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Contrôle administratif des PSE : précisions sur le contrôle de légalité externe et interne

Contrôle administratif des PSE :  précisions sur le contrôle de légalité externe et interne

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, les plans de sauvegarde de l’emploi mis en place par document unilatéral (DU) ou par accord collectif doivent être, respectivement, homologués ou validés par les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (les DREETS substituées aux anciennes DIRECCTE depuis le 1er avril 2021), qui sont, à l’échelon régional, l’interlocuteur de l’inspection du travail auprès des entreprises.

 

La contestation de ces décisions administratives de validation et d’homologation relève de la compétence du juge administratif dans le cadre du recours pour excès de pourvoir, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans l’une de ses premières décisions rendues en matière de PSE (CE, 24 janvier 2014, n°374163).

 

Ce type de recours contentieux, véritable procès fait à un acte tel qu’une décision administrative, habilite le juge à apprécier sa légalité aux fins d’en prononcer, éventuellement, l’annulation.

 

Rappelons, à cet égard, que deux catégories de moyens d’illégalité sont susceptibles d’être invoqués, qu’il s’agisse :

 

    • de moyens de légalité externe portant sur la forme de la décision attaquée (au nombre de trois : l’incompétence, le vice de forme et le vice de procédure) ;
    • et/ou d’illégalité interne liés à son contenu (la violation directe de la règle de droit, le détournement de pouvoir, l’erreur de droit, l’erreur de fait et l’erreur d’appréciation).

 

Dans la présente affaire (CE, 13 décembre 2022, n°454491), le Conseil d’Etat, à la suite des juges du fond, était saisi d’une demande d’annulation d’une décision administrative d’homologation dans le cadre de laquelle les requérants invoquaient :

 

    • à la fois un moyen d’illégalité externe, tiré de l’incompétence territoriale de la Dreets ayant homologué ce document unilatéral ;
    • et des moyens de légalité interne, portant, notamment, sur l’appréciation erronée par l’administration de la suffisance du PSE.

 

L’appréciation par le Conseil d’Etat de ces deux catégories de moyen le conduit à livrer d’importantes précisions :

 

    • non seulement sur la compétence territoriale des Dreets ;
    • mais également sur la suffisance du contenu du PSE.

 

 

1. Rappel des faits d’espèce

 

La présente affaire concernait une société pharmaceutique implantée sur deux sites : l’un, regroupant le siège et les fonctions supports, en région parisienne (à Issy-les Moulineaux) et l’autre, comportant un site de production avec laboratoire de recherche, en Normandie (à Val de Reuil).

 

Cette société avait décidé de fermer le laboratoire de recherche et de développement situé en Normandie, à Val-de-Reuil.

 

En raison de l’échec de négociations engagées pour conclure un accord collectif portant sur le PSE, c’est finalement un document unilatéral élaboré par l’employeur qui avait été homologué par la Direccte de Normandie.

 

Cependant, le CSE central de l’entreprise ainsi que le CSE de l’établissement de Val de Reuil et plusieurs fédérations syndicales avaient saisi le tribunal administratif dans le but d’obtenir l’annulation de cette décision sur le fondement des moyens susvisés.

 

Déboutés de leurs demandes en première instance ainsi qu’en appel, ils avaient alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

 

Il revenait donc à la Haute juridiction d’apprécier les différents moyens de légalité externe et interne soulevés pour contester la décision d’homologation du PSE.

 

2. Précisions sur le contrôle de légalité externe : appréciation de la compétence territoriale de la Dreets

 

2-1. La solution retenue : la compétence territoriale des Dreets décorrélée de la procédure d’information-consultation du CSE

 

Pour rappel, la compétence territoriale des Dreets en charge du contrôle de la procédure d’élaboration du PSE et de l’homologation du document unilatéral ou de la validation du PSE conventionnel, est précisément encadrée par les dispositions du Code du travail (C. Trav., art. L.1233-57-8 et R.1233-3-4 à R.1233-3-5)

 

Celles-ci distinguent deux cas de figure :

 

    • lorsque le projet de licenciement collectif concerne une seule entreprise ou un seul établissement, l’autorité administrative compétente pour prendre la décision d’homologation ou de validation est celle du lieu de l’entreprise ou de l’établissement concerné (C. Trav. art. L.2333-57-8 et R.1233-3-4) ;
    • en revanche, lorsque le projet de licenciement collectif concerne plusieurs établissements relevant de la compétence d’autorités différentes, en raison du fait que ceux-ci se situent dans des régions différentes, l’autorité administrative compétente est celle du siège de l’entreprise (C. Trav. art. L.1233-57-8 et R.1233-3-5).

 

Dans la présente affaire, le projet de licenciement collectif concernait le seul établissement de Val-de-Reuil, ce qui avait conduit l’entreprise à saisir la Dreets de Normandie pour obtenir l’homologation du document unilatéral portant PSE.

 

De surcroit, en l’espèce et sur le fondement des dispositions du code du travail, l’entreprise avait également consulté le CSE central, situé à Paris, et informé la Dreets d’Ile de France de cette consultation (qui s’ajoutait à celle du CSE de l’établissement de Val-de-Reuil).

