Licenciements en période d’observation : absence de portée de l’ordonnance du juge commissaire en matière de catégories professionnelles

7 août 2020
Par un arrêt du 22 mai 20191, le Conseil d’Etat a considéré que les catégories professionnelles d’un licenciement économique mentionnées dans l’ordonnance du juge n’étaient pas revêtues de l’autorité de la force jugée. Il en résulte que les catégories professionnelles retenues pour définir les salariés licenciés dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), validé ou homologué par l’administration du travail, et entérinées par le juge commissaire au cours de la procédure de redressement judiciaire peuvent faire l’objet d’une contestation administrative comme pour une entreprise inbonis.
La définition des catégories professionnelles, un enjeu important dans la mise en place d’un licenciement collectif pour motif économique
Les licenciements économiques collectifs sont, le plus souvent, fondés sur la suppression de postes clairement définis. Toutefois, les salariés licenciés ne sont pas toujours ceux titulaires desdits postes. En effet, l’employeur doit regrouper les postes au sein de catégories professionnelles puis, c’est au sein de ces catégories que vont s’appliquer les critères d’ordre des licenciements permettant d’identifier les salariés à licencier.
Autrement dit, la combinaison des catégories professionnelles et des critères d’ordre permet de passer de la liste des postes supprimés à la liste des salariés licenciés. L’enjeu est donc important d’une part, pour l’employeur qui a besoin, pour redresser l’entreprise de licencier les salariés dont les postes et les compétences ne correspondent plus à la nouvelle organisation et d’autre part, pour les salariés qui doivent bénéficier de critères objectifs de licenciement.
En l’absence de précisions dans le Code du travail, la jurisprudence considère qu’une catégorie professionnelle doit rassembler l’ensemble des salariés qui exercent dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune2. Cela conduit, dans la plupart des cas, à intégrer plusieurs types de postes de travail dans une même catégorie professionnelle. En effet, la définition des catégories professionnelle doit également être suffisamment large pour éviter, dans la mesure du possible que certaines catégories ne comportent qu’un seul salarié ou un nombre très faible de salariés.
Le contrôle de droit commun de la Direccte et des tribunaux administratifs
Préalablement à la saisine du juge-commissaire3, l’administrateur va mettre en œuvre le plan de licenciement. Dans ce cadre, il va consulter le Comité social et économique (CSE) et saisir l’administration du travail afin que celle-ci homologue (ou valide) le contenu du PSE et notamment les catégories professionnelles.
Il convient de relever que le pouvoir de contrôle de l’autorité administrative sur les catégories professionnelles sera plus ou moins fort selon que le PSE découle d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un accord signé avec les organisations syndicales.
Il n’en demeure pas moins que dans les deux cas (décision unilatérale ou accord collectif), la contestation de la validité des catégories professionnelles retenues relève des juridictions administratives, qui disposent d’un délai limité pour trancher. La compétence du conseil de prud’hommes est réduite aux contestations portant sur l’application de ces critères d’ordre à la situation individuelle d’un salarié4 .
L’ordonnance du juge commissaire n’apporte pas de sécurité supplémentaire concernant les catégories professionnelles
L’administrateur judiciaire nommé dans le cadre d’un redressement judiciaire peut parfois être contraint, durant la période d’observation, de prononcer les licenciements pour motif économique qualifiés d’urgents, inévitables et indispensables. Il va, pour se faire, comme exposé ci-dessus, mettre en œuvre la procédure de licenciement et obtenir l’homologation (ou la validation de la Direccte).
Il va ensuite saisir le juge commissaire afin que celui-ci autorise certains licenciements. A cet effet, ce dernier vérifie l’urgence et le caractère indispensable et inévitable des licenciements et autorise un nombre précis de licenciements répartis par catégories professionnelles.
Il pourrait sembler logique de penser que si la décision du juge commissaire n’est pas contestée dans les dix jours devant le Tribunal de commerce[5], cette décision est alors revêtue de l’autorité de la chose jugée et empêche les salariés, lors d’une contestation ultérieure de l’autorisation d’homologation ou de validation du PSE, de remettre en cause les catégories professionnelles.
Or, le Conseil d’Etat, dans le présent arrêt, juge que l’office du juge commissaire se limite à désigner dans quelles catégories professionnelles les licenciements sont urgents, inévitables et indispensables durant cette période mais n’a pas pour objet de valider les catégories professionnelles. Il en déduit que la définition des catégories professionnelles pourra ainsi, malgré l’ordonnance du juge commissaire les mentionnant, faire l’objet d’une contestation de droit commun devant le juge administratif.
En conséquence, l’intervention de la décision du juge commissaire n’offre pas davantage de sécurité juridique à l’employeur concernant la définition des catégories professionnelles mises en œuvre qu’au cours d’une procédure de licenciement survenant dans une entreprise in bonis.
Cette solution paraît conforme à l’objectif des textes relatifs au licenciement économique visant à conférer aux seules juridictions administratives le contrôle de la validité du PSE. La décision du juge commissaire crée néanmoins une sécurité spécifique pour l’employeur. En effet, une fois l’ordonnance du juge commissaire devenue définitive, le caractère économique du motif du licenciement ne peut, en principe, plus être contestée[6] devant le conseil des prud’hommes.
En dernier lieu, il convient de relever que cette solution propre aux licenciements pendant la période d’observation n’est pas nécessairement transposable aux licenciements survenus dans le cadre d’un plan de cession. En effet, dans ce cas, d’une part, le Tribunal de commerce se prononce expressément sur le nombre de salariés repris par le repreneur et d’autre part, les salariés non repris sont tous licenciés sans application des critères d’ordre.
(1) CE, 22 mai 2019, n°407401
(2) CE 30 mai 2016, n°387798
(3) Article L.631-17 du Code de commerce
(4) Fiche n°3 de l’instruction DGEFP/DGT n°2013/13 du 19 juillet 2013
(5) Article R.661-2 du Code de commerce
(6) Cass. Soc. 9 juillet 1996, n°93-41877
Article publié dans Les Echos Executives le 07/08/2020
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