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Gain latent sur option et positions symétriques : le refus de prise en compte des primes

Gain latent sur option et positions symétriques : le refus de prise en compte des primes

Selon le Conseil d’Etat, le montant des gains non encore imposés sur contrat d’option qui limite la déduction d’une perte sur position symétrique ne s’établit pas sous déduction de la prime versée par l’acheteur en contrepartie de l’acquisition de l’option.

Il était une époque lointaine où certaines entreprises pratiquaient le transfert de base fiscale d’un exercice sur l’autre en prenant des « positions symétriques ». A la clôture d’un exercice, la position perdante était débouclée, la position gagnante l’étant dans les premiers jours de l’exercice suivant (pratique dite des « bull and bear bonds »). Le législateur s’est ému à juste titre de ces pratiques, et a inséré à l’article 38-6-3° du CGI une règle selon laquelle une perte sur une position n’est pas déductible à hauteur du gain latent qui existe sur une position dite « symétrique[1] ». L’idée était de ne pas permettre la déduction d’une perte artificielle car compensée par un gain latent. Le champ d’application du texte est toutefois particulièrement large, et des opérations très éloignées de ce que le législateur cherchait à combattre en 1987 sont susceptibles de tomber dans son champ d’application.

C’était le cas des opérations effectuées par la société Deutsche Friedland SAS, filiale intégrée de la société Deutsche Bank AG, qui exerçait une activité d’arbitrage financier reposant sur la conclusion de dérivés actions de nature optionnelle, couverts par l’acquisition d’actions françaises. La détention simultanée des options et des actions sous-jacentes caractérisait des « positions symétriques » au sens de l’article 38-6-3° du CGI. Au titre de l’exercice 2010, une provision ayant été enregistrée à raison de la baisse de valeur des actions, s’est posée la question du montant déductible de cette provision. Pour calculer le « gain non encore imposé » afférent aux options limitant le montant déductible de la provision, la société Deutsche Friedland SAS a estimé que ce montant devait s’entendre net des primes payées au titre des contrats d’option.

L’administration a remis en cause le calcul du gain non encore imposé opéré par la société Deutsche Friedland SAS et diminué en conséquence la part déductible de la provision sur actions à hauteur des primes. Le tribunal administratif de Montreuil a confirmé cette position, mais la cour administrative d’appel de Versailles[2] a au contraire jugé que le calcul des « gains non encore imposés », qui n’est qu’une anticipation du gain futur qui sera réalisé lors du débouclage de l’opération, conduit à déterminer un gain net et doit ainsi prendre en compte l’ensemble des coûts de l’opération et notamment les primes versées lors de la souscription des contrats d’option.

Sur pourvoi de l’administration, le Conseil d’Etat[3]  juge que :

  • il résulte des dispositions de l’article 38-6-1° du CGI, qui, expressément constitutives d’une exception, doivent être interprétées strictement, que les pertes ou profits sur contrats d’option en cours à la date de la clôture de l’exercice s’entendent de la seule marge déficitaire – pour le vendeur de l’option – ou bénéficiaire – pour l’acheteur de l’option – qui résulterait de l’exercice à cette date de l’option, c’est-à-dire de l’écart négatif ou positif constaté, le jour de la clôture, entre la valeur d’exercice convenue et le cours de l’actif sous-jacent ;
  • pour l’application de l’article 38-6-3° du CGI, le montant des gains non encore imposés sur contrat d’option s’entend aussi de la marge bénéficiaire qui résulterait du contrat d’option. Dès lors, et indépendamment du point de savoir à quel exercice doit être rattachée la charge correspondante pour l’acheteur de l’option, ce montant ne s’établit pas sous déduction de la prime versée par celui-ci en contrepartie de l’acquisition de l’option.

Le Conseil d’Etat annule pour erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles et lui renvoie l’affaire au fond. Si le Conseil d’Etat a clairement exclu les primes du calcul du gain latent (1), il a expressément réservé le traitement fiscal à réserver aux primes (2).

