dans l’entreprise, y compris dans les cafétérias, au moment des repas et pendant toute autre manifestation organisée en dehors de repas » n’était pas fondé sur des éléments caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque et excédait, par suite, par son caractère général et absolu, les sujétions que l’employeur pouvait légalement imposer.

En d’autres termes, l’employeur ne peut proposer dans le règlement intérieur une interdiction absolue de consommer de l’alcool dans l’entreprise.

On ne peut s’empêcher d’émettre de vives critiques sur l’analyse retenue, qui vient percuter de plein fouet l’obligation de sécurité de résultat à laquelle sont assujettis les employeurs, obligation qui est pourtant expressément rappelée par le Conseil d’Etat lui-même dans sa décision du 12 novembre 2012.

Comment l’employeur peut-il prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés lorsqu’il est privé de la possibilité d’interdire toute consommation d’alcool dans son entreprise, au risque d’ailleurs que certains salariés lui reprochent d’entretenir – faute d’interdiction – l’alcoolisme de certains d’entre eux ?

En tout état de cause, si l’on s’en tient à cette décision, l’employeur doit identifier les postes, services, ateliers, etc., présentant une certaine dangerosité et limiter l’interdiction de consommer de l’alcool à ces périmètres. Etant ici précisé qu’il y a aussi lieu de tenir compte de la nature de l’activité de l’entreprise. La possible interdiction, quand bien même elle serait quelque peu étendue, serait difficilement contestable si l’on se trouve en présence d’une activité à risque élevé (produits dangereux, conduite de véhicules ou de machines, etc.)

Pour le reste, la consommation d’alcool est possible, pour autant qu’elle reste modérée et ne perturbe pas le bon fonctionnement de l’établissement ou de l’entreprise.

La consommation d’alcool dans l’entreprise peut-elle entraîner une sanction disciplinaire, voire un licenciement ?

Dès lors que les règles concernant la consommation d’alcool dans l’entreprise ont été définies dans le règlement intérieur, et que celles-ci respectent les principes évoqués ci-avant, l’employeur a la possibilité, sous certaines réserves, d’exercer son pouvoir disciplinaire et de sanctionner un salarié, au besoin par la mise en œuvre d’une procédure de licenciement, qui pourra même reposer, dans certains cas, sur une faute grave.

A cet égard, il est intéressant de noter qu’aux termes d’une décision en date du 26 juin 2012, la Cour de cassation a estimé que le fait pour des salariés d’avoir organisé un pot alcoolisé sans autorisation de la hiérarchie et en infraction avec les dispositions du règlement intérieur était constitutif d’une faute grave, peu importe l’ancienneté des salariés (qui selon la Haute Cour ne s’analysait pas comme une circonstance atténuante mais comme une circonstance aggravante, de nature à leur conférer une conscience accrue du risque lié à l’introduction et à la consommation d’alcool dans l’entreprise en raison des machines utilisées).

A fortiori l’état d’ébriété peut-il être sanctionné par la mise en œuvre d’une procédure de licenciement – au besoin et en fonction des circonstances pour faute grave – surtout si le salarié s’est vu notifier, par le passé, une ou des sanctions disciplinaires pour des faits de même nature.

Tout est ici question de situation d’espèce et d’importance des faits reprochés.

Une simple sanction disciplinaire devra être privilégiée en présence d’un fait bénin, ou d’un premier fait de cette nature, ce d’autant si le salarié compte une ancienneté importante.

A l’inverse, si le salarié se présente comme « un récidiviste » et/ou si la consommation d’alcool a conduit à une situation dangereuse pour lui-même et/ou pour les autres salariés ou s’est accompagnée d’un comportement agressif, ou si le salarié n’est tout bonnement plus en situation de pouvoir travailler, le licenciement pourra être privilégié.

On le voit bien, les limites à la consommation d’alcool dans l’entreprise doivent donc, comme la consommation elle-même, être empreintes de mesure et se trouver en adéquation avec l’activité de l’entreprise et les postes occupés par les salariés.

De leur côté, les salariés doivent faire preuve de prudence non seulement pour préserver leur état de santé, mais encore pour ne pas se placer en situation fautive. A cet égard, lorsqu’ils sont amenés à organiser des pots de départ ou d’accueil, ils auront tout intérêt à solliciter l’autorisation expresse et préalable de leur hiérarchie.

A propos des auteurs

Rodolphe Olivier, avocat associé. Il anime l’équipe contentieuse et intervient plus particulièrement dans les litiges pendants devant le conseil de prud’hommes (tous types de litiges), le tribunal d’instance (contestation de désignations de délégués syndicaux, élections professionnelles, représentativité syndicale, reconnaissance d’unité économique et sociale, référendum des salariés à la suite de la signature d’accords collectifs…), le tribunal de grande instance (dénonciation et mise en cause d’accords collectifs, demande de suspension de la procédure consultative auprès du comité d’entreprise, demande d’annulation de plans de sauvegarde de l’emploi, grèves, contestation d’expertise CHSCT ou CE…), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, affiliation, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable,…), le tribunal de police et tribunal correctionnel (discrimination syndicale, délit d’entrave, contraventions à la durée du travail, harcèlement moral…) et le tribunal administratif et cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…).

Marie-Laure Tredan, avocat. Elle intervient dans les contentieux devant le conseil de prud’hommes (tout type de litiges), le tribunal d’instance (élections professionnelles), le tribunal des affaires de sécurité sociale (urssaf, accident du travail, maladie professionnelles, faute inexcusable, ….), le tribunal de police et tribunal correctionnel (infractions commises par le salarié dans le cadre de ses fonctions, vols, …) et le tribunal administratif et la cour administrative d’appel (contestation des décisions de l’Inspection du travail ou du Ministre…)

 

Article paru dans Les Echos Business du 26 novembre 2013

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