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La protection du salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, même si les faits ne sont pas établis, sous réserve de sa mauvaise foi

La protection du salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, même si les faits ne sont pas établis, sous réserve de sa mauvaise foi

La lutte contre le harcèlement moral a pour corollaire une protection du salarié victime ou témoin de tels agissements.

Ainsi selon l’article L1152-2 du Code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements constitutifs de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

La Cour de cassation a rappelé dans deux arrêts du 10 juin 2015 ce principe de protection et ses conséquences, à savoir l’impossibilité pour l’employeur de sanctionner le salarié ayant dénoncé de tels faits, qui est présumé de bonne foi. Cette jurisprudence permet de revenir sur les démarches à engager en cas de dénonciation d’une situation de harcèlement moral et des suites susceptibles d’être envisagées lorsque les faits de harcèlement ne sont pas établis.

Comment réagir lorsque le salarié prétend subir une situation de harcèlement moral?

L’employeur est soumis à une obligation de prévention du harcèlement moral et de sécurité de résultat à l’égard du salarié. Sa responsabilité pourrait être mise en cause s’il ne réagit pas ou agit tardivement.

Tout d’abord, il convient donc d’identifier si les faits dont s’estime victime le salarié caractérisent ou non une situation de harcèlement moral, à savoir des agissements répétés de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Une enquête menée sur des bases objectives, en impliquant les parties en présence, permettra de déterminer les circonstances de faits dans lesquelles la plainte est intervenue et de vérifier si la situation est susceptible de constituer un harcèlement. Un compte rendu écrit des démarches et entretiens est conseillé afin d’en conserver d’une trace écrite. De tels éléments seront en effet utiles notamment si un contentieux est engagé par le salarié s’estimant victime de harcèlement (que ce soit au titre d’une demande de dommages et intérêts pour la réparation du préjudice subi ou dans le cadre d’une prise d’acte du salarié ou d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur), pour justifier le cas échéant que la situation n’était pas établie.

A l’issue de l’enquête, si la Direction estime que les faits sont avérés, elle prendra les mesures nécessaires en vue de faire cesser les agissements du salarié harceleur et de protéger la victime.

En revanche, si elle considère que les faits n’existent pas ou qu’ils ne caractérisent pas un harcèlement moral, elle peut, après information des parties en cause, ne pas donner suite à la plainte. Le cas échéant, des mesures pourront être envisagées aux fins d’aider le salarié qui a fait état d’une situation de détresse.

Lorsque le harcèlement moral n’est pas établi, la dénonciation ne justifie pas en tant que telle une sanction du salarié. Seule l’accusation de harcèlement portée de mauvaise foi est susceptible de justifier une sanction disciplinaire

  • La dénonciation de faits de harcèlement moral ne saurait écarter la protection prévue à l’article L. 1152-2, alors même que les faits ne sont pas établis.

Ainsi, l’employeur ne peut reprocher au salarié d’avoir dénoncé des faits constitutifs selon ce dernier de harcèlement moral, quand bien même il ne rapporterait pas d’élément permettant d’attester de cette situation.

  • En effet, seule l’accusation de harcèlement portée de mauvaise foi pourrait donner lieu à une sanction disciplinaire du salarié, sous réserve que sa mauvaise foi soit établie par l’employeur.

C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans les deux arrêts du 10 juin 2015, en considérant que le seul fait d’avoir porté des accusations infondées ne caractérisait pas la mauvaise foi des intéressés qui ne peut résulter que «de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés».

Dans la première espèce (Cass.soc. 10 juin 2015, n°13-25.554), la Cour de cassation a confirmé la nullité du licenciement pour faute grave, notifié à un salarié au motif notamment des accusations infondées de harcèlement moral qu’il avait portées, dès lors que sa mauvaise foi n’était pas établie par l’employeur. Dans ce cas, la Cour de cassation rappelle qu’il n’y avait pas lieu d’analyser les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement.

Le second arrêt (Cass.soc. 10 juin 2015, n°14-13.318) concernait une apprentie ayant accusé de harcèlement moral et sexuel son employeur. Considérant les accusations infondées, ce dernier avait demandé la résiliation judiciaire du contrat d’apprentissage. La Cour de cassation a jugé qu’une telle situation ne justifiait pas la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’apprentie, la mauvaise foi de cette dernière n’étant pas caractérisée.

La preuve de la mauvaise foi du salarié est strictement définie par la Jurisprudence : il convient de démontrer que le salarié avait pleinement connaissance, au moment de la dénonciation des faits, de leur caractère mensonger (Cass.soc. 7 février 2012, n°10-18.035). Il ne s’agit donc pas simplement d’établir que les accusations sont infondées ou que les faits ne sont pas établis.

Dans ces conditions, la mauvaise foi du salarié peut s’avérer délicate à établir.
La Cour de cassation a néanmoins considéré que cette mauvaise foi était caractérisée lorsque les juge ont constaté le caractère mensonger des accusations de harcèlement mais également une intention de nuire, l’intéressé ayant eu pour but notamment de déstabiliser l’entreprise et de nuire au cadre responsable de son service (Cass.soc. 6 juin 2012 n°10-28345).

Dès lors, s’il envisage de sanctionner le salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral non établis, l’employeur doit donc prouver, non seulement qu’il n’y a pas de harcèlement moral, mais aussi que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits dénoncés.

La prudence s’impose donc, et il est recommandé de réunir en amont les éléments permettant d’attester la mauvaise foi du salarié dans ce cas de figure.

 

Auteur

Maïté Ollivier, avocat, en droit social

 

*La protection du salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral, même si les faits ne sont pas établis, sous réserve de sa mauvaise foi* – Article paru dans Les Echos Business le 29 juin 2015
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