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Management package au profit du cadre d’une filiale : y a-t-il nécessairement acte anormal de gestion ?

Management package au profit du cadre d’une filiale : y a-t-il nécessairement acte anormal de gestion ?

Dans une décision en date du 11 mars dernier, le Conseil d’Etat a considéré que l’avantage octroyé par une société holding au cadre dirigeant d’une de ses filiales n’était pas constitutif d’un acte anormal de gestion[1]. La holding avait consenti à ce dernier une promesse de vente des actions de la filiale dont il était salarié, lui permettant de les acquérir pour un prix bien inférieur à leur valeur vénale. Analyse de cette décision riche d’enseignements.

La holding Alone & Co détenait une participation dans la société Soréal-Ilou, issue de la fusion entre deux entités qu’elle détenait précédemment, et dont Monsieur G. était directeur commercial.

Le 14 mars 2009, la société Alone & Co a consenti à Monsieur G. une promesse de cession d’actions par laquelle elle s’est engagée à lui céder des actions Soréal-Ilou moyennant un prix unitaire de 1 €, et ce à tout moment pendant un délai de 5 ans à compter de la signature de la promesse.

Se prévalant de cette promesse, Monsieur G. a acquis auprès d’Alone & Co, le 24 février 2011, 100.270 actions Solal-Ilou. Il les a donc payées 100.270 € et les a aussitôt revendues à une autre filiale de la société Alone & Co pour un montant de 384.838 €.

L’administration fiscale a considéré que cette cession était constitutive d’un acte anormal de gestion, Alone & Co s’étant privée de la différence entre la valeur vénale des titres cédés et leur prix de vente.

Le Conseil d’Etat casse toutefois l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait refusé de faire droit à la demande de dégrèvement d’Alone & Co. Réglant par ailleurs l’affaire au fond, il juge que le Ministre n’établit pas que la société a commis un acte anormal de gestion.

Après avoir explicité les apports de cet arrêt (1), nous nous interrogerons sa portée (2).

  1. Critères d’appréciation de la normalité d’un dispositif incitatif au profit du salarié d’une filiale

La décision analysée est importante à deux égards : celui de la dialectique de la preuve (1.1) ainsi que celui, sur le fond, des critères permettant d’apprécier le caractère normal de l’avantage consenti (1.2).

1.1. Une adaptation des principes dégagés par la jurisprudence Croë Suisse aux mécanismes incitatifs

Le Conseil d’Etat reprend dans sa décision les deux considérants de principe de la décision Croë Suisse[2] qui a précisé les règles de preuve applicables pour apprécier le caractère normal ou non de la cession d’un actif immobilisé. Ces règles reposent sur la dialectique ternaire suivante :

  1. l’administration fiscale doit établir l’existence d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ;
  2. l’entreprise peut contester l’évaluation de l’administration ;
  3. si elle n’y parvient pas, l’acte est présumé anormal et l’entreprise ne peut combattre cette présomption qu’en justifiant que l’appauvrissement a été décidé dans son intérêt : en démontrant soit qu’elle était tenue de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en retiré une contrepartie.

L’application des principes Croë Suisse aux mécanismes d’incitation des managers n’était pas évidente car, comme le souligne le rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions sous cette décision, les bénéficiaires de tels dispositifs vont nécessairement faire jouer leur option seulement s’ils y ont intérêt, donc seulement lorsqu’ils peuvent acquérir les titres pour un prix inférieur à leur valeur vénale, de sorte que, comme au cas d’espèce, l’entreprise se retrouve automatiquement à devoir renverser la présomption d’anormalité (étape 3 de Croë Suisse).

Toutefois, le rapporteur public a considéré que, s’agissant d’une cession d’actif immobilisé, il n’y avait pas de raison d’écarter la jurisprudence Croë Suisse. Il proposait en revanche de l’adapter aux dispositifs incitatifs en renforçant les exigences probatoires pesant sur l’administration et en clarifiant la date à laquelle il convient d’apprécier la normalité de l’acte.

S’agissant de cette date, le Conseil d’Etat suit clairement son rapporteur public, indiquant que la cour administrative d’appel de Nantes aurait dû rechercher si Alone & Co avait agi conformément à son intérêt « en consentant le 14 mars 2009 à M. G. une promesse de vente des actions de la société Soréal-Ilou à un prix irrévocablement fixé ». Le Conseil d’Etat retient donc la date de la signature de la promesse.

Le fait d’apprécier l’existence d’une contrepartie à la date à laquelle l’avantage est consenti, et non à la date de cession des titres concernés (pour un prix bien inférieur à leur valeur vénale) replace la société dans une situation lui permettant de justifier d’un intérêt à l’octroi de cet avantage.

