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Les mutations subies : actif immobilier et procédure collective

Les mutations subies : actif immobilier et procédure collective

Tout débiteur qui connaît ou s’apprête à connaître un état de cessation des paiements, soit l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible, doit ou peut, selon le cas, être l’objet d’une procédure collective1. Cette notion est le critère négatif d’ouverture de la procédure de sauvegarde2 et l’un des critères positifs d’ouverture des procédures de redressement et de liquidation judiciaires3.

L’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’un débiteur dont l’actif est composé essentiellement d’immeubles emporte certaines spécificités.

Parmi celles-ci figurent deux types de mutation de l’actif immobilier auxquels nous nous attacherons : le transfert de la propriété de l’actif ou des titres de la structure détentrice dans le cadre d’une fiducie permettant de sécuriser une solution de retournement et le transfert de la propriété de l’actif ordonné par le Tribunal dans le cadre d’un plan de cession.

La fiducie, un outil au service du retournement

La composition de l’actif du débiteur est le principal facteur orientant la stratégie de retournement d’une société propriétaire d’un ou plusieurs actifs immobiliers.

Si la société est une entité ad hoc dont l’actif est intégralement composé d’actifs immobiliers, son passif ne devrait comprendre, à titre principal, que la dette senior d’acquisition desdits actifs et, le cas échéant, une dette intra-groupe subordonnée.

En supposant que la liquidation judiciaire puisse être évitée, la restructuration devrait avoir pour principal objectif, au titre d’un plan de sauvegarde ou de redressement, la revalorisation de l’immeuble en vue de :

  • rendre plus profitable son exploitation, de sorte que puissent à l’avenir en être tirés des revenus suffisants pour rembourser la dette senior ; ou
  • préparer sa cession dans des conditions optimales, afin de dégager un prix suffisant pour rembourser la dette senior.

Dans chacun de ces cas, la fiducie paraît être l’outil le plus à même de répondre aux attentes des créanciers puisqu’elle permet de leur assurer un traitement extrêmement favorable en cas de nouvelles difficultés du débiteur. Le bien4 étant désormais hors du patrimoine du constituant, la fiducie-sûreté peut être réalisée sans grande difficulté5 (dès lors qu’il n’existe aucune convention d’usage ou de jouissance au profit du constituant)6, tout en donnant aux créanciers bénéficiaires d’importantes facultés de supervision de la gestion du débiteur.

En ce sens, doivent être transférés dans une fiducie, ayant pour objet de garantir le remboursement de la dette senior, les titres composant le capital social du débiteur ainsi que les éventuels prêts intra-groupe. Cette fiducie-sûreté se mâtinera de teintes de fiducie-gestion puisqu’elle devra prévoir l’accomplissement, par le débiteur, de certains objectifs (milestones), convenus contractuellement entre les parties en fonction des caractéristiques du dossier. A défaut, les créanciers bénéficiaires pourront, en exerçant les droits de vote attachés aux titres remis en fiducie, décider de la mise en vente des actifs immobiliers du débiteur7. Les modalités de cette commercialisation peuvent également être fixées par la convention de fiducie.

L’article L. 642-12, perte ou salut du créancier

L’article L. 642-12 alinéa 4 du Code de commerce dispose que «toutefois, la charge des sûretés immobilières et mobilières spéciales garantissant le remboursement d’un crédit consenti à l’entreprise pour lui permettre le financement d’un bien sur lequel portent ces sûretés est transmise au cessionnaire. Celui-ci est alors tenu d’acquitter entre les mains du créancier les échéances convenues avec lui et qui restent dues à compter du transfert de la propriété ou, en cas de location-gérance, de la jouissance du bien sur lequel porte la garantie. Il peut être dérogé aux dispositions du présent alinéa par accord entre le cessionnaire et les créanciers titulaires des sûretés».

