La nouvelle et singulière « rupture conventionnelle collective »
23 octobre 2017
Mesure controversée des ordonnances réformant le Code du travail, la nouvelle « rupture conventionnelle collective » poursuit un objectif de sécurisation des plans de départs volontaires. Ce dernier semble atteint avec un dispositif particulièrement simple d’utilisation.
Une volonté de réglementer les PDV hors du cadre du droit du licenciement économique
Le recours aux départs volontaires dans les procédures de restructurations, alternative aux départs contraints, est un acquis important dont l’objet consiste à mettre en œuvre, au travers d’un acte collectif dit plan de départs volontaires (PDV), des ruptures amiables collectives du contrat de travail.
L’appel au volontariat en effet dans le cadre des licenciements collectifs pour motif économique est une pratique répandue – représentant à ce jour environ 13 % des plans de sauvegarde de l’emploi – qui ne procédait jusqu’à ce jour d’aucun texte législatif spécifique et dont le juge judiciaire a déterminé le régime juridique.
Ainsi, un plan de départs volontaires pouvait être envisagé :
- soit, comme un plan de réduction des effectifs exclusif de tout licenciement contraint (PDV autonomes) ;
- soit, comme s’inscrivant dans un projet global de réduction des effectifs dont il ne constituait qu’une des mesures préalables destinées à éviter des licenciements économiques, licenciements qui, pour autant, n’étaient pas exclus et pouvaient être mis en œuvre (PDV multifonctions).
Une différence notable existait entre ces deux types de PDV : lorsque le plan de réduction des effectifs excluait tout licenciement, l’employeur n’était pas tenu de mettre en place un plan de reclassement interne1, à moins que les mesures de réorganisation envisagées ne conduisent inéluctablement à des suppressions d’emploi.
Dans un cas, comme dans l’autre toutefois, le régime des PDV procédant d’une combinaison d’articles du Code du travail et du Code civil et rendant les obligations de l’employeur peu lisibles et sécurisées, imposait de respecter les dispositions du licenciement économique, avec l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi lorsque le nombre de ruptures envisagées était au moins égal à dix.
L’instauration d’un régime propre aux PDV : un accord collectif majoritaire et une validation de l’Administration
Pour sécuriser et apporter de la lisibilité à cet acquis du PDV, l’ordonnance Macron sur la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a tracé un cadre juridique qui ne concerne que les plans « excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs assignés en termes de suppressions d’emploi ».
Une nouvelle section a été, à cet effet, créée dans le Code du travail intitulée « Rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective »2. Cet accord, dont l’ouverture des négociations y afférentes doit donner lieu à une information sans délai de l’administration qui exerce un contrôle sur son contenu avant de rendre une décision quant à sa validation, détermine :
- les modalités et conditions d’information du comité social et économique ;
- le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées, et la durée de mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective ;
- les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ;
- les critères de départage entre potentiels candidats au départ ;
- les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ;
- les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l’accord écrit du salarié au dispositif prévu par l’accord collectif;
- des mesures visant à faciliter le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;
- les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord portant rupture conventionnelle collective.
Dans ce cadre et sous réserve de la validation de l’accord par l’autorité administrative, l’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié au départ volontaire emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord des parties.
Le décret d’application conditionnant l’entrée en vigueur de ce dispositif est néanmoins encore attendu. Pour autant, cet encadrement laisse à penser que ce dispositif devrait connaître un certain succès, tant vis-à -vis des entreprises que des salariés pouvant y être éligibles, renforcé par la prévision d’un régime social et fiscal des indemnités de rupture qui se voudrait incitatif3. A cet égard, un amendement au projet de loi finances pour 2018 a été déposé par le Gouvernement proposant d’aligner ce régime sur celui applicable aux indemnités versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Ce dernier point, qui reste à confirmer, aurait en particulier pour effet d’exonérer d’impôt sur le revenu les indemnités versées dans le cadre des nouvelles ruptures conventionnelles collectives.
La question se posera enfin de savoir si ces dispositifs ne seront pas massivement utilisés pour permettre le départ des salariés âgés, alors même que l’ordonnance Macron a, dans le même temps, supprimé le contrat de génération qui imposait des objectifs de maintien dans l’emploi de cette population. Le Gouvernement a clairement annoncé qu’il serait vigilant pour éviter un tel usage mais il n’est pas certain qu’il s’en soit pleinement donné les moyens juridiques…
Notes
1 Cass. soc. 26 octobre 2010 n° 09-15187 (jurisprudence Renault)
2 Article L. 1237-19 et suivants du code du travail, dont l’entrée en vigueur nécessite des mesures d’application devant être prises par décret.
3 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1387 sur la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail
Auteurs
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social
Ghislain Dintzner, avocat en Droit social
La nouvelle et singulière « rupture conventionnelle collective » – Article paru dans Les Echos Exécutives le 20 octobre 2017
A lire également
Directive AIFM : Les nouvelles règles de rémunération au sein des fonds d’i... 4 octobre 2013 | CMS FL
Recours au CDD : ce que changent les ordonnances Macron... 1 décembre 2017 | CMS FL
Licenciement économique et contrat de sécurisation professionnelle : l’artic... 27 avril 2015 | CMS FL
L’UES : confirmation d’un nouveau périmètre de négociation d’un accord ... 17 mai 2022 | Pascaline Neymond
Retraite, présomption de démission, partage de la valeur : à la recherche dâ€... 26 mai 2023 | Pascaline Neymond
Nouvelles précisions du Conseil d’Etat en matière d’ordre des licenciement... 4 mai 2020 | CMS FL Social
La mise à disposition de personnel intragroupe... 1 juillet 2015 | CMS FL
Avantages et inconvénients de la rupture conventionnelle collective... 18 juillet 2018 | CMS FL
Articles récents
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025