Ensuite, le Conseil d’Etat expose les éléments dont l’administration doit tenir compte pour apprécier la pertinence des arguments soulevés par la société pour justifier de l’intérêt de fidéliser un salarié (quand bien même il ne serait pas le sien) eu égard à ses compétences, à l’implication qui peut être attendue de sa part et aux conséquences favorables qu’elle peut en retirer.

1.2. Les éléments à prendre en compte pour apprécier la normalité de l’octroi du mécanisme incitatif

Romain Victor propose en effet au Conseil d’Etat de régler l’affaire au fond à titre pédagogique et en vue d’améliorer la sécurité juridique des entreprises qui souhaitent recourir à ces outils d’incitation.

Suivant cette préconisation, le Conseil d’Etat apporte les précisions suivantes, reprenant bon nombre des éléments retenus par son rapporteur public :

  • la seule circonstance que Monsieur G. ne fut pas salarié de la holding n’est pas de nature à faire obstacle à ce que la société ait pu identifier un intérêt propre à inciter l’intéressé au développement de la filiale, eu égard aux conséquences qu’elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation;
  • les compétences de Monsieur G. et son expérience commerciale dans le domaine d’activité de la filiale étaient de nature à lui permettre, par son implication particulière, d’obtenir un accroissement important du chiffre d’affaires de la société et donc de la valeur de ses titres ;
  • quand bien même la promesse ouvrait à Monsieur G. la possibilité d’exercer son droit d’option à tout moment pendant 5 ans sans être subordonné à des engagements de sa part :
    • le prix de 1 € fixé par la promesse pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle avait été consentie ; et
    • les perspectives de croissance de la filiale ne présentaient pas de caractère certain, la promesse présentant donc bien un réel effet incitatif.

Il nous semble que c’est la première fois que le Conseil d’Etat admet explicitement que l’intérêt d’une société à avantager le salarié d’une de ses filiales peut résider en l’espoir d’une valorisation de sa participation. Le Conseil d’Etat avait simplement semblé le suggérer dans deux décisions rendues en 2013[3] mais n’en avait pas fait d’application positive.

  1. Une portée vraisemblablement extensive

Même si Alone & Co exerçait une activité de holding, donc de gestion de ses participations, les termes généraux de la décision nous semblent pouvoir être transposés même dans le cas où l’entité consentant l’avantage exercerait une autre activité.

Il nous semble également que ce raisonnement doit pouvoir être étendu à d’autres dispositifs d’incitation. Romain Victor, dans ses conclusions, assimile d’ailleurs largement les plans de stock-options aux promesses unilatérales de vente.

On peut également s’interroger sur la possible transposition de la décision aux attributions gratuites d’actions. Dans l’affirmative, on se demandera si la doctrine administrative qui exige de façon systématique que les charges exposées par une entreprise au titre d’attributions réalisées au profit de salariés d’entreprises liées soient refacturées à ces dernières[4], ne pourrait pas être considérée comme contestable.

Il nous semble également résulter de la décision (encore que la question demeure ouverte) que, dans le cas où une société prend en charge tout ou partie de la rémunération d’un salarié d’une de ses filiales, il ne devrait pas pouvoir lui être reproché de commettre un acte anormal de gestion ou, si sa filiale est étrangère, de transférer des bénéfices à l’étranger, si elle peut démontrer que l’activité exercée par les salariés concernés impacte positivement la valeur de sa participation dans la société dans laquelle le salarié est détaché[5].

On notera enfin que le Conseil d’Etat ne s’attache en revanche dans cette affaire qu’à déterminer si la société ayant consenti l’avantage avait commis ou non un acte anormal de gestion. Cette décision n’est pas de nature, selon nous, à apporter de précisions sur le traitement fiscal à retenir par le bénéficiaire de l’avantage.

Article paru dans option finance le 02/05/2022

[1] CE, 11 mars 2022, n° 453016, 8e et 3e s.-s. « Alone & Co »

[2] CE plén., 21 décembre 2018, n° 402006 « Sté Croë Suisse »

[3]    CE, 16 octobre 2013, n° 339165 et 339166, 10e et 9e s.-s. « Baron » et « Adelaïde ».

[4]    BOI-BIC-PTP-20-70-10-15 n° 60, 15 septembre 2014.

[5]    Le Conseil d’Etat a déjà admis la possibilité pour une société prenant en charge le salaire d’un cadre détaché d’apporter la preuve qu’elle bénéficiait d’une contrepartie permettant d’écarter l’application des dispositions de l’article 57 du CGI (CE, 30 mars 1987, n° 52754, Plén.).

Auteurs

Stéphanie Riou-Bernard avocat counsel en droit fiscal

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