Portée de l’absence d’information des IRP en cas de désignation d’un mandataire ad hoc : précisions de la Cour de cassation

16 janvier 2020
Dans un arrêt qui ne peut être qualifié de principe malgré sa publication au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation (Soc. 9 octobre 2019, n° 18-15.305) renforce la portée de l’article L.611-3 alinéa 3 du Code de commerce qui dispose, depuis sa dernière modification en 2016 (1), que « le débiteur n’est pas tenu d’informer le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de la désignation d’un mandataire ad hoc ».
Dans cette espèce, le débiteur a mis en place, par accord collectif de groupe, un comité de groupe qui a décidé de recourir à l’assistance d’un cabinet d’expertise comptable pour l’examen des comptes annuels du débiteur pour 2015. La mission de l’expert ainsi désigné a été étendue à l’examen des comptes annuels 2016.
Le comité de groupe et l’expert ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance en février 2017, pour obtenir notamment communication par le débiteur des documents ayant trait à la désignation du mandataire ad hoc, à la recherche de possibles repreneurs du groupe et aux cessions d’actifs envisagées. Cette demande a été rejetée par les juges du fond.
Une portée renforcée de l’obligation de confidentialité liée à la désignation d’un mandataire ad hoc
La chambre sociale rejette le pourvoi formé par le comité et l’expert. Elle considère que les juges du fond ont constaté que les documents dont la communication était sollicitée par l’expert du comité de groupe (marques d’intérêts ou lettres d’intention des acquéreurs potentiels, offres fermes éventuelles, calendrier du processus de cession, Vendor Due Diligence éventuels), avaient trait au mandat ad hoc qui avait été mis en œuvre en novembre 2016 par le débiteur.
Elle relève qu’en application des articles L.611-3 et L.611-15 du Code de commerce doit être respectée une obligation de confidentialité justifiée par la discrétion nécessaire sur la situation de l’entreprise concernée et sur les éventuelles négociations entre dirigeants, actionnaires, créanciers et garants de celle-ci.
Ainsi, il résulte tant de ses fondements que de l’objectif même de la procédure que son caractère confidentiel s’attache non seulement à la requête mais également aux documents ayant trait à la procédure mise en œuvre et notamment à la cession envisagée, qui ne mettent pas en cause seulement le débiteur mais également les créanciers et les repreneurs éventuels nécessairement impliqués dans cette procédure.
Cette obligation de confidentialité doit être respectée même si le principal intéressé, à savoir la société en difficulté, informe la presse de la mise en place de la procédure litigieuse.
Il est intéressant de constater que l’obligation de confidentialité inhérente à la désignation d’un mandataire ad hoc peut être opposée à l’expert-comptable.
En principe, un employeur ne peut pas se prévaloir de la confidentialité d’un document pour valablement refuser de le communiquer à un expert-comptable du comité social et économique (CSE) ou d’un comité de groupe, qui est lui aussi tenu aux obligations de secret et de discrétion.
Par ailleurs, l’expert-comptable a normalement accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise. Or, dans le cadre de la désignation d’un mandataire ad hoc, si l’information du commissaire aux comptes est prévue par la loi, l’expert-comptable qui pourra éventuellement avoir connaissance d’une telle procédure dans le cadre de l’une de ses missions ne semble pas, au regard de la décision commentée, pouvoir accéder aux documents y afférents.
Une interrogation demeure sur l’application de cette solution à la procédure de conciliation compte tenu des dispositions de l’article L.611-8-1 du Code de commerce qui prévoient l’information des institutions représentatives du personnels que dans le cadre d’une homologation de l’accord de conciliation.
Une tendance jurisprudentielle confortée
Ce faisant, la Cour de cassation renforce de manière importante la portée de la disposition précitée en refusant de s’arrêter à sa lettre pour en considérer l’esprit et lui donner un plein effet en pratique. Cette décision s’inscrit dans un mouvement plus large tendant à donner poids au principe de confidentialité des procédures de conciliation et de mandat ad hoc qui a par exemple vu sanctionner la publication d’informations ayant trait à ces procédures par un organe de presse.
L’idée force de ces solutions semble résider dans le fait que la confidentialité à vocation à protéger l’ensemble des intervenants et constitue l’une des clefs majeures de la réussite de ces procédures.
Néanmoins, il n’est pas certain que la suprématie accordée à l’obligation de confidentialité de la procédure de mandat ad hoc résiste à des demandes de communication de documents formulées dans d’autres cas de recours à l’expertise du CSE ou d’un comité de groupe (notamment expertise dans le cadre d’un droit d’alerte économique).
En effet, les juges s’assurent d’abord que l’expert-comptable a eu accès à l’ensemble des informations nécessaires à la réalisation de sa mission (en l’espèce l’examen des comptes annuels) avant de rejeter la demande de communication de documents liés à la procédure de mandat ad hoc.
Enfin, il n’est pas totalement exclu qu’un expert-comptable puisse ultérieurement avoir accès aux documents litigieux notamment dans le cadre de l’éventuelle procédure d’information consultation du CSE sur le projet de restructuration qui pourrait découler, le cas échéant, du traitement amiable des difficultés auquel recourt le débiteur.
(1) L’article L.611-3 du Code du commerce a été modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016
Article publié dans les Echos Executives le 16/01/2020
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