Un salarié peut-il pratiquer le covoiturage avec son véhicule professionnel ?
26 décembre 2018
C’est à cette question que la cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 31 août 2018, a répondu par la négative. Celle-ci a ainsi validé le licenciement pour faute d’un salarié intervenu en raison de sa pratique habituelle du covoiturage avec son véhicule de fonction, à l’insu de son employeur et sur ses horaires de travail.
Si cette décision reste largement favorable aux employeurs, elle ne doit pas occulter la nécessité pour ces derniers d’encadrer strictement l’utilisation des véhicules professionnels par leurs salariés.
Les faits
Le salarié, responsable d’une agence à Bordeaux, avait été licencié en 2015 en raison des déplacements réguliers qu’il effectuait via la plate-forme de covoiturage Blablacar entre Bordeaux et Nantes, ville où se trouvait le siège de l’entreprise pour laquelle il travaillait.
Contestant judiciairement son licenciement, le conseil de prud’hommes lui donne raison et juge que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le préjudice causé à l’employeur
L’enjeu majeur était ici de caractériser le préjudice subi par l’employeur, justifiant le licenciement du salarié pour faute.
La cour d’appel de Rennes a ainsi relevé que les agissements du salarié exposaient l’employeur à un risque compte tenu de l’absence de couverture de l’activité contestée par l’assureur. En effet, le contrat d’assurance relatif à la flotte automobile de l’employeur ne couvrait pas les activités de transport onéreux de voyageurs ou de marchandises, même à titre occasionnel.
En outre, les conditions générales du site de covoiturage, versées aux débats par l’employeur et citées par la Cour d’appel, précisaient que « le conducteur doit vérifier que son assurance couvre toutes les personnes transportées ainsi que les éventuelles conséquences des incidents pouvant survenir pendant le trajet ».
La Cour d’appel censure les juges prud’homaux et valide le licenciement, en justifiant sa décision en deux temps.
La réalisation de bénéfices par le salarié est prise en considération…
La lettre de licenciement faisait état d’une pratique du covoiturage « sans aucune autorisation » et « à des fins lucratives« .
La Cour d’appel s’est par ailleurs à nouveau fondée sur les conditions générales du site de covoiturage, lesquelles stipulent clairement que les membres s’engagent à « n’utiliser le service que pour la mise en relation à titre non professionnel et non commercial de personnes souhaitant effectuer un trajet en commun ».
Afin de contester le caractère lucratif du covoiturage, le salarié faisait valoir que les bénéfices réalisés étaient reversés à des associations, ce qui était d’ailleurs précisé sur son profil en ligne. Or, ce dernier ne produisait qu’un nombre limité de reçus émanant d’associations (150 euros par an en moyenne sur la période 2012-2015) dont le montant cumulé était largement en deçà des gains reconstitués par la Cour d’appel.
En effet, les juges ont estimé que les gains perçus par le salarié grâce aux trajets effectués s’élevaient à plusieurs milliers d’euros, celui-ci ayant dès lors « nécessairement réalisé des bénéfices ».
… tandis que l’absence d’interdiction expresse de la part de l’employeur est indifférente
Le salarié évoquait enfin que le règlement intérieur de l’entreprise ne contenait aucune interdiction relative à la pratique du covoiturage ; son employeur n’ayant par ailleurs jamais communiqué à ce sujet. Il indiquait avoir considéré qu’il n’était dès lors tenu par aucune obligation en la matière.
La cour d’appel de Rennes inverse le raisonnement, en estimant que le salarié était censé « tirer les conséquences » du silence du règlement intérieur en sollicitant l’autorisation expresse de son employeur. Ce dernier l’aurait à cette occasion expressément informé de l’impossibilité de pratiquer le covoiturage avec son véhicule de fonction, de tels trajets n’étant pas couverts par la police d’assurance.
Au vu de l’ensemble des arguments susmentionnés, la cour d’appel de Rennes valide le licenciement pour faute intervenu à l’encontre du salarié.
Cet arrêt traduit un durcissement des juridictions du fond, la cour d’appel de Riom (1) ayant précédemment reconnu le caractère fautif de la pratique du covoiturage à caractère lucratif avec le véhicule de fonction, tout en considérant qu’un licenciement était une sanction disproportionnée.
Préconisations
Bien que les juges aient tranché en faveur de la société, il y a lieu de préciser que celle-ci s’était prémunie contre tout débat probatoire en faisant constater par huissier les trajets effectués et proposés par le salarié via la plate-forme de covoiturage. Il est en effet impératif pour l’employeur de se ménager des preuves suffisantes avant de sanctionner le non-respect de la politique relative à l’utilisation du véhicule professionnel, particulièrement si la sanction retenue est un licenciement.
Toutefois, dans l’attente d’une prise de position claire par la Cour de cassation, on ne peut qu’insister sur la nécessité pour l’employeur de préciser en amont les conditions d’utilisation du véhicule professionnel mis à disposition de ses salariés.
L’interdiction de pratiquer le covoiturage avec le véhicule professionnel et sur le temps du travail doit être précisée clairement afin d’encadrer une pratique faisant de plus en plus d’adeptes à l’heure de « l’économie du partage ». Une précision de cette nature dans la charte d’utilisation des véhicules professionnels pourrait s’avérer particulièrement utile.
(1) CA RIOM, 13 septembre 2016, n°15/02104
Article publié dans les Echos Executives le 26/12/2018
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