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Instagrameurs, blogueurs, youtubeurs : quel statut juridique pour les «influenceurs» ?

Instagrameurs, blogueurs, youtubeurs : quel statut juridique pour les «influenceurs» ?

Depuis quelques années, les marques font évoluer leurs stratégies de communication pour accroître leur visibilité grâce au marketing d’influence qui leur permet de délivrer des messages commerciaux par l’entremise de personnes influentes sur les réseaux sociaux, les « influenceurs ».


Cette pratique se développe à une vitesse telle que certains d’entre eux en tirent leur principale source de revenus.

Contrat de cession de droit à l’image, contrat de prestation de service, contrat de travail, etc, il est pourtant difficile de déterminer avec certitude le cadre juridique dans lequel intervient « l’influenceur » et ce, d’autant plus que le recours au marketing d’influence revêt des situations très diverses.

Le marketing d’influence : un nouveau levier de développement commercial pour les marques

Le marketing d’influence consiste à utiliser le potentiel de recommandation et la notoriété d’un « influenceur » pour faire la publicité d’un produit ou d’une marque.

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) définitif l’influenceur comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, par écrit, audio et/ou visuel, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie« .

On retrouve les influenceurs sur tous les réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat, Facebook ou encore YouTube.

Depuis quelques années, ces « influenceurs » constituent des leviers marketing de choix pour les marques, ces derniers adoptant un rôle de prescripteurs auprès de leurs communautés virtuelles composées, parfois, de plusieurs millions d’abonnés.

Les marques ont rapidement compris l’intérêt de recourir à ces « influenceurs » pour « placer » leurs produits auprès d’un public considérable, ciblé et souvent plus ouvert au message marketing et publicitaire d’un « influenceur » en qui ils peuvent potentiellement s’identifier.

Le recours inévitable à un contrat de mannequin ?

Les partenariats entre les marques et les « influenceurs » sont protéiformes : ces derniers peuvent vanter en toute indépendance les mérites d’un produit qu’ils ont reçu à titre gracieux, réaliser une vidéo ou un article sponsorisé avec des impératifs rédactionnels ou visuels ou encore s’intégrer dans une relation pérenne d’égérie d’une marque ou d’un produit.

Il n’existe donc pas de contrat « type ».

On peut ainsi légitimement s’interroger sur l’éventuelle relation de travail qui se noue entre un « influenceur » appelé à devenir l’ambassadeur d’un produit et à se voir, notamment, imposer le contenu éditorial de ses publications internet ou la participation à certains événements, et la marque qu’il représente.

Dans ce contexte, il semble en effet difficile d’échapper à la définition légale de l’activité de mannequin de l’article L.7123-2 du Code du travail :

« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée :
1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ;
2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image ».

L’article L.7123-3 du Code du travail précise ensuite que tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail.

Dans une circulaire du 20 décembre 2007, l’administration est par ailleurs venue préciser que « peu importe à cet égard la notoriété ou l’âge de la personne et qu’elle exerce cette activité à titre occasionnel ou professionnel, ou qu’elle exerce une autre profession à titre principal ».

Si le contrat conclu avec « l’influenceur » est un contrat de mannequin, se pose ensuite la question du motif de recours au contrat de travail à durée déterminée.Le recours à un CDD d’usage ne semble pas envisageable dès lors que l’article D.1242-1 du Code du travail qui liste les secteurs d’activités dans lesquels il est possible d’y recourir ne vise pas l’activité de mannequinat.

La Cour de cassation (Cass. Soc. 7 déc. 1994, n°90-41.887) a par ailleurs confirmé que : « L’activité de mannequin, qui consiste à présenter au public des articles de mode, ne peut se rattacher à aucun des secteurs d’activité visés à l’article D.121-2 (D.1242-1) du Code du travail dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus ».

De plus, le recours à un CDD pour accroissement temporaire d’activité peut également s’avérer délicat, la Cour de cassation ayant jugé (Cass. Soc. 5 mai 2009, n°07-43.482) que « le seul fait du lancement de nouveaux produits qui relève de l’activité normale de l’entreprise ne pouvait suffire à caractériser un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise propre à justifier le recours au contrat de travail à durée déterminée ».

La question de l’application du droit du travail à une relation plus éphémère avec un « influenceur » est beaucoup plus ténue.

On pourrait être tenté de considérer que l’allocation de produits par une marque en contrepartie de la cession du droit à l’image ne permet pas de caractériser l’existence d’un contrat de travail.

La cour d’appel de Paris n’a cependant pas été de cet avis dans un arrêt qui pourrait potentiellement être transposé à la situation de certains « influenceurs » (CA Paris, 5 oct. 2016, n°13/11535).

Un modèle avait conclu un contrat de « prise de vue et de cession des droits d’image » avec une société de confection de vêtements. Ce contrat prévoyait deux jours de prises de vue effectuées « à titre gracieux » en échange de l’attribution au modèle de vêtements de son choix par la société d’une valeur de 1 000 euros.

Soutenant qu’il était lié par un contrat de travail avec la société et que la rupture des relations contractuelles devait s’analyser en un licenciement abusif, le modèle a saisi le Conseil de prud’hommes puis la cour d’appel de Paris.

Cette dernière a fait droit à ses demandes au visa des articles L.7123-2 et L.7123-3 du Code du travail en jugeant que le modèle avait la qualité de mannequin puisqu’il avait été engagé par la société pour être photographié après avoir revêtu des vêtements de la marque, la photo étant reproduite sur un livret réalisé à des fins publicitaires et, qu’à cet égard, le mode, le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties importait peu.

Dans ce cadre, les incidences financières ne sont pas anecdotiques puisqu’une telle requalification conduit au versement d’une indemnité de requalification d’un mois de salaire au minimum, d’une indemnité de préavis et d’éventuels dommages-intérêts pour licenciement abusif.

La Cour d’appel est allée plus loin puisqu’elle a également considéré que le délit de travail dissimulé était caractérisé ce qui impliquait le versement au modèle d’une indemnité forfaitaire correspondant à six mois de salaires (soit 65 010 euros au cas présent).

En raison de cette situation d’insécurité juridique pour les marques, il est absolument nécessaire que le législateur intervienne pour tenir compte des mutations économiques actuelles et clarifie le statut de ces nouveaux acteurs dont on ne peut plus ignorer l’existence.

 

Auteurs

Thierry Romand, avocat associé, droit social

Virginie Séquier, avocat, droit du travail

 

Instagrameurs, blogueurs, youtubeurs : quel statut juridique pour les « influenceurs » ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 18 juin 2018

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