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Validité du forfait-jours : la saga judiciaire continue !

Validité du forfait-jours : la saga judiciaire continue !

Depuis son entrée en vigueur en 2001, la validité du forfait jours défraie régulièrement la chronique judiciaire et la Cour de cassation a invalidé les conventions individuelles de forfait annuel en jours conclues en application de nombreux accords de branche, faute de garanties suffisantes pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés (Cass. soc., 31 janvier 2012 n° 10-19.807 ; Cass. soc., 24 avril 2013 n° 11-28.398 ; Cass. soc., 13 novembre 2014 n° 13-14.206).

 

Pour sécuriser le forfait jours, la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dite «loi Travail», a intégré l’essentiel des exigences jurisprudentielles dans les dispositions légales.

 

C’est ainsi que l’article L.3121-64 du Code du travail précise désormais les mentions qui doivent obligatoirement figurer dans un accord collectif instituant un forfait annuel en jours, notamment en ce qui concerne les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail.

 

Le contrôle de la Cour de cassation se concentre donc désormais sur les mesures prévues par l’accord pour assurer le suivi régulier de la charge de travail (V. concernant la convention collective nationale (CCN) des commerces de détail non alimentaires, Cass. soc., 14 déc. 2022, n°20-20.572).

 

Par trois arrêts récents rendus le 5 juillet 2023 (n°21-23.222 ; 21-23.387 et 21-23.294), la Cour de cassation donne une nouvelle illustration de l’étendue de son contrôle et des conditions à remplir par l’accord collectif instituant le forfait jours pour ne pas encourir la nullité de ses stipulations.

 

Faits d’espèce 

 

Dans chacune de ces trois affaires, un salarié avait saisi le conseil de prud’hommes dans le but d’obtenir la nullité de sa convention individuelle de forfait jours en raison de l’insuffisance des dispositions conventionnelles issues des accords instituant le forfait en jours au regard, notamment, du respect du droit au repos.

 

La cour d’appel avait :

 

    • validé, dans deux affaires (n°21-23.222 et n°21-23.387), le dispositif de forfait jours prévu, respectivement, par la convention collective du commerce et de la réparation automobile et celle des prestataires de service dans le domaine du secteur tertiaire ;
    • invalidé, dans la troisième affaire (n°21-23.294), les dispositions conventionnelles en matière de forfait jours prévues par la convention collective des employés, techniciens et agents de maitrise (ETAM) du bâtiment et reconnu la nullité de la convention individuelle de forfait.

 

Or, la Cour de cassation casse et annule, dans chaque affaire, l’arrêt rendu par la cour d’appel et, ainsi :

 

    • invalide le dispositif de forfait en jours dans les deux premières (n°21-23.222 et n°21-23.387) ;
    • mais valide celui-ci dans la troisième affaire (n°21-23.294).

 

Retour sur les justifications afférentes à ces différentes solutions.

 

Des dispositions conventionnelles insuffisantes pour assurer un suivi effectif et régulier de la charge de travail

 

Deux des trois décisions rendues le 5 juillet déclarent nulles les conventions individuelles de forfait jours conclues, en considérant que les dispositions de l’accord de branche ne permettent pas à l’employeur :

 

«de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable»

 

et, ainsi,

 

«ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé […]».

 

Pour justifier cette solution, la Cour se fonde sur différentes dispositions nationales et européennes, parmi lesquelles l’alinéa 11 du préambule de la Constitution garantissant «le droit à la santé et au repos» à valeur constitutionnelle.

 

Selon la Cour, il résulte de ces dispositions, et, en particulier, des dispositions visées de la directive européenne n°2003/88 relative au temps de travail que «les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur».

 

En l’espèce, la Cour constate que les stipulations conventionnelles «se bornent à prévoir» :

 

♦ Dans la CCN des services de l’automobile, que :

 

Afin d’assurer la meilleure adéquation entre les conditions de travail particulières qui en découlent, les responsabilités assumées par ces salariés et leur vie personnelle, les entreprises sont tenues d’assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés, et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail ;

 

Compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales est assuré au moyen d’un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet.