Les primes d’option ne peuvent pas être prises en compte pour le calcul du gain latent

Pour comprendre le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat, il est nécessaire de se reporter aux conclusions du Rapporteur public Romain Victor qui indique qu’eu égard aux travaux parlementaires de la loi sur l’épargne de 1987 et à l’objectif du législateur, la seule lecture possible de la notion de « gains non encore imposés » mentionnés à l’article 38-6-3° du CGI ne peut désigner que le « profit (…) résultant de l’exécution de contrats à terme d’instruments financiers en cours à la clôture de l’exercice » mentionné à l’article 38-6-1°, c’est-à-dire les gains latents sur contrats à terme, qui sont pourtant imposables et imposés au titre de l’exercice à la clôture duquel ils sont en cours. Il faut alors retenir la notion de « gains latents » visée à l’article 38-6-1°, lequel prévoit qu’il s’agit du profit résultant de l’exécution des contrats. Or, le Rapporteur public relève que dans son sens ordinaire, l’exécution d’un contrat n’est pas la conclusion du contrat ; c’est l’achat ou la vente du sous-jacent. Les « gains non encore imposés » ne peuvent selon lui équivaloir qu’à ce que l’on désigne sous l’expression de « valeur intrinsèque » de l’option, c’est-à-dire la différence, calculée à la clôture de l’exercice, entre le cours du sous-jacent et le prix d’exercice (pour une option d’achat) ou entre le prix d’exercice et le cours du sous-jacent (pour une option de vente), le montant de la prime étant étranger à ce calcul.

Ce raisonnement, qui heurte la logique économique, surprend. A front renversé, la solution retenue par le Conseil d’Etat devrait logiquement aboutir à ce que la provision liée au risque de perte de la prime soit pleinement déductible, puisque la prime n’est pas liée à l’exécution du contrat. Plus fondamentalement, le lien recherché par le Rapporteur public entre le 1° et le 3° de l’article 38-6 du CGI apparaît en contradiction avec l’objet même du texte. En effet, en présence de positions symétriques, c’est uniquement lorsque l’une des positions n’est pas évaluée au cours du jour sur la base de l’article 38-6-1° que se pose un problème de gain latent non encore imposé, et que l’article 38-6-3° joue véritablement conformément à l’intention du législateur. Le 1° et le 3° sont donc par essence indépendants.

Les primes d’option devraient être déductibles immédiatement ou au couru

L’affaire Deutsche Bank ne se limitera toutefois pas à la seule question du calcul du gain latent au sens de l’article 38-6-3°. En effet, le Conseil d’Etat a expressément réservé la question de savoir à quel exercice devait être rattachée la prime d’option supportée par l’acheteur.

Comptablement, Deutsche Friedland SAS avait étalé les primes sur la durée des options. Depuis 2015 et le règlement de l’ANC relatif aux instruments financiers à terme et aux opérations de couverture[4], le nouvel article 628-12 du plan comptable prévoit deux méthodes alternatives de comptabilisation des primes d’option : soit l’étalement des primes dans le compte de résultat sur la période de couverture, soit la constatation en résultat de manière symétrique à l’élément couvert.

La doctrine administrative précise pour sa part que « la prime versée par l’acheteur au vendeur de l’option demeure sans incidence sur les résultats imposables des opérateurs au moment de la conclusion du contrat[5] ». Toutefois, comme le relève le Rapporteur public, cette déduction en bloc au titre de l’exercice de dénouement de l’option soulève une question au regard du principe de spécialisation des exercices, dès lors qu’il résulte de l’économie générale de ce contrat que la charge que constitue le paiement de la prime au vendeur est certaine dans son principe et son montant dès l’exercice de conclusion du contrat d’option et n’est plus susceptible d’être remise en cause a posteriori. Or, il est de jurisprudence constante que les charges doivent en principe être rattachées aux exercices au cours desquels elles sont engagées, alors même que ces charges produiraient leurs effets sur le chiffre d’affaires et le bénéfice d’exercices suivants. Pour Romain Victor, la prime « devrait venir en déduction soit du résultat de l’exercice au cours duquel elle est engagée, soit être déduite ou courue conformément à la solution retenue par le droit et la pratique comptable ».

La société Deutsche Bank pourrait donc finalement avoir gain de cause, non pas sur le terrain qui semblait économiquement le plus fondé, celui du calcul du gain latent, mais sur celui de la connexion fiscalo-comptable.

Article publié dans Option Finance du 23/03/2020. 

[1] Article 43 de la loi n° 87-416 du 17 juin 1987. Cet article a également créé l’article 38-6-1° qui prévoit l’imposition au cours du jour des instruments financiers à terme en cours à la clôture d’un exercice.

[2] CAA de Versailles, 26 mars 2019, n° 17VE00442.

[3] Conseil d’Etat, 19 décembre 2019, n° 431066, Société Deutsche Bank.

[4] Règlement ANC 2015-05, en date du 2 juillet 2015.

[5] BOI-BIC-PDSTK-10-20-70-50-20120912, n°40.

Auteurs

Benoît Foucher, avocat counsel en droit fiscal

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