Ne pas informer son employeur d’une relation intime avec un autre salarié peut justifier un licenciement disciplinaire

27 mai 2025
Dans une décision du 29 mai 2024 (1), la Cour de cassation approuve le licenciement disciplinaire d’un salarié, notamment chargé des relations des ressources humaines et présidant les différentes institutions représentatives du personnel, n’ayant pas informé son employeur de sa relation intime entretenue avec une autre salariée exerçant des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel.
La Cour de cassation juge en effet que la dissimulation de cette relation, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, constitue un manquement du salarié à son obligation de loyauté ; peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit établi ou non.
Rappel des faits et de la procédure
Un salarié exerçant des fonctions de direction, chargé en particulier de la gestion des ressources humaines et ayant reçu du président du directoire de la société diverses délégations notamment pour présider, de manière permanente, les institutions représentatives du personnel, avait caché à son employeur la relation intime qu’il entretenait avec une autre salariée.
Cette dernière, jusqu’à son départ, y exerçait des mandats de représentation syndicale et de représentation du personnel et s’était investie dans des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements de l’entreprise lors de la mise en œuvre d’un projet de réduction d’effectifs.
Par ailleurs, la salariée avait participé à plusieurs reprises, dans ses fonctions de représentation syndicale, à des réunions où le salarié avait lui-même représenté la direction et au cours desquelles avaient été abordés des sujets sensibles relatifs à des plans de sauvegarde de l’emploi.
La société, informée de cette situation depuis longtemps dissimulée, a procédé au licenciement de l’intéressé.
La cour d’appel de Nîmes a confirmé le bienfondé du licenciement du salarié pour manquement à son obligation de loyauté en dissimulant cette relation intime, constitutive d’un conflit d’intérêt.
Rappel des règles en matière de licenciement pour un motif tiré de la vie personnelle du salarié
Une nouvelle fois, la chambre sociale est invitée à préciser la délicate frontière entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié.
Pour mémoire, l’article 8§1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme comme l’article 9 du Code civil disposent que toute personne a droit au respect de sa vie privée.
En principe en dehors de la vie professionnelle, la vie sentimentale des salariés relève de leur vie personnelle de sorte qu’elle se situerait hors champ de contrôle de l’employeur.
Ainsi, la Cour de cassation n’a pas reconnu de cause réelle et sérieuse au licenciement d’une salariée en raison d’une liaison avec un autre membre du personnel ou encore avec son supérieur hiérarchique (Cass. soc., 21 décembre 2006, n°05-41.140 ; Cass. soc., 30 mars 1982, nº79-42.107).
En 2023, le défenseur des droits affirmait encore qu’aucune obligation n’existe de la part du salarié de préciser la teneur de sa relation à un autre salarié (Rapport spécial n°2023-001, §36).
Cependant, ce principe est tempéré par une première exception, lorsque le comportement du salarié cause un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. Le licenciement est alors possible sur le fondement d’un motif non disciplinaire.
Plus récemment, il a été jugé que lorsqu’il constitue un manquement du salarié à son obligation de loyauté, un fait relevant de la vie personnelle de celui-ci peut justifier son licenciement pour un motif disciplinaire, voire pour faute grave (Cass. soc., 25 février 2003, n°00-42.031 ; Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464 et Ass. plén., 22 décembre 2023, nº21-11.330).
La décision du 29 mai 2024
En présence d’un licenciement pour faute grave, le débat portait donc sur le point de savoir si la dissimulation par le salarié de la relation intime qu’il entretenait avec une autre salariée constituait un manquement à son obligation de loyauté.
La Cour de cassation le confirme dans les termes les plus clairs : « en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise, peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi ».
Deux questions étaient ici soulevées : la caractérisation de la déloyauté d’une part, l’exigence d’un préjudice de l’employeur d’autre part.
♦ L’omission déloyale
L’obligation de loyauté renvoie notamment à l’obligation pour le salarié de prévenir le risque de conflit d’intérêts, bien que la Cour de cassation ne reprenne pas le terme, qui pourrait résulter du fait des rôles respectifs, au sein de la société, des deux salariés qui sont amenés à négocier ensemble et représentent des intérêts potentiellement antagonistes.
Cette faute résulterait alors de l’impossibilité pour le salarié de défendre à la fois les intérêts de son entreprise et ceux de son conjoint/couple, les deux entrant en opposition.
Pragmatique, la Cour admet que le dialogue social est un lieu où s’affrontent les intérêts des parties plutôt qu’un lieu de convergence, en particulier dans un contexte de difficultés économiques.
Le fait d’avoir caché cette relation à l’employeur constitue donc un manquement fautif à son obligation de loyauté.
♦ L’absence de préjudice
Jusqu’à présent, la Cour de cassation exigeait, pour retenir que le manquement à l’obligation de loyauté constituait une faute, que celui-ci ait causé un préjudice à l’employeur.
Ecarter explicitement cette exigence marque un renforcement de la transparence attendue du salarié.
En l’espèce, le risque évident de compromission du salarié se suffit en lui-même, sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve d’un préjudice en résultant.
En pratique
La portée de cette décision doit être relativisée. En effet, le seul fait pour un salarié de dissimuler la relation intime qu’il entretient avec un autre membre du personnel ne saurait constituer un manquement à l’obligation de loyauté. C’est ici au regard des rôles de chacun des salariés qu’elle consacre la sanction d’un manquement, sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer l’existence d’un préjudice.
Par ailleurs, cette décision s’inscrit à rebours de plusieurs décisions particulièrement favorables à la protection de la vie privée du salarié (par exemple, rendu le même jour que l’arrêt ici commenté Cass. soc., 29 mai 2024, 22-14.779 ou encore plus récemment Cass. soc., 22 janvier 2025, n°23-10.888).
Dans tous les cas, l’employeur doit veiller à ne pas reprocher à un salarié directement un élément de sa vie privée mais bien les conséquences de celui-ci sur l’exercice de sa profession.
L’histoire ne nous dit pas si le couple a survécu à ces péripéties…
AUTEURS
Vincent Delage, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Come Blandin, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Cass. soc., 29 mai 2024, n°22-16.218
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