 

Ce document de suivi du forfait, établi mensuellement, fait apparaitre le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés, en : repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels, jours fériés chômés, jours de repos liés au forfait, autres jours non travaillés. Le collaborateur en remet un exemplaire à l’employeur ou à son représentant désigné, ce document rappelant la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables ;

 

Le salarié bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l’objectif est notamment de vérifier l’adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en œuvre les actions correctives en cas d’inadéquation avérée.

 

♦ Dans la CCN des prestataires de service du secteur tertiaire, que :

 

Les cadres soumis à un forfait en jours doivent bénéficier d’un repos quotidien de 11 heures consécutives et d’un temps de repos hebdomadaire égal à 35 heures consécutives ;

 

L’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l’établissement d’un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;

 

Les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d’un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail en résultant lesquelles devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés.

 

En conséquence, les conventions individuelles de forfait conclues sur le fondement de ces dispositions conventionnelles sont nulles.

 

Quelles stipulations conventionnelles pour garantir un suivi effectif et régulier de la charge de travail?

 

A la différence des deux affaires précédentes, la Cour de cassation valide le dispositif de forfait jours prévu par la CCN des ETAM du bâtiment (n°21-23.294).

 

La Cour considère que les stipulations issues de l’avenant du 11 décembre 2012 à la CCN applicable aux Etam du bâtiment – qui imposent à l’employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d’y remédier

 

«répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assurent ainsi le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.»

 

♦ En l’espèce, ces stipulations conventionnelles prévoyaient que :

 

les ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours bénéficient d’un temps de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives et d’un temps de repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, sauf dérogations dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur ;

 

l’employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d’augmenter ces temps de repos minimum ;

 

la charge de travail et l’amplitude des journées d’activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l’ETAM concerné, en permettant une réelle conciliation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale.

 

l’ETAM a droit au respect de son temps de repos, notamment par un usage limité, à son initiative, des moyens de communication technologiques ;

 

l’organisation du travail des salariés fait l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos ;

 

un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) sera tenu par l’employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l’employeur. L’entreprise fournira aux salariés un document permettant de réaliser ce décompte ;

 

ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice ;

 

la situation de l’ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d’un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera notamment sur la charge de travail de l’ETAM et l’amplitude de ses journées d’activité.

 

Dans cette affaire, les stipulations prévoyant un suivi régulier de la charge de travail par la hiérarchie et l’établissement d’un document individuel de suivi permettant un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos semblent avoir emporté la conviction de la Cour quant à la mise en place d’un dispositif de suivi de la charge de travail “au fil de l’eau”.

 

Dans les deux autres affaires, ce document déclaratif n’était pas assorti d’un tel suivi. Dans les deux branches concernées, les partenaires sociaux devront renégocier pour assurer la conformité des conventions individuelles de forfait en jours aux exigences légales et jurisprudentielles applicables en la matière.

 

En attendant, les entreprises relevant de ces branches professionnelles, qui mettaient en œuvre les conventions de forfait en jours en application directe de l’accord de branche, pourront continuer de conclure des conventions individuelles de forfait soit, en concluant à leur niveau un accord collectif respectant les prescriptions légales et jurisprudentielles concernant le suivi régulier de la charge de travail, soit, en intégrant dans les conventions individuelles de forfait  les mesures prévues par l’article L.3121-65 du Code du travail.

 

En effet, pour favoriser la sécurité juridique du forfait en jours, la loi du 8 août 2016 a aménagé un dispositif supplétif, lorsque l’accord collectif ne prévoit pas de mesures relatives au suivi régulier de la charge de travail des salariés (C. trav. art L.3121-65).

 

Suivant ce dispositif, l’employeur peut valablement conclure une convention individuelle de forfait :

 

    • s’il établit un document de contrôle des journées et demi-journées travaillées ;
    • s’assure de la compatibilité de la charge du travail du salarié avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
    • et organise un entretien annuel avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération. En l’absence de stipulation relative aux modalités d’exercice du droit à la déconnexion celles-ci doivent être définies par l’employeur et communiquées au salarié par tout moyen.
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