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Le Conseil d’État consacre le maintien des plans de départs volontaires à côté de la rupture conventionnelle collective

Le Conseil d’État consacre le maintien des plans de départs volontaires à côté de la rupture conventionnelle collective

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a créé un régime de « rupture conventionnelle collective » (RCC) qui tend à inscrire dans les textes les plans de départs volontaires admis par la jurisprudence (Cass., soc, 26 octobre 2010, Renault, n°09-15.187).

 

Aux termes du nouvel article L.1237-17 du Code du travail : «Un accord collectif portant gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou rupture conventionnelle collective peut définir les conditions et modalités de la rupture d’un commun accord du contrat de travail qui lie l’employeur et le salarié. Ces ruptures, exclusives du licenciement ou de la démission, ne peuvent être imposées par l’une ou l’autre des parties.».

 

Par un arrêt du 21 mars 2023 (CE, 21 mars 2023, société Paragon Transaction, n°459626), le Conseil d’État a été amené à préciser, pour la première fois, le régime juridique de la RCC.

 

1. Un accord de RCC ne peut être conclu en cas de fermeture de site

 

Dans cette affaire, une imprimerie avait décidé, dans le cadre d’une restructuration, de fermer un site de production. Un accord de RCC avait été conclu avec les organisations syndicales et homologué par le DIRECCTE. Une organisation syndicale avait alors saisi le juge administratif d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

 

La question posée par cette affaire était donc de savoir si la RCC est possible pour traiter de la fermeture d’un site.

 

Or l’article L.1237-19 du Code du travail dispose : «Un accord collectif peut déterminer le contenu d’une rupture conventionnelle collective, excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois». L’article L.1237-17 du même code dispose quant à lui, comme on l’a vu que : «Ces ruptures, exclusives du licenciement ou de la démission, ne peuvent être imposées par l’une ou l’autre des parties.».

 

Les textes régissant la RCC excluent donc clairement tout licenciement dans le cadre de cette procédure.

 

Certes, en l’espèce, l’accord de RCC de l’imprimerie ne prévoyait aucun licenciement pendant sa période d’application. Mais l’accord avait été conclu dans le cadre d’une cessation d’activité de l’établissement en cause.

 

Le Conseil d’État en a déduit de façon très logique que si «un accord portant rupture conventionnelle collective peut être, en principe, légalement conclu dans un contexte de difficultés économiques de l’entreprise ou d’autres situations visées à l’article L.1233-3 du code du travail […] un tel accord, compte tenu de ce qu’il doit être exclusif de toute rupture du contrat de travail imposée aux salariés, comme le prévoit, l’article L.1237-17, ne peut être validé par l’autorité administrative lorsqu’il est conclu dans le contexte d’une cessation d’activité de l’établissement ou de l’entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l’objet, à la fin de la période d’application de cet accord, d’un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d’un plan de sauvegarde de l’emploi».

 

Cette solution repose sur l’idée que la fermeture du site, et donc la suppression à terme de tous les emplois, supprime la liberté de choix du salarié, puisque ceux qui n’auront pas choisi un départ volontaire devront être licenciés.

 

Cette décision rejoint la position prise par le ministère du Travail dans son questions réponses sur la RCC, publié en avril 2018, selon lequel « la RCC ne peut et ne doit pas être proposée dans un contexte de difficultés économiques aboutissant de manière certaine à une fermeture de site, ce qui aurait pour effet de fausser le caractère volontaire de l’adhésion au dispositif et de ne pas permettre le maintien dans l’emploi des salariés non-candidats à un départ».

 

2. Dans un tel cas, le PSE peut inclure un plan de départs volontaires (PDV)

 

L’originalité de cette affaire est que le Conseil d’État a profité de cette décision pour trancher, par un «obiter dictum», une question de principe très importante posée depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2017.

 

«L’obiter dictum» a pour objet de répondre à la question assez naturelle : si la voie de la RCC était fermée, comment pouvait procéder l’entreprise pour conduire cette fermeture du site ?

 

Selon l’arrêt, «Dans une telle hypothèse, pour assurer le respect des règles d’ordre public qui régissent le licenciement collectif pour motif économique, il appartient en effet à l’employeur d’élaborer, par voie d’accord ou par un document unilatéral, un plan de sauvegarde de l’emploi qui doit être homologué ou validé par l’administration, ce plan pouvant, le cas échéant, également définir les conditions et modalités de rupture des contrats de travail d’un commun accord entre l’employeur et les salariés concernés.».

 

Le rapporteur public justifie ainsi cette solution : «Lorsque tous les emplois sont supprimés, il n’est pas interdit de prévoir des ruptures négociées, mais c’est dans le cadre d’un plan de départ volontaire inscrit dans un PSE qu’une telle opération doit être conduite, car l’opération implique le licenciement pour les salariés qui ne candidateraient ni à la mobilité ni au départ».

