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La réforme du droits des contrats | Vers un renforcement de l’efficacité des pactes d’associés et de l’immixtion du juge dans les contrats de cession

La réforme du droits des contrats | Vers un renforcement de l’efficacité des pactes d’associés et de l’immixtion du juge dans les contrats de cession

Les contrats préparatoires, tels que les pactes de préférence et les promesses unilatérales, ont, au fur et à mesure de décisions de principe, vu leur régime défini par la jurisprudence. Dans ce contexte, les auteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 ont pris le parti de définir ces conventions et de clarifier le régime applicable à leur inexécution.

Par ailleurs, en matière d’imprévision, l’article 1195 du Code civil issu de l’ordonnance peut apparaître comme une petite révolution juridique en ce qu’il consacre cette théorie controversée et contredit ainsi la position adoptée par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt Canal de Craponne1. Toutefois, la portée effective qu’aura ce nouvel article sur les contrats de cession de titres demeure encore incertaine.

Une jurisprudence timidement confortée en matière de pactes de préférence

Les conditions relatives à l’exécution forcée d’un pacte de préférence (tels que les droits de préemption, droits de premier refus ou de première offre) ont été définies comme suit par la Cour de cassation : «Si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.»

Face à la rigueur d’une telle solution et à la difficulté d’apporter la preuve de la connaissance par le tiers de l’intention qu’avait le bénéficiaire de se prévaloir des stipulations du pacte litigieux, l’article 1125 du projet de réforme du 25 février 2015 avait supprimé cette condition. Cette novation a toutefois fait long feu, puisque la Chancellerie est depuis revenue sur ses pas en alignant sa position avec celle de la jurisprudence précitée.

En effet, l’article 1123 commence par rappeler que tout contrat passé en violation d’un pacte de préférence avec un tiers peut être sanctionné par l’allocation de dommages et intérêts au profit du bénéficiaire et ce, quand bien même le tiers n’aurait pas eu connaissance du pacte en question. Le texte poursuit en précisant que le bénéficiaire du pacte ne pourra solliciter la nullité du contrat conclu avec le tiers et sa substitution avec ce dernier qu’à la condition de pouvoir démontrer la connaissance par le tiers de l’existence du pacte et son intention de s’en prévaloir.

Ce nouvel article vient, par ailleurs, compléter la solution jurisprudentielle en précisant que «le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir». Cet écrit devra mentionner qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers, ni la nullité du contrat.

Si l’ordonnance a le mérite de confirmer la jurisprudence applicable aux pactes de préférence, elle fait toutefois naître de nouvelles incertitudes quant à la notion de délai raisonnable, à la preuve de la réception de la demande de confirmation faite au bénéficiaire, ou encore à l’intérêt pour le tiers d’effectuer une telle demande avec le risque de recevoir une réponse positive du bénéficiaire (alors qu’en l’absence d’une telle demande de confirmation, ce sera au bénéficiaire de prouver que le tiers avait connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir).

L’efficacité significativement renforcée des promesses unilatérale

La rétractation du promettant rendue impossible

Depuis 1993 et le célèbre arrêt rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation, et en dépit de quelques sursauts jurisprudentiels intervenus depuis, les promesses unilatérales ne pouvaient faire l’objet d’une exécution forcée dès lors que le promettant s’était rétracté avant la levée de l’option par le bénéficiaire.

L’ordonnance de février 2016 entend renverser cette solution, l’article 1124 alinéa 2 prévoyant dorénavant que «la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis». Ainsi, est désormais affirmé le principe selon lequel la formation du contrat, objet de la promesse unilatérale, intervient lors de la levée de l’option par son bénéficiaire, peu important alors que le promettant se soit préalablement rétracté, ou non.

La règle nouvelle, venant renforcer la sécurité juridique des promesses unilatérales, ne pourra que rassurer les praticiens qui n’osaient plus espérer une telle clarification.

Un renforcement considérable des sanctions en cas de cession à un tiers intervenue en violation de la promesse

La protection du bénéficiaire d’une promesse unilatérale se trouve, par ailleurs, considérablement renforcée par le troisième alinéa de l’article 1124 qui précise que «le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul».

Sans même avoir à démontrer que le tiers connaissait son intention de se prévaloir de la promesse, le bénéficiaire a désormais la possibilité d’invoquer la nullité du contrat passé en violation de ses droits. Néanmoins, contrairement au régime applicable aux pactes de préférence, la faculté pour le bénéficiaire de demander en justice sa substitution dans les droits du tiers acquéreur, qui aurait acquis les titres, objet de la promesse, en violation de celle-ci, n’est pas expressément prévue par le texte.

