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L’administrateur référent, illustration de la ductilité du droit français

A l’heure où la rigidité (relative) de notre droit est à nouveau mise en avant, l’occasion nous est donnée de rappeler qu’il existe aussi en matière de corporate gouvernance des espaces de liberté et de créativité propres à faire vivre pleinement la personnalité de chaque organe de direction et, à travers lui, de chaque entreprise. L’administrateur référent en est un exemple.

Nées outre-Atlantique d’une volonté d’instaurer au sein du conseil de direction un contre-pouvoir au président directeur général, les fonctions d’administrateur référent ne relèvent à ce jour d’aucune disposition véritablement spécifique du droit français des sociétés. Si l’autorégulation s’est saisie de ce sujet de droit à l’initiative de l’AMF, le code AFEP-MEDEF révisé ne suggère toutefois que deux mesures d’encadrement relatives à la transparence des attributions et à la fixation de la rémunération de cet administrateur un peu particulier.

L’évolution logique est tout autant que bienvenue. A la suite de l’incitation à l’entrée plus nombreuse d’administrateurs indépendants, l’émergence au sein du conseil d’un pôle d’indépendants, impliqués moins dans les affaires courantes et l’opérationnel que dans la prévention des conflits d’intérêts et l’amélioration du fonctionnement du conseil, appelle à mieux organiser la représentation de ces administrateurs au sein de l’organe collégial. Une deuxième raison au moins incite à recourir à cette fonction : loin de constituer un élément de communication institutionnelle, elle témoigne dans les groupes internationaux de la volonté de se doter d’un fonctionnement aux meilleurs standards de place, moins sujet aux conflits d’intérêts dont la belle vieille Europe est parfois le lit.

Chacun est bien entendu libre d’apprécier l’acuité de ce besoin mais il nous apparaît souhaitable de recommander cette extension des fonctions de l’un des administrateurs lorsque le fonctionnement du conseil ou l’actionnariat de la société atteint un certain degré de complexité.

Dans ce contexte, il convient de souligner la ductilité particulière de notre droit dans le traitement de ce nouveau venu dans le paysage français.

Ductilité, tout d’abord dans le fondement des attributions de l’administrateur référent, qui des statuts à une délibération du conseil en passant par le règlement intérieur ou encore une charte, convient bien à un rôle qui se situe généralement dans le prolongement des missions traditionnelles de l’administrateur.

Ductilité ensuite, en ce que notre droit admet déjà l’inégalité de traitement entre administrateurs s’agissant de leur rémunération par la liberté de répartition des jetons de présence. La soumission à la procédure des conventions réglementées sur le fondement des « missions exceptionnelles » de l’article L 225-46 du code de commerce ne nous apparaît pas adaptée à des fonctions qui par construction revêtent ici un caractère permanent et s’inscrivent dans le cadre normal des fonctions d‘administrateur (voir A. Charvériat – A. Couret – B. Zabala , Mémento Sociétés Commerciales 2014, EFL, n° 41070). Là nous semble être la frontière.

L’acclimatation à notre système juridique ne pose pas tant des questions de champ de compétences – il ne saurait à notre avis être valablement question de retirer quelques pouvoirs propres au Président – que de détermination de fonctions parfois nouvelles en demeurant dans le prolongement des fonctions d’administrateurs et dans l’esprit de la corporate governance : organiser et coordonner les travaux des administrateurs indépendants ; participer aux comités dans le respect de la condition d’indépendance ; évaluer les travaux de la présidence exécutive.

Lorsqu’il est envisagé de confier à cet administrateur la mission d’interlocuteur des actionnaires non représentés au conseil, complémentaire de celle du Président, il convient de veiller à prendre en compte les attentes actionnariales mais aussi d’agir avec mesure : outre l’évident respect de la réglementation des abus de marché, elle ne doit pas aboutir à un canal récurrent de diffusion d’information, sous peine de brouiller la délicate répartition des rôles du Président, du directeur général et de la direction de la communication.

Ainsi sous réserve de bien penser et organiser cette fonction comme le prolongement des fonctions d’administrateur dans le cadre d’un fonctionnement courant et normal du conseil, il s’en déduira utilement que le régime de responsabilité (civile, pénale, quasi-pénale) des administrateurs applicable sera le régime de droit commun, assorti toutefois d’une obligation de reddition de comptes à destination, à tout le moins, du conseil.

 

A propos de l’auteur

Bruno Zabala, avocat au sein du département de la doctrine juridique.

 

Analyse juridique parue dans la revue Option Finance du 9 décembre 2013