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Droit au report des déficits et changement d’activité réelle : où en sommes-nous ?

Dans un contexte de pression fiscale accrue, le législateur établit à l’encontre des sociétés de sévères restrictions dans le droit au report de leurs déficits.

Après la mise en place en 2011 d’un plafonnement (récemment durci) de l’imputation des déficits reportés en avant comme en arrière, la deuxième loi de Finances rectificative pour 2012 (LFR II 2012) du 16 août 2012 est venue restreindre les possibilités de transfert des déficits sur agrément en cas d’opérations de restructuration et a apporté une définition du changement d’activité réelle, conduisant à élargir les cas de perte du droit au report des déficits.

C’est sur cette nouvelle définition que nous nous attarderons puisque, après en avoir rappelé les contours (1.), nous évoquerons les éventuels écueils et confusions qui nous semblent d’ores et déjà résulter du texte (2).

1. Définition et incidences du changement d’activité réelle
1.1 En application d’une disposition insérée en 1986 au 5 de l’article 221 du CGI, le changement d’activité d’une société entraîne cessation d’entreprise et, par là-même, la perte du droit au report des déficits antérieurs.

Jusqu’à la LFR II 2012, le changement d’activité n’était pas défini par la loi et l’administration fiscale précisait simplement qu’il devait être profond. Faute d’autres précisions, il est revenu à la jurisprudence d’identifier les critères du « changement d’activité réelle ».

L’instauration d’une définition légale de cette notion s’est inscrite dans le cadre de mesures « anti-abus » tendant à lutter contre les montages permettant de conserver ou d’échanger des déficits reportables d’un exercice sur l’autre et qui, une fois imputés sur les bénéfices, avaient pour effet de minorer l’assiette imposable.

S’agissant en particulier du changement d’activité, la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale a considéré dans son rapport du 12 juillet 2012 que la jurisprudence était favorable aux entreprises.

Le nouvel article 221, 5 du CGI, tel qu’aménagé par la LFR II 2012, est donc venu donner une définition précise au changement d’activité réelle, applicable aux exercices clos à compter du 4 juillet 2012.

1.2 Le changement d’activité réelle s’entend désormais, « notamment », de :

  • l’adjonction d’une activité entraînant, au titre de l’exercice de sa survenance ou de l’exercice suivant, une augmentation de plus de 50 % du chiffre d’affaires ou de l’effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l’actif immobilisé, par rapport à l’exercice précédant celui de l’adjonction ;
  • l’abandon ou le transfert même partiel d’une activité ou de plusieurs activités existantes entraînant au cours de l’exercice de leur survenance ou de l’exercice suivant, une diminution de plus de 50 % des paramètres sus-évoqués.

Ainsi, pour l’appréciation du seuil de 50 %, il convient de comparer les montants de chiffres d’affaires, d’effectifs moyens du personnel et d’actifs bruts immobilisés (i) déclarés au titre de l’exercice précédant celui de l’adjonction, l’abandon ou le transfert d’activité, (ii) par rapport à ceux déclarés au titre de l’exercice de survenance de cet événement ou de l’exercice suivant.

La cessation d’activité peut résulter de la seule variation du chiffre d’affaires, mais ne peut résulter de la seule variation des effectifs ou des actifs immobilisés. Il convient que ces deux derniers paramètres varient chacun de plus de 50 % pour emporter cessation d’activité.

Lorsque le changement d’activité est apprécié au regard des critères de l’effectif moyen et du montant brut d’actif immobilisé de l’exercice, ce changement n’est éventuellement caractérisé qu’au titre de l’exercice où le seuil de 50 % est franchi pour le second critère.

Enfin, lorsque le franchissement du seuil intervient au titre du second exercice, il est admis que les déficits subis antérieurement à l’adjonction, abandon ou transfert d’activité et imputés sur le résultat bénéficiaire réalisé sur l’exercice de survenance de l’événement ne soient pas remis en cause.

2. Problématiques issues du nouveau texte
2.1 Compte tenu du terme « notamment » figurant dans la nouvelle définition du texte, le changement d’activité réelle est susceptible d’être caractérisé par un événement autre que l’adjonction, l’abandon ou le transfert d’activité.

En particulier, cette rédaction laisse supposer que l’administration peut encore, ainsi qu’elle le faisait avant la LFR II 2012, constater un changement d’activité en cas de modification de la nature des opérations réalisées ou des produits ou services rendus.

A première vue, le motif du changement d’activité pourrait sembler indifférent puisque, quelle qu’en soit l’origine, un tel changement emporte les mêmes conséquences.