Ce dernier écueil pourrait toutefois être évité et le transfert forcé des titres au profit du bénéficiaire serait envisageable car la cession au tiers étant nulle, l’exécution forcée de la vente ne sera plus impossible.
Le nouveau régime juridique garantit désormais l’efficacité des promesses unilatérales, dans la mesure où la rétractation du bénéficiaire est dorénavant sans effet sur la formation de la promesse, laquelle pourra en outre faire l’objet, au profit du bénéficiaire, de mesures d’exécution forcée, dès lors que les engagements pris en violation de celle-ci auront été violés.

L’efficacité toujours incertaine des clauses dites de drag-along et de tag-along

Nombreux sont les pactes d’associés prévoyant des mécanismes d’entraînement reposant, soit sur une clause de sortie forcée (drag-along), soumettant un associé à une obligation de céder ses titres aux mêmes conditions que celles applicables à l’associé à l’initiative d’un projet de cession, soit sur une clause de sortie conjointe (tag-along), aux termes de laquelle l’associé souhaitant céder sa participation à un tiers s’engage à faire racheter les titres d’un autre associé, aux mêmes conditions que celles applicables à la cession de ses propres titres.

Dans le cadre d’une clause de sortie forcée, celle-ci bénéficiant directement au tiers acquéreur, elle s’analyse alors en une stipulation pour autrui. Or, dans la continuité des apports jurisprudentiels antérieurs, l’ordonnance a précisé les effets de la stipulation pour autrui à l’égard du tiers en conférant à ce dernier, aux termes de l’article 1206, un droit direct à la prestation, et ce, à compter de la stipulation.

Par conséquent, dans la mesure où le tiers acquéreur bénéficie d’un droit de créance direct à l’encontre de l’associé débiteur de l’obligation de céder, il semblerait permis audit tiers de demander, sur le fondement de l’article 1221 de l’ordonnance, l’exécution forcée des engagements pris par ledit associé aux termes de la clause de sortie forcée.

La situation se pose en des termes différents en matière de clause de sortie conjointe prévoyant un engagement par un associé de faire racheter, par le tiers cessionnaire, les titres d’un autre associé, ladite clause prenant alors la forme d’une promesse de porte-fort. En effet, malgré une jurisprudence affirmant que «l’inexécution de la promesse de porte-fort ne peut être sanctionnée que par la condamnation de son auteur à des dommages et intérêts», est restée un temps en suspens la question de savoir si le bénéficiaire d’une clause de sortie conjointe pourrait demander en justice l’acquisition de ses titres par le porte-fort en cas d’inexécution par le tiers acquéreur des engagements pris aux termes de ladite clause.

Si l’article 1204, tel qu’issu de l’ordonnance, semble définitivement trancher ce débat en confirmant le principe d’une condamnation du porte-fort à des dommages et intérêts en cas d’inexécution par le tiers du fait promis, le texte en revanche ne mentionne nullement le traitement qu’il conviendrait, dans ces hypothèses, de réserver audit tiers.

Il semble cependant bien illusoire d’espérer obtenir la condamnation d’un tiers à l’exécution forcée d’une obligation née d’un contrat auquel ce dernier n’est pas partie. Néanmoins, il convient à cet égard de rappeler la décision de la cour d’appel de Versailles en date du 14 octobre 2004, affirmant que «la clause par laquelle les majoritaires s’engagent à faire en sorte que les minoritaires puissent, à leur convenance, céder prioritairement tout ou partie des titres qu’ils détiennent, s’analyse en une obligation de faire susceptible d’exécution forcée dès lors qu’il n’est pas établi que cette obligation se heurterait à une impossibilité matérielle, juridique ou morale». Le nouvel article 1221, consacrant cette solution jurisprudentielle, ne constituerait-il pas alors le terrain sur lequel se placer à l’effet de revendiquer une efficacité renforcée des clauses de sortie conjointe ? Les praticiens réfléchiront également très certainement à la possibilité d’intégrer des mécanismes de promesses au sein de ces clauses, en vue de bénéficier de l’efficacité du nouveau régime étudié au paragraphe II ci-avant.

Conventions de vote : l’exécution forcée rendue possible ?

Les tribunaux se sont toujours montrés réticents à l’idée de prononcer l’exécution forcée des conventions de vote en se fondant sur la lettre de l’article 1142 du Code civil qui sanctionne l’inexécution de toute obligation de faire par des dommages et intérêts.

