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Holding animatrice de groupe : le bon sens finira-t-il par prévaloir ?

Holding animatrice de groupe : le bon sens finira-t-il par prévaloir ?

Il est certes acquis que les régimes du Pacte Dutreil s’appliquent aux titres des sociétés holdings animatrices d’un groupe de filiales opérationnelles, mais ceci sous réserve d’inventaire. Une récente décision de la cour d’appel de Paris offre une illustration très concrète de l’appréciation par le juge de la condition de prépondérance de l’activité éligible.

On se souvient que par un arrêt du 14 octobre 2020 n° 18-17.955 « Financière de Rosario », la Cour de cassation, reprenant à la lettre la solution adoptée quelques mois plus tôt par le Conseil d’Etat, a jugé que le régime Dutreil s’applique bien aux transmissions de titres de sociétés ayant une activité mixte sous réserve cependant qu’elles « exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

Appelée à se prononcer sur le cas spécifique d’une holding animatrice de groupe, la Cour a ajouté :

  • d’une part, que les sociétés holdings animatrices doivent être assimilées aux sociétés exerçant une activité mixte,
  • d’autre part, que le caractère principal de l’activité d’animation doit être retenu notamment lorsque, au jour du fait générateur de l’imposition, la valeur vénale des titres des filiales opérationnelles représente plus de la moitié de l’actif total réévalué.

En d’autres termes, il est admis qu’une holding reste éligible aux régimes Dutreil alors même qu’elle exerce une activité dite « patrimoniale », telle que, par exemple, la location d’immeubles, à condition que le contrôle et l’animation de filiales opérationnelles demeure sa principale activité.

Si la Cour de Cassation propose à cet égard, s’agissant d’une holding animatrice de groupe, une approche fondée sur la composition de l’actif du bilan de la holding, mesurée à l’aune des valeurs vénales, la formulation de l’arrêt laisse bien entendre que d’autres critères sont, de manière plus générale, envisageables et susceptibles d’être combinés entre eux. On peut songer ainsi à prendre en considération l’importance des effectifs affectés respectivement au secteur « opérationnel » et au secteur « patrimonial », ou encore la répartition des revenus procurés par chacun de ces deux secteurs.

Saisie de l’affaire « Financière de Rosario » sur renvoi de la Cour de Cassation, la cour d’appel de Paris (24 octobre 2022, n° 21-00555) juge que pour l’appréciation du ratio bilantiel de prépondérance de l’activité éligible, outre les titres de participation dans les seules filiales opérationnelles effectivement animées à cette même date, il convient de retenir au numérateur « les autres actifs [de la holding], qu’ils soient immobilisés ou circulants, affectés à l’animation » de ces filiales ; il en va ainsi :

  • de l’immeuble détenu par la holding et donné à bail à son unique filiale opérationnelle animée, la société Slota, « dont il constitue le site d’exploitation » ; la Cour relève que ce bail « caractérise le service immobilier fourni par la holding animatrice à sa filiale exerçant une activité commerciale », formulation qui fait écho à la définition bien connue des holdings animatrices de groupe ;
  • des créances rattachées aux seuls titres de participation éligibles.

En revanche, le juge exclut du numérateur les bons de souscription d’actions au capital de la sous-holding Financière Slota détenue à hauteur de 77,62 % et exclusivement dédiée, semble-t-il, à la détention de l’unique filiale opérationnelle éligible. La Cour considère que ces BSA « sont par nature des actifs affectés à la gestion patrimoniale de la société holding et de sa filiale mais ne sont pas caractéristiques d’un service fourni par la société holding à la filiale qu’elle anime ». Ce motif est pour le moins singulier dès lors que les BSA étaient porteurs pour la holding de la possibilité d’accroître son taux de détention dans une participation dont le caractère éligible a été admis par le juge. L’histoire ne dit pas si des BSA au capital de la sous-filiale opérationnelle Slota, ou au capital d’une société éligible détenue directement, auraient été admis au numérateur du ratio de prépondérance, mais la réponse devrait rester négative si, à l’instar de la Cour d’Appel de Paris, on devait considérer que la souscription de BSA au capital d’une filiale opérationnelle ne caractérise pas la réalisation d’un service au bénéfice de cette dernière, alors même que de tels bons ont pour seul objet de permettre de participer, à des conditions financières prédéfinies, à l’augmentation de ses fonds propres…

De manière toujours surprenante, la Cour réserve le même traitement aux titres des filiales « en phase de lancement voire d’études de rentabilité » ou, à l’inverse, en procédure de dissolution, au motif que ces « sociétés commerciales soit n’avaient pas encore démarré leur activité commerciale soit n’en avaient plus en raison d’une liquidation en cours, de sorte qu’elles ne pouvaient faire l’objet d’aucune animation effective ». Il est pourtant difficile d’admettre que la constitution d’une filiale dont la vocation commerciale n’est pas contestée, puissent relever de la « gestion patrimoniale » de la holding, alors même qu’à ce stade l’animation ne serait encore qu’embryonnaire – mais pour autant décisive en vue de la création ou du développement d’un groupe opérationnel…

Enfin, la Cour s’est penchée sur le traitement des valeurs mobilières de placement détenues par la holding, qui représentaient en l’espèce un sujet très sensible compte tenu de leur montant (près de 48 % de la valeur de l’actif réévalué).