 

Même si la rédaction de l’arrêt ne vise expressément que les PDV mixtes, c’est-à-dire les plans de départs volontaires associés à un PSE, le raisonnement tenu nous paraît également applicable aux plans de départs volontaires autonomes, exclusifs de tout licenciement, pour deux raisons :

 

    • d’une part, selon la formule très synthétique du rapporteur public : «L’ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail a créé un régime de « rupture conventionnelle collective » (RCC) qui s’inspire des plans de départs volontaires et qui tend, sans les remplacer, à en sécuriser le régime.» : cette formule ne distingue pas entre PDV mixtes et PDV autonomes ;
    • d’autre part, si on admet implicitement que l’ordonnance du 22 septembre 2017 créant la RCC n’a pas mis fin au régime jurisprudentiel des PDV mixtes, on voit mal comment elle aurait pu mettre fin au régime jurisprudentiel des PDV autonomes.

 

Le Conseil d’État a ainsi tranché, de façon discrète, un problème majeur posé par l’ordonnance du 22 septembre 2017 : la création de la rupture conventionnelle collective met-elle fin au régime jurisprudentiel des PDV mixtes et des PVD autonomes ?

 

L’hésitation était permise compte-tenu de la position prise par la Cour de cassation en ce qui concerne la création du régime légal de la rupture conventionnelle individuelle : la chambre sociale a, en effet jugé, que «la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par [l’article L.1237-11 du Code du travail] relatif à la rupture conventionnelle» (Cass., soc, 15 octobre 2014, n° 11-22.251).

 

En d’autres termes, elle a jugé que la création par le législateur d’un régime de rupture conventionnelle homologuée du contrat de travail mettait fin au régime de la rupture d’un commun accord d’origine purement jurisprudentielle et qui n’était pas entouré des mêmes garanties.

 

Si l’on transpose ce raisonnement à la rupture conventionnelle collective, on aurait pu en déduire qu’elle excluait désormais le recours aux PDV mixtes et aux PDV autonomes d’origine jurisprudentielle, même si les PDV offrent les garanties prévues par le cadre légal du licenciement pour motif économique.

 

Le ministère du Travail avait pris très vite une position très ferme en faveur du maintien des deux régimes.

 

Dans le questions-réponses consacré à la rupture conventionnelle collective, il indique, d’abord, en ce qui concerne les différences entre RCC et PDVA que «la logique de la rupture conventionnelle collective, fondée sur les départs exclusivement volontaires, est effectivement proche de celle des PDV autonomes. Mais, en pratique, les dispositifs de plans de départs volontaires autonomes et de RCC devraient s’articuler sans se concurrencer.

 

En effet, la RCC se distingue des PDVA sur trois points principaux :

 

    • elle est mise en place obligatoirement par un accord collectif. À l’inverse, un PDVA peut être soit négocié dans le cas d’un accord portant PSE négocié uniquement avec les organisations syndicales ou le conseil d’entreprise, soit fixé de manière unilatérale dans un document unilatéral ;
    • l’employeur n’a pas à démontrer l’existence d’un motif économique au sens de l’article L.1233-3 du code du travail pour la proposer ;
    • elle n’obéit pas une logique de seuil et peut donc être mise en place, quel que soit le nombre de départs envisagés, par toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.»

 

Il indique, ensuite, en ce qui concerne l’articulation des différents dispositifs, que «la rupture conventionnelle est un régime nouveau, qui ne se substitue pas aux régimes antérieurs. Ainsi, la création du régime de RCC, distinct de celui des PSE, ne fait obstacle :

 

    • ni à la possibilité de mettre en place un PDVA par accord PSE ou document unilatéral PSE… ;
    • ni au maintien du régime jurisprudentiel applicable aux PSE mixtes, avec une phase préalable de volontariat …».

 

Le Conseil d’État consacre dans cet arrêt cette analyse.

 

Il faut s’en féliciter dans l’intérêt des entreprises et de la conduite des restructurations. En effet, les plans de départs volontaires sont une formule beaucoup plus souple que la RCC puisqu’ils peuvent être mis en œuvre, soit par un accord collectif, soit par une décision unilatérale de l’employeur.

 

C’est ce qui explique que le comité d’évaluation des ordonnances ait dénombré en août 2020, 164 accords de rupture conventionnelle collective depuis leur création, soit une moyenne de 54 accords par an.

 

Les PDV autonomes représentent, quant à eux, environ 13 % des PSE, soit une moyenne de 78 accords par an.

 

Ces chiffres montrent que les PDV autonomes sont, chaque année, supérieurs d’environ 30% aux accords de RCC : c’est donc une procédure qui répond à un réel besoin des entreprises et il faut se féliciter que le Conseil d’Etat ait consacré son maintien.

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