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Pratiques restrictives de concurrence : constitutionnalité de la sanction civile de l’absorbante pour des faits commis par l’absorbée

Pratiques restrictives de concurrence : constitutionnalité de la sanction civile de l’absorbante pour des faits commis par l’absorbée

Le 18 février 2016, la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité. Celle-ci est relative à la conformité au principe de personnalité des peines, selon lequel « nul n’est punissable que de son propre fait » (art. 8 et 9 de la déclaration de 1789), de l’article L. 442-6 III du Code de commerce, tel qu’interprété par la jurisprudence.

La Cour de cassation considère que ce texte, qui permet de sanctionner par une amende civile les pratiques restrictives de concurrence d’une entreprise, « s’applique à toute entreprise, indépendamment du statut juridique de celle-ci, et sans considération de la personne qui l’exploite ». Elle admet, en conséquence, qu’une amende civile puisse être prononcée, sans qu’il soit porté atteinte au principe de personnalité des peines, à l’encontre de la personne morale qui n’exploitait pas l’entreprise au moment de la commission des faits mais à laquelle cette entreprise a été transmise à la suite d’une fusion-absorption (arrêt du 21 janvier 2014, voir Lettre des réseaux de distribution d’avril 2014).

Le Conseil constitutionnel vient de juger que les dispositions contestées, telles qu’interprétées par la jurisprudence, ne méconnaissent pas, « compte tenu de la mutabilité des formes juridiques sous lesquelles s’exercent les activités économiques concernées », le principe de personnalité des peines. En effet, lorsqu’il est « appliqué en dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait peut faire l’objet d’adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l’objet qu’elle poursuit et qu’elles sont proportionnées à cet objet ». Or, à cet égard, il apparaît que :

  • l’amende civile, sanctionnant les pratiques restrictives de concurrence, a la nature d’une sanction pécuniaire, ce qui la soumet au principe de personnalité des peines ;
  • en définissant à l’article L. 442-6 du Code de commerce, « l’auteur » passible de ces sanctions pécuniaires comme étant « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers », le législateur se réfère à des activités économiques, quelles que soient les formes juridiques sous lesquelles elles s’exercent. Or, les amendes civiles prévues ont pour objectif, pour préserver l’ordre public économique, de sanctionner les pratiques restrictives de concurrence commises dans l’exercice de ces activités économiques. Et l’absorption de la société auteur des pratiques restrictives par une autre société ne met pas fin à ces activités, qui se poursuivent au sein de la société absorbante ;
  • seule une personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine d’une société dissoute sans liquidation est susceptible d’encourir l’amende prévue par les dispositions contestées.

Il en déduit que les dispositions contestées doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.

A travers cette décision, justifiée par l’objet de protection de l’ordre public économique poursuivi par l’amende civile, le Conseil constitutionnel consacre l’extension aux pratiques commerciales abusives de la solution retenue, tant par la CJUE que par la Cour de cassation, en matière d’ententes et d’abus de position dominante, en se fondant toutefois ici, non pas sur la notion d’ « entreprise », mais sur celle d’ « activité économique » transmise.

Par ailleurs, en prenant le soin de préciser que le principe de la personnalité des peines peut connaître des adaptations en dehors de la matière pénale, le Conseil constitutionnel réaffirme implicitement que l’article 133-1 du Code pénal s’oppose à toute sanction pécuniaire de l’absorbante pour des infractions de nature pénale commises par l’absorbée non condamnée définitivement avant sa dissolution. Rappelons que telle n’est pas, en revanche, la position de la CJUE qui a récemment jugé que la fusion par absorption entraîne la transmission à l’absorbante de l’obligation de payer une amende infligée, par décision définitive intervenue après cette fusion, pour des infractions au droit du travail commises par l’absorbée avant la fusion (arrêt du 5 mars 2015, aff. C-343/13).

Cass. com. 18 février 2016 n°15-22317

Conseil Constitutionnel, décision du 18 mai 2016 n°2016-542 QPC

Auteur

Elisabeth Flaicher-Maneval, avocat Counsel au sein du département de doctrine juridique, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris

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