Les arrêts du 10 septembre 2025 sur les congés payés ou le syndrome du juge légiférant
16 septembre 2025
La chambre sociale de la Cour de cassation a poursuivi, mercredi 10 septembre 2025, la réécriture des dispositions du Code du travail relatives aux congés payés.
D’un côté, elle a jugé qu’il résulte de l’article L.3141-3 du Code du travail interprété à la lumière de l’article 7 de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 que le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie. Cette « interprétation » sans rapport avec la lettre du texte est la transposition d’une décision de la Cour de justice.
De l’autre, elle a modifié l’article L.3121-28 dont il s’infère que les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail sont du temps de travail effectif, pour lui faire dire que, lorsque le salarié a été partiellement en situation de congé payé au cours de la semaine, il peut prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine. C’est là encore la transposition d’une décision de la Cour de justice.
La méthode, qui était déjà celle des arrêts du 13 septembre 2023, est toujours aussi incongrue. Une chose est le contrôle de conventionnalité qui relève des prérogatives de la Cour de cassation, autre chose est la réécriture de la loi nationale pour les besoins de sa mise en conformité avec la jurisprudence européenne.
La chambre sociale n’aurait pas compétence pour pallier la défaillance du législateur et transposer une directive qui ne l’aurait pas été dans le délai prescrit en modifiant à cet effet le droit national. Elle s’octroie pourtant ce pouvoir pour transposer une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interprétant une directive. Cela n’a rien d’évident.
En se substituant ainsi au législateur national, elle en préempte l’action. Son premier arrêt, en l’occurrence, a coupé court à une procédure de la Commission européenne qui avait envoyé à la France, le 18 juin dernier, une demande d’information en application de l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sur la question de la récupération des jours de congé annuel ayant coïncidé avec un arrêt maladie survenu au cours d’une période de congé. En l’absence de réponse jugée satisfaisante, la Commission avait la possibilité, en application du TFUE, d’émettre un avis motivé. Mais la chambre sociale a estimé de son pouvoir d’interférer dans la procédure.
Dans le second arrêt prescrivant la neutralisation des jours de congé pris au cours d’une semaine pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, la chambre sociale a purement et simplement réécrit l’article L.3121-28 du Code du travail et elle l’a fait, non pas par voie de retranchement comme elle avait procédé en septembre 2023 en écartant partiellement une partie du texte, mais en substituant une règle de sa composition. Son action va donc bien au-delà de la possibilité qu’elle se reconnaît de « laiss[er] au besoin inappliquée la réglementation nationale ».
Ce forçage normatif interroge. Bien sûr, le législateur national peut reprendre la main et exercer les compétences dont il est constitutionnellement investi. Le champ des possibilités est large, à commencer par prendre en considération la durée du congé annuel prévu par la directive interprétée par la Cour de justice, qui est de quatre semaines.
S’il décidait de faire évoluer le droit national sur la question du report des congés payés en cas de maladie, le législateur devrait régler la question de la durée des congés reportés et des modalités de report. Et s’il décidait de modifier le droit national pour prévoir l’incidence de la prise de congé sur la détermination des heures supplémentaires, l’occasion pourrait être prise de rectifier la jurisprudence de la chambre sociale sur le régime de la preuve, qui pèse de fait sur l’employeur, ou sur les conditions de leur accomplissement lorsque l’employeur ne l’a pas demandé, voire qu’il s’y est opposé.
Il reste qu’une intervention législative n’est pas, pour le moment, d’actualité. En attendant, les juridictions devraient donc appliquer le droit tel qu’il est codifié et se soumettre à l’impératif de l’article 5 du Code civil qui leur interdit – comme à la Cour de cassation – de « prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Dit autrement, les juges du fond seraient inspirés de ne pas se sentir obligés par les arrêts de règlement du 10 septembre.
Auteur
Professeur Grégoire Loiseau, responsable de la Doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre Avocats
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