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Devoir de vigilance : point sur les dernières évolutions en France et en Europe

Devoir de vigilance : point sur les dernières évolutions en France et en Europe

Suite à la tragédie de l’effondrement du Rana Plaza, un complexe au Bangladesh abritant des ateliers de confection pour plusieurs grandes marques occidentales survenu le 24 avril 2013, la France a pris des mesures concrètes de prévention en adoptant, en 2017, une loi sur le devoir de vigilance (1). Cette législation vise à imposer aux grandes entreprises l’obligation de veiller au respect des droits sociaux et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de sous-traitance (2).

 

La mise en œuvre de ce devoir de vigilance revient dans l’actualité avec, en France, une première décision des juges du fond éclairante sur l’étendue de cette obligation, et, en Europe, l’annonce de la finalisation d’une directive ayant pour objectif de renforcer la responsabilité des sociétés à travers l’Union européenne de manière harmonisée et d’élargir le périmètre des sociétés concernées.

 

Le devoir de vigilance en France : la loi de 2017

 

Depuis 2017, toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs :

 

    • au moins 5.000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes en France,
    • ou au moins 10.000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes en France ou à l’étranger (3),

 

est tenue d’établir et d’évaluer son plan de vigilance.

 

Ce dernier doit être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, notamment avec les organisations syndicales représentatives, et doit comprendre obligatoirement :

 

1. Une cartographie destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques ;

 

2. Des procédures d’évaluation régulière de la situation de ses filiales, de ses sous-traitants ou fournisseurs, au regard de ces risques ;

 

3. Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;

 

4. Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;

 

5. Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité (4).

 

Ce plan de vigilance, et le compte rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics et sont inclus dans le rapport de gestion soumis à l’approbation de l’assemblée générale (5).

 

La justice peut être saisie, par toute personne justifiant d’un intérêt à agir, afin d’enjoindre à la société de respecter ces obligations dès lors qu’elle n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de sa mise en demeure par la personne intéressée.

 

Une décision de justice française qui donne un premier cadre d’appréciation des exigences concernant la mise en œuvre de ce devoir de vigilance.

 

Le tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé pour la première fois sur le fond le 5 décembre 2023 dans une affaire opposant le syndicat SUD PTT au groupe La Poste (6).

 

Dans l’affaire en cause, le syndicat SUD-PTT, considérant que le plan de vigilance de La Poste ne répondait pas aux exigences légales, l’a mise en demeure de s’y conformer.

 

La Poste ayant fait valoir qu’elle avait respecté l’ensemble de ses obligations, le syndicat SUD PTT lui a adressé une nouvelle mise en demeure à laquelle La Poste a répondu après avoir opéré quelques remaniements.

 

Considérant que le plan de vigilance ne répondait toujours pas aux exigences légales, le syndicat a saisi le Tribunal judiciaire.

 

Relevons tout d’abord plusieurs enseignements positifs :

 

d’une part, plusieurs mesures concrètes du plan de vigilance comme la diffusion d’un guide sur le sexisme ou encore la formation des managers et opérationnels aux règles de prévention santé-sécurité au travail ont été favorablement relevées par le Tribunal judiciaire ;

 

d’autre part, le Tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’intégrer la liste des fournisseurs et des sous-traitants de l’entreprise au plan. Sur ce point, pour rejeter la demande du syndicat, le Tribunal judicaire a rappelé qu’à l’occasion du contrôle de la loi, le Conseil constitutionnel avait considéré que celle-ci ne portait pas atteinte à la liberté d’entreprendre dans la mesure elle n’imposait pas aux sociétés de «rendre publiques des informations relatives à leur stratégie industrielle ou commerciale» (7).

 

En revanche, le Tribunal a condamné la société à compléter son plan de vigilance considéré comme trop général s’agissant notamment des procédures d’évaluation, d’alerte et de suivi.

 

Ainsi, reconnaissant le «caractère fondamental» de la cartographie des risques, le Tribunal judicaire a considéré que celle établie par la Poste «élabore une description des risques à un très haut niveau de généralité» et «ne fait pas suffisamment émerger des domaines de vigilance prioritaires».

 

Le Tribunal judicaire vient ainsi préciser la nécessité de hiérarchiser les risques selon leur gravité afin de fixer des priorités d’actions raisonnables. En outre, il juge que la version publiée de la cartographie doit permettre l’identification précise des risques.

 

Il a relevé que les actions d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves se limitaient à des déclarations générales d’intention. Ainsi, il est reproché à la défenderesse des références aux politiques ou engagements généraux du groupe, sans précisions sur les modalités et effets (8).

 

Il a enfin estimé que le dispositif de suivi de la mise en œuvre effective du plan de vigilance du groupe ne permet ni de mesurer efficacement l’impact des mesures adoptées ni de fournir une évaluation pertinente pour guider les actions de vigilance.