 

En effet :

 

    • dans les entreprises dotées d’un CSE central, l’employeur consulte le comité central et le ou les CSE d’établissement intéressés dès lors que les mesures envisagées excèdent le pouvoir du ou des chefs d’établissement concernés ou portent sur plusieurs établissements simultanément (C. Trav., art. L.1233-36, al.1) ;
    • et lorsque le projet de licenciement donne lieu à consultation du CSE central, l’autorité administrative du siège de l’entreprise est informée de cette consultation et, le cas échéant, de la désignation d’un expert (C. Trav., art. L.1233-51).

 

Considérant que le projet de licenciement collectif excédait manifestement les pouvoirs du chef d’établissement de Val-de-Reuil, l’employeur avait consulté le CSE central parisien et informé la Direccte d’Ile de France, pour plusieurs raisons :

 

    • en début de procédure, des négociations en vue de la conclusion d’un accord PSE avaient eu lieu au niveau de l’entreprise ;
    • la société comprenant les deux sites faisait partie d’un groupe dont les moyens sur le territoire français constituent, en cas de document unilatéral, le cadre d’appréciation de la proportionnalité des mesures de reclassement.

 

Pour contester la compétence de la Dreets de Normandie au profit de celle, située en Ile-de-France, du siège de la société, les requérants invoquaient la consultation du CSE central ainsi que l’information de la Dreets du siège.

 

Ce faisant, ils estimaient que la compétence territoriale de la Dreets se déduisait de la consultation du CSE central, ce qui conduisait à écarter les dispositions donnant compétence à la Dreets dans le ressort de laquelle se situait le seul établissement concerné par le projet de licenciement collectif, soit la Dreets de Normandie.

 

Partant, il revenait au Conseil d’Etat de déterminer si l’existence d’un projet de licenciement collectif, excédant les pouvoir du seul chef d’établissement et conduisant à la consultation du CSE central ainsi qu’à l’information de la Dreets du siège, justifiait la compétence territoriale de la Dreets du siège de l’entreprise et non celle du seul établissement concerné par le projet de licenciement.

 

A l’instar des juges du fond, le Conseil d’Etat répond par la négative en considérant que la Dreets compétente est celle dont relève l’établissement concerné, c’est-à-dire la Dreets de Normandie en procédant à un raisonnement en deux temps :

 

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle les dispositions légales et règlementaires applicables en distinguant explicitement, «d’une part», celles qui concernent la compétence territoriale de la Direccte et, «d’autre part», celles qui se rapportent à l’information-consultation du CSE central et à l’information de la Direccte du siège dans l’hypothèse d’un projet de licenciement collectif excédant les pouvoirs du seul chef d’établissement, en précisant  que les secondes sont «sans incidence» sur les premières.

 

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat applique ce raisonnement aux faits d’espèce en procédant, là encore, par étapes :

 

    • tout d’abord, pour reconnaitre la compétence de la Dreets de Normandie, le Conseil d’Etat prend soin de rappeler que le site de Val-de-Reuil avait été « reconnu comme un établissement distinct par un accord d’entreprise» ;
    • ensuite, par application des dispositions légales et réglementaires relatives à la compétence territoriale des Dreets, le Conseil d’Etat conclut à celle de la Dreets de Normandie dans le ressort de laquelle se situait le seul établissement concerné par le projet de licenciement collectif « et ce malgré la consultation du comité social et économique central et l’information en conséquence de la Direccte d’Ile de France».

 

 

Ainsi, lorsqu’un projet de licenciement collectif excède les pouvoirs du chef de l’établissement qui est seul concerné par le projet, la Dreets dans le ressort de laquelle est situé cet établissement est seule compétente pour valider ou homologuer le PSE, peu important que le CSE central et la Dreets du siège aient été également consultés.

 

2-2. Portée de la solution retenue : le contrôle préalable de l’existence d’un établissement distinct

 

La décision apporte une précision utile sur l’exigence de vérification préalable de l’existence d’un établissement distinct (au sens du CSE (1)) du ou des sites concernés par le projet de licenciement collectif.

 

Selon le Conseil d’Etat, cette vérification se limite, en cas d’accord collectif portant sur le nombre et le périmètre des établissements distincts (2), au constat de leur reconnaissance conventionnelle sans qu’il soit besoin de vérifier l’existence d’une autonomie de gestion suffisante du site en question.

 

Cette décision est à rapprocher d’une autre décision du Conseil d’Etat, rendue en matière d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, dans le cadre de laquelle, pour l’appréciation de l’inspecteur du travail territorialement compétent, la haute juridiction a admis que le caractère d’établissement distinct du lieu de travail résultait de l’accord collectif, sans qu’il soit nécessaire de vérifier l’autonomie de gestion ont il disposait (CE, 12 octobre 2006, n°287489).

 

Ainsi, le Conseil d’Etat censure, en cas de reconnaissance conventionnelle d’établissements distincts, le raisonnement retenu antérieurement par une cour administrative d’appel qui subordonnait la compétence territoriale des Direccte à l’appréciation, par l’administration, sous le contrôle du juge, de l’autonomie de gestion de l’établissement concerné (CAA de Nancy, 2 juillet 2015, n°15NC00787).

