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Les intérêts légaux appliqués aux condamnations prud’homales : un enjeu encore méconnu

Les intérêts légaux appliqués aux condamnations prud’homales : un enjeu encore méconnu

Le temps du procès, toujours jugé trop long par le demandeur, peut, contre toute attente, lui être bénéfique au vu des intérêts légaux importants qu’il peut in fine générer. De fait, il apparait essentiel pour les entreprises d’exécuter sans délai les condamnations prud’homales.


Le versement des intérêts légaux : une attribution de droit

L’absence de demande ou de disposition spécifique du jugement ne fait pas obstacle à l’application des intérêts légaux : celle-ci est de droit dès lors qu’une condamnation prud’homale a été prononcée, et s’agissant des intérêts légaux majorés, dès lors que le débiteur n’a pas exécuté la décision dans un délai de 2 mois suivant la date d’application du jugement.

Encore plus important, aucune somme attribuée par un jugement n’échappe à la règle des intérêts légaux : l’indemnité versée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile est donc également concernée.

Un taux d’intérêt variable suivant la nature de la créance

L’article 2 de l’ordonnance n’ 2014-947 du 20 août 2014 a profondément modifié le mode de calcul du taux d’intérêt légal à compter du 1er janvier 2015.

Alors qu’un seul taux d’intérêt, dérisoire (0,04% en 2014), était applicable, il est dorénavant distingué les créances « professionnelles » et « particulières » avec un taux totalement différent, taux revalorisé désormais semestriellement.

Le taux d’intérêt légal est le suivant :

  • 2e semestre 2016 : 4,35 % créance particulier / 0,93 % créance professionnel ;
  • 1er semestre 2017 : 4,16 % créance particulier / 0,90 % créance professionnel ;
  • 2e semestre 2017 : 3,94 % créance particulier / 0.90 % créance professionnel.

Le taux majoré est lui inchangé et correspond au taux d’intérêt légal, majoré de 5 points.

Le taux applicable aux créances prud’homales

La difficulté repose sur le fait que le salarié peut aussi bien être considéré comme :

  • une « personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels » en l’absence de lien contractuel commercial entre les parties ;
  • une « personne agissant pour des besoins professionnels » puisque la créance du salarié est née de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.

La situation du salarié vis-à-vis de son ancien employeur pouvant entrer dans le champ d’application des deux taux tels que distingués par l’article L.313-2 du Code monétaire et financier, contribue ainsi à alimenter une incertitude.

Dès lors, une question a été posée le 17 mars 2015 devant l’Assemblée nationale afin que cette ambigüité soit tranchée, question renouvelée le 16 février 2016 et toujours en attente d’une réponse ministérielle.

En pratique, et dans l’attente, les sommes prononcées au titre des condamnations prud’homales sont assorties du taux afférant aux créances des particuliers, soit le taux le plus élevé.

Telle a été la solution retenue par le juge de l’exécution près du tribunal de grande instance de Paris dans deux décisions des 23 novembre 2016 et 13 décembre 2016 (TGI de Paris, Jex, n°16-83457 et n°16-83113).

Le point de départ des intérêts légaux

Le point de départ des intérêts légaux varie selon la nature de la créance :

  • pour les sommes portant sur des rappels de salaire (indemnité de préavis, indemnité de congés payés, prime d’ancienneté, etc.), les intérêts courent soit à compter de la saisine de la juridiction prud’homale ou, s’ils ont fait l’objet d’une réclamation antérieure, à compter de la date de la demande de paiement ;
  • pour le cas particulier de l’indemnité de licenciement, celle-ci produit des intérêts également à compter de la date de saisine du Conseil de prud’hommes ;
  • pour les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts, les intérêts courent à compter de la décision de justice condamnant le débiteur. Ce point de départ vaut également en cas d’appel lorsqu’est prononcée la confirmation du jugement. En revanche, en cas de réformation, les intérêts dus sur les dommages et intérêts ne produisent d’effet qu’à compter de la décision d’appel.

L’intérêt légal majoré doit être appliqué passé le délai de deux mois à compter de :

  • la date de notification du jugement en cas d’exécution provisoire ;
  • la date de l’expiration des voies de recours en cas de jugement non définitif.

Le rôle du juge

Dans ce domaine, le juge est libre de :

  • fixer lui-même le point de départ des intérêts légaux ;
  • ordonner, si le créancier l’avait demandé, la capitalisation des intérêts c’est-à-dire l’obligation d’intégrer, à la fin de chaque mois, les intérêts au capital ;
  • en cas de contestation du montant des intérêts, minorer voir exonérer le débiteur de la majoration des intérêts.

L’appréciation souveraine de la situation par le juge peut ainsi impacter fortement le coût pour l’employeur.

Exemple concret

Le Conseil de prud’hommes a condamné par jugement du 30 novembre 2016 l’employeur au paiement de :

  • 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
  • 35 000 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 3 500 euros de congés payés afférents ;
  • 55 000 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
  • aux intérêts légaux à compter de la saisine du conseil soit le 1er juillet 2015.

L’employeur ne sachant pas s’il faisait appel ou non de la décision a décidé :

  • de ne verser dans un premier temps que les sommes soumises à l’exécution provisoire soit la somme de 93 500 euros le 20 décembre 2016 ;
  • finalement de ne pas faire appel tout en ne réglant le solde des condamnations (100 000 euros) que le 15 mars 2017 soit, plus de deux mois après l’expiration du délai d’appel.

Au regard de la date de saisine, des montants non négligeables des condamnations et de la date de versement, le débiteur est en droit de demander à la société le paiement de plus de 7 000 euros d’intérêts.

L’enjeu pécuniaire important attaché aux intérêts légaux doit donc en toutes hypothèses conduire l’employeur à la plus grande vigilance quant à l’exécution des décisions judiciaires prud’homales.

 

Auteurs

Pierre Combes, associé, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Charlotte Brachet, avocat, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

 

Les intérêts légaux appliqués aux condamnations prud’homales : un enjeu encore méconnu – Article paru dans Les Echos Business le 25 août 2017
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