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Temps de travail, temps de repos : quelles obligations pour l’employeur à l’égard des salariés en télétravail ?

Temps de travail, temps de repos : quelles obligations pour l’employeur à l’égard des salariés en télétravail ?

Pour rappel, en matière de contentieux relatifs à la durée du travail, notamment ceux qui concernent l’accomplissement d’heures supplémentaires, l’article L.3171-4 du Code du travail impose au salarié de fournir des «éléments» à l’appui de ses demandes et à l’employeur de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

 

Plus précisément, depuis un arrêt du 18 mars 2020, la Cour de cassation impose que le salarié présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments (Cass. soc., 18 mars 2020 n°18-10.919 et 18-26.385).

 

A l’inverse, la preuve du respect du temps de repos, corollaire de l’obligation de sécurité, pèse exclusivement sur l’employeur.

 

A l’heure du développement du télétravail qui rend la frontière entre vie privée et professionnelle de plus en plus floue, l’arrêt du 14 décembre 2022 (Cass. soc., 14 décembre 2022 n°21-18.139) est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler que ces principes sont également applicables aux salariés en situation de télétravail.

 

Les circonstances de l’affaire

 

Dans cette affaire, un salarié engagé en qualité de chef de projet a signé le 12 novembre 2013, à sa demande, un avenant au contrat de travail lui accordant la possibilité d’exercer son activité deux jours par semaine sur site et trois jours par semaine à domicile.

 

Après avoir indiqué à son psychiatre qu’il était épuisé par son travail, ce salarié s’est donné la mort sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail.

 

Ses ayants droit ont saisi la juridiction prud’homale le 16 juin 2016 en paiement des heures supplémentaires non rémunérées et de dommages-intérêts pour violation du droit au repos et pour violation du droit à la vie privée et familiale.

 

En première instance, l’employeur a été condamné sur chacun de ces chefs de demande. En appel, la Cour d’appel de Versailles a, au contraire, donné raison à l’employeur en retenant que les éléments produits par les demandeurs n’étaient pas suffisamment précis quant aux heures de travail non rémunérées qui auraient été accomplies par le salarié.

 

Pour la Cour d’appel, ces éléments ne permettaient donc pas à l’employeur d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.

 

En effet, s’agissant, d’une part, de la demande de paiement des heures supplémentaires, la Cour d’appel a retenu que :

 

    • le tableau de décompte des temps de travail du salarié transmis contenait des incohérences en ce qu’il ne mentionnait pas notamment la prise de temps de vacances sur les années 2011 et 2012, contrairement à 2013 ;
    • les indications portées par l’inspection du travail dans son rapport, rédigé à l’occasion du décès du salarié, ne donnaient que quelques exemples disséminés sur les mois examinés pour relever ponctuellement des heures d’arrivée sur le site et de départ. L’envoi de mails professionnels notamment ne démontrait pas que le salarié a travaillé en temps continu jusqu’à cet envoi ou après cet envoi et, dans l’ignorance de leur teneur, la Cour considérait être dans l’incapacité de savoir s’il s’agissait de l’envoi d’un travail ou d’une transmission formelle ;
    • les attestations transmises et notamment celles des ayants droit indiquant qu’il travaillait beaucoup, le soir, le week-end et pendant les vacances ne pouvaient pas être retenues, nul ne pouvant se faire une preuve à soi-même.

 

S’agissant d’autre part du respect des temps de repos, les juges du fond ont débouté les ayants droit de leur demande de dommages et intérêts pour violation du droit au repos, au motif que s’il résultait des éléments produits que le salarié travaillait «beaucoup», il n’était pas démontré la violation par l’employeur de la législation sur le droit au repos, alors que le salarié effectuait deux jours en télétravail à son domicile et conservait une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements et que l’amplitude horaire entre le premier mail envoyé par le salarié et le dernier, sans en connaître d’ailleurs la teneur pour savoir s’il correspondait à un travail effectif de sa part, ne permet pas d’affirmer que le salarié était en permanence à son poste de travail et qu’il ne bénéficiait pas normalement de ses repos quotidiens.

 

Un pourvoi a ainsi été formé par les ayants droit.

 

La solution apportée par la Cour de cassation et sa portée

 

La Cour de cassation ne retient pas la position de la Cour d’appel sur chacune des deux demandes.

 

Tout en rappelant son arrêt de principe, selon lequel le demandeur doit «présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments», elle décide, au cas particulier, que les ayants droit ont présenté des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre et qu’en rejetant leur demande alors que l’employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, le juge du fond a fait peser la charge de la preuve sur les seuls ayants droit.

 

Elle ajoute que la preuve du respect des temps de repos hebdomadaires et quotidiens incombe à l’employeur.

 

Les conséquences pratiques de cet arrêt

 

L’employeur doit donc être vigilant concernant le respect de la durée du travail de ses salariés qui exercent une partie de leur activité en télétravail. Cette organisation du travail n’exonère pas l’employeur de s’assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec sa durée du travail. Il doit notamment apporter une attention particulière au respect des temps de repos du salarié.

 

D’un point de vue pratique, il peut être opportun de cadrer le recours au télétravail par la signature d’un accord collectif ou l’élaboration d’une charte télétravail et d’y préciser notamment les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge du travail ainsi que la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail (art. L.1222-9, 3° et 4° du Code du travail).

 

Enfin, les employeurs doivent pouvoir assurer l’effectivité du droit à la déconnexion afin de pouvoir prouver le respect du temps de repos minimum.

 

Caroline Froger-Michon, Avocat associé et Candice Lachenaud-Zucconi, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

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