 

Cette dernière solution, de nature à alourdir le contrôle des Dreets, pourrait néanmoins trouver à s’appliquer dans le cas où le nombre et le périmètre des établissements distincts est fixé par décision unilatérale, après échec des négociations avec les organisations syndicales représentatives (3).

 

3. Précisions en matière de légalité interne : le contenu du plan de reclassement

 

Dans la présente affaire, les requérants soulevaient également l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi au regard des moyens financiers du groupe mais aussi du contenu plus généreux du projet d’accord proposé aux organisations syndicales.

 

3-1. Le contenu du plan de reclassement dans un groupe : appréciation de la proportionnalité au regard des moyens du groupe

 

Pour écarter le moyen tiré de l’insuffisance du plan au regard des moyens du groupe, le Conseil d’Etat raisonne à nouveau en deux temps.

 

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle que l’administration «doit, au regard de l’importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d’une part, des efforts de formation et d’adaptation déjà réalisés par l’employeur et, d’autre part, des moyens dont disposent l’entreprise et, le cas échéant, l’unité économique et sociale et le groupe».

 

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat relève que :

 

    • les mesures de reclassement interne prévoyaient notamment une formation d’adaptation, des aides à la mobilité géographique et au reclassement du conjoint et une compensation financière temporaire en cas de reclassement à un salaire inférieur ;
    • les mesures de reclassement externe prévoyaient notamment un congé de reclassement avec maintien de la rémunération, de 18 mois et de 24 mois pour les salariés de cinquante ans et plus, l’intervention d’un cabinet de reclassement et des aides à la création d’entreprise et à la formation.

 

L’intérêt de cette solution réside dans la précision selon laquelle ces mesures étaient suffisantes compte tenu des moyens du groupe «sans pour autant qu’elles doivent y être proportionnées».

 

Le Conseil d’Etat semble ainsi considérer que la suffisance du PSE dépend davantage de la qualité des mesures prévues pour atteindre les objectifs de maintien dans l’emploi ou de reclassement, que de leur quantité.

 

Au soutien de cette solution, il importe de préciser que les dispositions légales imposent seulement à l’administration de tenir compte des moyens du groupe pour apprécier la suffisance de ces mesures (C. trav., art L.1233-57-3, 1°), et non de réaliser un strict contrôle de proportionnalité, obligation qui serait très complexe à mettre en œuvre en pratique.

 

Par cette décision, le Conseil d’Etat :

 

    • confirme ainsi sa jurisprudence antérieure (CE, 22 juillet 2015, n°383481 ; CE, 17 octobre 2016, n°386306) ;
    • et se montre plus pragmatique que la DGEFP/DGT qui préconise un contrôle de «proportionnalité» des mesures du PSE au regard des moyens de l’entreprise ou du groupe (V. Instruction DGEFP/DGT n°2013/13 du 19 juillet 2013), sauf à considérer que l’emploi des termes «contrôle de proportionnalité» vise, en réalité à différencier le contrôle du PSE unilatéral par rapport au PSE négocié, pour lequel la suffisance des mesures de reclassement n’a pas à être contrôlée (4).

 

 

3-2. Le contenu du PSE unilatéral suite à l’échec de négociations : quelle liberté pour l’employeur?

 

Pour retenir le caractère suffisant des mesures prévues dans le PSE, le Conseil d’Etat prend soin d’écarter, de manière explicite, «la circonstance que le document élaboré en application de l’article L.1233-24-4 du code du travail n’a pas repris l’intégralité des mesures proposées par l’employeur dans le cadre de la négociation d’un accord collectif, ce que, au demeurant, aucune disposition ni aucun principe n’impose à l’employeur en cas d’échec d’une telle négociation».

 

Notons à cet égard que, dans une autre affaire, les juges du fond avaient retenu une décision identique en rejetant la demande d’annulation de l’homologation d’un PSE unilatéral fondé sur le fait que l’employeur aurait commis un abus de droit en établissant un document unilatéral moins favorable que le projet d’accord, ce qui, selon les requérants, contrevenait aux principes de loyauté et de proportionnalité.  (TA de Rouen, 24 décembre 2020, n°2003814).

 

La DGEFP/DGT précise à cet égard qu’«à tout moment, les parties peuvent constater que la négociation ne pourra pas être menée à terme.  […]. Les points d’accords trouvés durant la négociation peuvent être repris» (V. Instruction DGEFP/DGT précitée, fiche n°1, p.5) : la reprise, dans le document unilatéral, des points d’accord trouvés lors de la négociation du PSE est donc facultative.

 

Ainsi, en cas d’échec des négociations, l’employeur n’a pas l’obligation de reprendre l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de la négociation.

 

Béatrice TAILLARDAT-PIETRI, Responsable adjoint de la Doctrine sociale et Astrid DUBOYS-FRESNEY, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) C. Trav. art. L. 2313-1.
(2) C. Trav. art. L. 2313-2.
(3) C. Trav. art. L. 2313-3.
(4) C. Trav., art. L. 1233-57-2, 3°.

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