Le juge n’exclut pas, par principe, leur éligibilité au numérateur du ratio, mais il examine attentivement les arguments avancés par les contribuables au soutien de leur affectation « aux besoins de [l’] activité d’animation ». En l’espèce, il n’a pu se laisser convaincre de la réalité d’une telle affectation faute notamment pour les contribuables de n’avoir produit « aucune pièce de nature à démontrer l’utilisation de cet actif circulant à des fins de trésorerie ou de garantie » pour la holding animatrice elle-même, la filiale opérationnelle ou encore sa sous-holding interposée. On observe que la Cour admet de considérer la question avec un large spectre. Mais, à l’inverse, elle a été réceptive à l’analyse financière de la filiale et de la sous-holding présentée par l’administration fiscale, dont la Cour a pu conclure, au regard de leurs situations respectives de trésorerie, qu’elles disposaient « de liquidités suffisantes pour financer leur propre activité (…) ce qui, en dépit de leur endettement (…) ne permet pas de présumer un besoin de financement au moyen du portefeuille de valeurs mobilières de placement [de la holding] ».

De même, l’argument invoqué en faveur du financement de nouveaux investissements opérationnels n’a pas convaincu la Cour car, malgré les projets d’investissements étudiés au cours de l’année même de la transmission et des trois précédentes, le juge objecte d’une part, que les contribuables ne démontrent pas que les valeurs mobilières de placement de la holding « devaient être utilisées afin de les financer » et, d’autre part, qu’aucun de ces projets n’avait été réalisé à la date de la donation. Cette sévérité illustre bien le principe selon lequel la charge de la preuve repose in fine sur le contribuable1.

En synthèse, on constate que le juge du fond met en œuvre la méthode du « faisceau d’indices » avec le pragmatisme requis par les juges de cassation, qui invitent à se référer à la nature de l’activité du groupe et aux conditions de son exercice.

Dès lors, on peut par exemple s’attendre à ce que soient jugées indifférentes les modalités de détention des immeubles effectivement utilisés par le groupe pour les besoins de ses activités opérationnelles : l’inclusion de tels immeubles au numérateur du ratio d’éligibilité devrait pouvoir être admise en toute occurrence, que ces actifs soient la propriété de la société mère, des sociétés opérationnelles qui les exploitent ou encore de toute société sœur telle qu’une « foncière » intra groupe. Dans un tel contexte, les services vérificateurs commettent à notre avis un contresens lorsqu’ils font prévaloir le caractère patrimonial d’une société foncière au prétexte que ses immeubles sont donnés à bail.

De même, la prise en compte au numérateur du ratio, d’actifs incorporels tels que des brevets, des marques ou des contrats de crédit-bail immobilier mis au service de filiales opérationnelles, ne devrait selon nous pas poser de difficulté.

Reste enfin la délicate question de la trésorerie qualifiée parfois d’« excédentaire » donc « patrimoniale », comme dans l’affaire « Financière de Rosario ». Il est regrettable que le niveau de la trésorerie détenue par une société opérationnelle – filiales et holding – et provenant des activités éligibles – chiffre d’affaires, loyers, redevances de brevets ou de marques, dividendes et encore produits de cession de filiales opérationnelles, etc. – puisse être discuté par l’administration fiscale et par le juge aussi longtemps que se poursuivent les activités qui en sont à l’origine, ou d’autres qui les ont complétées ou remplacées. En effet, il est de la responsabilité du seul chef d’entreprise de déterminer le montant de trésorerie qu’il entend conserver pour faire face à tout projet ou opportunité de développement, voire pour parer les difficultés de toute crise économique(2). De même, il est de sa responsabilité de ne pas donner suite à un projet d’investissement ; on retiendra néanmoins que le chef d’entreprise serait avisé de conserver la trace des modalités de financement envisagées. En résumé et en conclusion, sauf à porter atteinte à la liberté de gestion des entreprises et à admettre l’immixtion de l’administration et du juge dans la marche des affaires, le bon sens commande que l’intégralité de la trésorerie issue de l’exploitation, entendue au sens large, reste présumée être affectée à cette dernière aussi longtemps que l’administration ne rapporte pas la preuve que l’entreprise a définitivement renoncé à en avoir un usage professionnel. A cet égard, le placement de la trésorerie dans l’attente de son utilisation, constitue une simple mesure de gestion et en aucun cas le basculement vers la sphère « patrimoniale ».

 

Par Luc Jaillais, avocat associé, et Vincent Forestier, avocat, CMS Francis Lefebvre
Article paru dans Option Finance le 19/12/2022

[1] Voir sur le sujet Option Finance n° […] « Holding animatrice : au contribuable de faire ses preuves ! » Par Philippe Gosset et Ambroise Roux.
[2] La crise du covid et le fameux PGE qui l’a accompagné, en sont une évidente illustration.

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