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Restructuring, entreprises en difficulté : la faute ou légèreté blâmable de l’employeur rend le licenciement abusif en cas de liquidation judiciaire

Restructuring, entreprises en difficulté : la faute ou légèreté blâmable de l’employeur rend le licenciement abusif en cas de liquidation judiciaire

Par un arrêt du 8 juillet 2020 (n° 18-26.140), la Cour de cassation a jugé que même en cas de liquidation judiciaire, la faute de l’employeur rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque celle-ci est bien à l’origine de l’arrêt d’activité de l’entreprise.

Rappel des faits

Le 26 juin 2013, une société est mise en liquidation judiciaire sur requête du ministère Public, entraînant la cessation totale de son activité.

La secrétaire-comptable de l’entreprise est licenciée pour motif économique en juillet 2013.

En octobre 2015, le dirigeant de la société est condamné au paiement de l’intégralité de l’insuffisance d’actif dans le cadre d’une action en responsabilité, notamment pour n’avoir pas déclaré l’état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours en dépit de l’alerte donnée par la secrétaire comptable et avoir détourné postérieurement à l’ouverture de la procédure collective, certains des actifs de la société.

Sur la base des fautes du gérant ayant entraîné sa condamnation au titre de l’insuffisance d’actif, la salariée saisit le Conseil des prud’hommes afin de contester le bien-fondé de son licenciement. Au soutien de son action, elle fait valoir que la cessation d’activité de l’entreprise résulte d’une faute ou d’une légèreté blâmable de son gérant et que, par conséquent, son licenciement pour motif économique ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel de Metz rejette les prétentions de la salariée, considérant que la cessation d’activité de l’entreprise ne résultait pas d’une décision de la part de son gérant mais du jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire.

Décision de la Cour de cassation

La salariée s’est donc pourvue en cassation, mais cette dernière a rejeté le pourvoi de la demanderesse au motif suivant :

« Le fait que la cessation d’activité de l’entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d’invoquer l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de la cessation d’activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Cependant, ayant fait ressortir que le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements de la société et le détournement d’actifs commis par le dirigeant postérieurement à l’ouverture de la procédure collective n’étaient pas à l’origine de la liquidation judiciaire, la cour d’appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants, a légalement justifié sa décision. »

Ainsi, la Cour de cassation raisonne en deux temps.

La liquidation judiciaire de la société ne prive pas le salarié de la possibilité d’invoquer l’existence d’une faute de l’employeur pour contester le bien-fondé de son licenciement …

Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la cessation complète et définitive de l’activité de l’entreprise constitue en elle-même un motif économique de licenciement, à moins qu’elle ne résulte d’une faute de l’employeur ou de sa légèreté blâmable (en ce sens : Cass. Soc., 1er février 2017, n° de pourvoi 15-23.039).

Ainsi, lorsqu’un salarié conteste le bien-fondé de son licenciement pour motif économique, les juges n’ont pas à rechercher la cause de la cessation d’activité de l’entreprise ayant conduit à son licenciement, sauf faute ou légèreté blâmable de l’employeur invoquée par le salarié.

Si une telle solution a pu être retenue lorsque l’employeur fautif a lui-même précipité les difficultés économiques justifiant les licenciements (Cass. Soc. 24 mai 2018, n°17-12.560), c’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation étend explicitement l’application de cette règle à l’hypothèse de la liquidation judiciaire.

Pour rappel, la liquidation judiciaire s’impose aux entreprises en état de cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible (article L.640-1 du Code de commerce) et s’accompagne, le plus souvent, d’un arrêt immédiat de l’activité de l’entreprise. Ainsi, la cause du licenciement économique prononcé résulte de l’ouverture même de la procédure de liquidation judiciaire.

Désormais, en cas de liquidation judiciaire imposant la cessation d’activité, la faute ou la légèreté blâmable de l’employeur pourra donc être invoquée par le salarié pour contester le bien-fondé du licenciement et solliciter le versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

… Pour autant que cette faute soit à l’origine de la liquidation judiciaire

Si la Cour de cassation permet dorénavant au salarié de contester le bien-fondé de son licenciement économique en cas de liquidation judiciaire, encore faut-il que celui-ci parvienne à démontrer que la faute de son employeur est à l’origine de la liquidation judiciaire de l’entreprise.

Au cas présent, le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements et le détournement d’actifs postérieurement à l’ouverture de la procédure collective commis par le dirigeant, ayant entraîné sa condamnation à combler l’insuffisance d’actifs étaient caractérisés.

De sorte que la liquidation judiciaire ne trouvait pas son origine dans les fautes du gérant selon la Cour de cassation.

Ce comportement fautif n’était pas à l’origine de la liquidation judiciaire ouverte sur requête du ministère Public, ce qui justifiait que le pourvoi de la salariée soit rejeté par la Cour de cassation.

Les éléments de nature à conduire une entreprise à solliciter ou à se voir imposer une liquidation judiciaire sont nécessairement multiples et il est indéniable que les fautes du dirigeant peuvent être au nombre de ces éléments.

Cependant, les critères de caractérisation de la faute du gérant propre à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, malgré l’ouverture d’une liquidation judiciaire, restent encore indéterminés. Par exemple, la Cour de cassation ne considère pas qu’il existe une unité entre une telle faute et la faute de gestion reconnue du dirigeant au sens du Livre VI du Code de commerce (comme en l’espèce le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements). Dès lors, la portée de cette décision paraît encore incertaine alors même qu’elle impose à la liquidation judiciaire (et donc à l’AGS) de supporter le risque d’indemnisation des salariés concernés et ouvre la voie à une immixtion importante du juge prud’hommal dans les mécanismes de traitement des difficultés des entreprises.

Article publié dans Les Echos Executives le 26/11/2020

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