 

En l’espèce, le compte-rendu du groupe se limitait à présenter certaines mesures du plan de vigilance de manière succincte et aléatoire, sans faire référence aux bilans spécifiques auxquels certaines mesures ont pu donner lieu, par exemple l’activité de la ligne d’écoute et de soutien psychologique devant la Commission nationale santé sécurité au travail.

 

Pour autant, le Tribunal judicaire rejette la demande du syndicat tendant à obtenir la mise en œuvre de mesures concrètes et effectives (qui ne relèvent pas de l’office du juge).

 

Ce premier jugement est donc riche d’enseignements sur l’interprétation et les modalités d’application de la loi sur le devoir de vigilance.

 

La Poste ayant décidé de faire appel de cette décision, il sera intéressant de suivre la procédure d’appel afin de déterminer si en l’absence de décret précisant les modalités d’application de la loi, l’interprétation du Tribunal judiciaire est ou non confirmée par la nouvelle chambre dédiée à cette matière au sein de la cour d’appel de Paris.

 

Le devoir de vigilance à l’échelle européenne : une prochaine Directive annoncée

 

Le 24 mai 2024, le Conseil de l’Union européenne a définitivement adoptée la directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises («CSDDD») (9).

 

Ce texte vise à élargir le périmètre des sociétés soumises à cette obligation et à organiser un cadre de sanction en cas de manquement afin de donner plus d’effectivité au dispositif.

 

Les seuils de déclenchement du devoir de vigilance prévus par la loi française devraient être revus puisque la loi prévoit d’élargir significativement le nombre d’entreprises assujetties à cette obligation :

 

♦  Seraient concernées les sociétés mères et entreprises établies dans l’Union européenne de plus de 1.000 salariés en moyenne réalisant un chiffre d’affaires mondial net de plus de 450 millions d’euros (au lieu de 150 millions d’euros).

 

♦  Seraient également concernées les entreprises établies hors de l’Union européenne qui réalisent un chiffre d’affaires net dans l’Union européenne excédant 450 millions d’euros.

 

Similairement à la loi française, les entreprises concernées devront établir une politique de vigilance, identifier et évaluer les risques liés au développement durable dans leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement, avant de préciser les actions mises en œuvre pour atténuer et prévenir ces risques.

 

Les entreprises devront également adopter et mettre en œuvre un plan de transition rendant leur modèle d’entreprise compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C prévu par l’Accord de Paris.

 

Outre la responsabilité civile des entreprises pourrait être engagée, la directive prévoit également, contrairement à la loi française, une sanction financière en cas de manquement.

 

A ce titre, les Etats membres devront désigner une autorité de contrôle chargée de surveiller, d’enquêter et, le cas échéant, d’imposer des sanctions. Les entreprises pourront ainsi se voir infliger des amendes allant jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires mondial net.

 

Cette directive prévoit une mise en application progressive allant de 3 à 5 ans, en fonction de la taille de l’entreprise, à partir de la date de son entrée en vigueur.

 

Ce texte doit encore être publié au Journal officiel de l’Union européenne. Il entrera en vigueur 20 jours plus tard, puis les états membres disposeront alors d’un délai de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive pour la transposer dans leur droit interne.

 

Ces actualités françaises et européennes doivent conduire les entreprises, si elles y sont d’ores et déjà concernées à se mettre sans tarder en conformité avec les exigences légales.

 

Pour celles qui entreraient à moyen terme dans le champ de cette obligation, elles peuvent commencer à s’y préparer en intégrant ces problématiques dans leur stratégie, en particulier sur la RSE, afin d’anticiper leurs réflexions sur les outils qui seraient susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre de leur futur devoir de vigilance.

 

AUTEURS

Maïté OLLIVIER, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats

Maud ROZENEK, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

(2) Avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.

(3) Article L.225-102-4 al. 1 du Code de commerce

(4) Article L.225-102-4 al. 6 à 11 du Code de commerce

(5) Article L.225-102-4 al. 12 du Code de commerce. Conformément à l’articles L.232-1 du Code de commerce, le rapport de gestion des sociétés commerciales est présenté à l’assemblée annuelle par le conseil d’administration, le directoire ou les gérants et porte sur l’exercice écoulé. Cela implique que le contenu du plan de vigilance soit établi et validé en interne par les instances dirigeantes et présenté à l’assemblée générale et selon les cas, aux associés ou actionnaires qui en feraient la demande.

(6) TJ Paris, 5 déc. 2023, n°21-15.827

(7) Cons. Const., 23 mars 2017, n°2017-750 DC

(8) Par exemple, il a été fait référence à la publication d’un nouveau dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement comportant un nouveau protocole accompagné d’un guide, sans que les actions concrètes qui en découlent ne soient connues, ou encore, à un projet visant à garantir les conditions d’hygiène et de sécurité dans tous les lieux de travail sans que le contenu ne soit déterminable.

(9) Résolution législative du Parlement européen du 24 avril 2024 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937

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