La rédaction du nouvel article 1221 permettra-t-elle d’outrepasser le principe, jugé incontournable par la jurisprudence, du libre exercice du droit de vote lors des assemblées, dès lors qu’il consacre le droit pour le créancier d’une obligation d’en poursuivre l’exécution en nature, sauf impossibilité ou disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ? Le doute subsiste tant il apparaît que la notion d’exécution forcée bute sur le caractère éminemment personnel du droit de vote. Droit fondamental de l’associé, il serait par nature incompatible avec toute contrainte extérieure, de sorte que l’associé ne pourrait être réellement contraint par le juge à exécuter un engagement de voter dans un certain sens qu’il aurait pu précédemment prendre. On suppose par ailleurs que dans la plupart des cas, l’annulation des décisions d’assemblée ne sera pas possible.

L’incidence de l’obligation de renégocier en cas de changement de circonstances sur les contrats de cession

Le renforcement attendu des stipulations contractuelles encadrant la gestion de la période intercalaire

Face au rejet par le juge de toute faculté de révision des contrats en cas de déséquilibre provoqué par les circonstances au nom du principe d’intangibilité du contrat, les opérateurs économiques ont su s’adapter pour anticiper ces risques de bouleversement.

Dans les contrats de cession de titres, la stipulation de clauses dites MAC («material adverse change») s’est donc largement développée afin de permettre à l’acquéreur de se prémunir contre tout événement imprévisible entre la période de signing (date de conclusion du contrat) et de closing (date de réalisation de la cession) qui rendrait l’exécution du contrat particulièrement difficile pour lui. En présence d’une telle clause, la survenance d’un changement significatif défavorable permet alors à l’acquéreur potentiel, dans les conditions prévues audit contrat, de se libérer de ses engagements contractuels et de ne pas procéder à l’acquisition projetée.

On peut s’interroger sur le point de savoir si le législateur n’a pas souhaité définir une sorte de MAC implicite. L’article 1195 de l’ordonnance prévoit en effet un mécanisme permettant au juge de réviser le contrat en cas de «changement de circonstances imprévisible rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque». Les notions de «changement de circonstances imprévisible» et d’«exécution excessivement onéreuse pour une partie» laissent un large pouvoir d’appréciation au juge pour en définir les contours. S’agira-t-il de prendre en compte les changements de circonstances économiques, financières et juridiques ? L’excessive onérosité du changement devra-t-elle être analysée à l’aune de l’économie globale du contrat, de la situation financière personnelle de ladite partie ou faudra-t-il considérer d’autres critères objectifs ?

Les praticiens souhaiteront vraisemblablement définir eux-mêmes, et de manière objective, ce qui pourrait constituer un cas de révision pour imprévision.

Un encadrement plus strict des risques assumés par chacune des parties à une garantie d’actif et de passif

Le nouvel article 1195 prévoit non seulement une condition d’application liée à l’évolution des circonstances, mais également une autre relative à l’acceptation ou non du risque par la partie qui subit l’exécution devenue particulièrement onéreuse. Ainsi, la faculté donnée au juge de réviser le contrat se verra largement amoindrie dès lors que les parties auront expressément accepté, dans le corps du contrat, de supporter tel ou tel risque.

S’il est généralement d’usage d’insérer des plafonds permettant de limiter le montant des sommes qui pourraient être dues par le cédant, la mise en place du nouvel article 1195 devrait conduire à généraliser sans exception cette clause en prévoyant, le cas échéant, des plafonds différenciés en fonction des risques pouvant être couverts par la garantie, de sorte que le vendeur accepte l’ensemble des risques dont le montant est inférieur audit plafond et que l’acquéreur assume les risques pour le montant excédant ce plafond.

Il est toutefois à craindre qu’à défaut d’encadrement contractuel strict des risques assumés par chacune des parties, et au vu des incertitudes qui entourent l’application de ce texte, tant au regard du concept d’imprévisibilité que de la notion d’onérosité de l’exécution des obligations contractuelles, des contentieux surviennent avant que ne soient définis de façon plus précise les contours de ce nouveau dispositif.

Note

1 Cass. civ., 6 mars 1876, D 1876.1.193

 

Auteurs

Christophe Blondeau, avocat associé en droit des sociétés
Jean-Robert Bousquet, avocat associé en Coporate/Fusions & Acquistions
Thomas Hains, avocat en Corporate/Fusions & Acquisitions
Arnaud Hugot, avocat associé en Corporate/Fusions & Acquisitions
Christophe Lefaillet, avocat associé spécialisé en droit des sociétés