Cette disposition s’inscrit dans le cadre d’un plan de cession8 de l’activité de l’entreprise en redressement ou liquidation judiciaires. Le principe gouvernant une telle solution réside dans une reprise de la seule activité détourée par le repreneur à l’exclusion de tout passif. La règle précitée est donc une exception à ce principe. Lorsqu’elle trouvera à s’appliquer, le repreneur sera tenu d’assumer la charge de la dette de financement de l’actif immobilier inclus dans le périmètre de reprise.

Alors, les créanciers ayant financé l’actif immobilier bénéficieront d’un traitement préférentiel par rapport à l’ensemble des créanciers de l’entreprise subissant la procédure collective.

Encore faut-il que les conditions d’application de la disposition étudiée soient réunies. C’est-à-dire, outre l’inclusion de l’actif dans le périmètre de reprise, que le concours en cause ait bien été affecté au financement du bien9 et que la sûreté garantissant le remboursement de ce concours porte spécifiquement sur le bien en cause.

Malgré certains appels10 à la limitation du champ d’application de cette disposition, facteur de risque pour le repreneur et de rupture d’égalité entre les créanciers, en bref contraire à l’esprit même du droit des entreprises en difficulté, le législateur la maintient sans altération majeure, réforme après réforme.

L’attention doit encore être attirée sur le fait que sont exclus du bénéfice de cette disposition les créanciers dont les concours ont servi à refinancer l’acquisition du bien11. Une subtile nuance qu’il peut être utile de conserver à l’esprit.

Ainsi, un créancier bénéficiant d’hypothèques au titre du refinancement d’un portefeuille immobilier subira la cession ordonnée par le Tribunal à l’occasion d’un plan de cession. L’assiette de sa sûreté se trouvera alors réduite à une quote-part du prix de cession déterminée dans le jugement arrêtant le plan, le créancier perdant tout droit sur l’actif immobilier.

Notes

1 Pour les plus connues, voir les procédures de sauvegarde des sociétés Coeur Défense ou Rive Défense.

2 Art. L.620-1 du Code de commerce (CCo).

3 Art. L. 631-1 et L. 640-1 CCo.

4 Le bien mis en fiducie sera soit l’actif immobilier du débiteur, soit les titres de la société détenant le bien immobilier. L’arbitrage entre ces deux schémas est, notamment, fonction de leurs impacts fiscaux respectifs.

5 Cf. lecture a contrario de l’art. L. 622-23-1 CCo.

6 Etant également entendu que dans une telle hypothèse le contrat de fiducie n’est pas soumis au régime des contrats en cours, art. L. 622-13, VI CCo et L. 631-14 al 1.

7 S’il s’agit d’un des objectifs recherchés, les parties devront veiller à ce que les conditions d’exercice des droits de vote par les créanciers répondent aux conditions posées par les articles 145 et 223A et s. du Code général des impôts pour que soient préservés l’intégration fiscale et/ou le bénéfice du régime mère-fille.

8 Art. L. 642-1 et s. CCo. La cession de l’entreprise a pour but d’assurer le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d’apurer le passif. Elle peut être totale ou partielle. Dans ce dernier cas, elle porte sur un ensemble d’éléments d’exploitation qui forment une ou plusieurs branches complètes et autonomes d’activités. C’est-à-dire l’acquisition par un tiers des éléments d’actif qu’il aura déterminés, la reprise d’une partie des contrats de travail, la reprise d’une partie des contrats de fourniture de biens ou services nécessaires à l’activité, etc.

9 La jurisprudence considère que participe au financement du bien immobilier les concours destinés à financer l’acquisition du bien, mais aussi ceux ayant financé son amélioration, cf. Cass. com. 17 mai 2011, n°10-17.736 ; ou même, de manière plus discutable, son entretien, cf. P-M LE CORRE «Droit et pratique des procédures collectives», 8e éd. ; 2015-2016, Dalloz, n°582.42.

10 Gaz. Pal. 23-24 janv. 2008, T. Montéran.

11 Cass. com. 23 nov. 2004, n°02-12.982.

 

Auteurs

Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’équipe de droit de l’entreprise en difficulté

Alexandre Bordenave, avocat en matière de financements structurés.

Guillaume Bouté, avocat, membre de l’équipe de droit de l’entreprise en difficulté

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