Toutefois, la raison dudit changement est susceptible d’influer sur la date de sa constatation.

Prenons l’exemple d’une société de fabrication et de commercialisation d’articles de vêtements qui recentrerait son activité sur la seule commercialisation desdits articles.

L’abandon de l’activité de production constituera en tant que tel un changement d’activité puisque la nature des prestations rendues par la société va changer.

Ce changement est par ailleurs susceptible d’entraîner une diminution des effectifs et de l’actif immobilisé de la société ou une diminution de son chiffre d’affaires.

Ainsi va se poser la question de la date de constatation de la cessation d’entreprise et donc de la perte du droit au report des déficits antérieurs.

L’administration pourrait éventuellement considérer, si la société commence à changer de nature d’activité dès N, que c’est au cours de cet exercice que la société a changé son activité.

Toutefois, malgré ce changement sur N, l’administration pourrait également considérer que le changement d’activité est en réalité intervenu en N+1 si la variation de plus de 50 % des paramètres évoqués plus haut est atteinte en N+1.

A l’inverse, si cette variation est atteinte en N, l’administration pourra considérer qu’il y a eu transfert ou abandon d’activité entraînant changement d’activité sur cet exercice.

Mais elle pourra également éventuellement considérer que le changement d’activité est intervenu en N+1 si c’est seulement au cours de cet exercice que la société cesse totalement son activité de production.

Ainsi, l’incertitude relative à l’exercice de survenance du changement d’activité de la société nous semble source d’un risque de contestation par l’administration de la position retenue par la société.

2.2 Outre cette éventuelle confusion, la nouvelle définition légale pourrait par ailleurs entraîner des incidences sévères pour les entreprises décidant d’ajouter ou d’abandonner une activité puisque, si les seuils visés au 1.2 sont atteints, elles perdraient l’ensemble de leurs déficits en report, incluant la fraction desdits déficits afférents à l’activité préexistante et maintenue.

Pour justifier de l’importance de ces conséquences, il pourrait être soutenu que l’adjonction ou l’abandon d’une activité dans les conditions visées par l’article 221, 5 du CGI entraînent de telles variations qu’elles font perdre son identité à l’entreprise concernée.

Selon nous, il aurait toutefois été plus équitable de prévoir dans un tel cas que, si l’entreprise est en mesure d’identifier précisément l’origine du déficit en report, elle peut continuer de reporter la fraction du déficit correspondant à l’activité préexistante et maintenue sur les bénéfices futurs résultant de cette même activité.

Dans son projet d’instruction, l’administration prévoit déjà que, si la société dispose d’instruments de gestion lui permettant de démontrer qu’une quote-part de l’augmentation ou de la réduction d’un ou plusieurs seuils peut être rattachée à l’activité préexistante, il est admis que cette quote-part ne soit pas retenue pour apprécier l’éventuel changement d’activité.

Si, pour l’appréciation des variations de seuil, il est admis de ne pas tenir compte des variations relatives à l’activité préexistante ou maintenue, il pourrait de la même façon être admis que les déficits liés à une activité qui n’a pas cessé peuvent continuer d’être reportés sur les bénéfices y afférents.

Notons que les travaux parlementaires précisent que l’objectif général poursuivi par la nouvelle mesure est de faire en sorte que les transferts de déficits s’inscrivent dans une logique économique et non pas une logique exclusivement fiscale. Il est ajouté qu’à cette fin, les modifications proposées tendent à subordonner le transfert des déficits au maintien de l’activité économique qui les a générés.

Or, l’imputation de déficits issus d’une activité sur les bénéfices futurs issus de la même activité nous semble répondre à l’objectif poursuivi par le texte, quand bien même une autre activité serait exercée en plus par l’entreprise, ou au contraire, aurait été abandonnée par celle-ci.

Au soutien de notre position, rappelons que c’est cette logique qui est retenue en matière de restructuration de groupes puisque l’octroi de l’agrément de transfert des déficits de la société absorbée (ou scindée) à la société absorbante (ou bénéficiaire des apports) est notamment subordonnée à la poursuite de l’activité transférée pendant un minimum de trois ans.

 

A propos des auteurs

Hubert Bresson, avocat associé. Il accompagne des entreprises, des organismes publics ainsi que des associations aussi bien en matière de conseil que d’assistance.

Stéphanie Riou, avocat. Elle fait partie du département impôts directs où elle accompagne des entreprises, des organismes publics ainsi que des associations aussi bien en matière de conseil que d’assistance.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 24 juin 2013

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