Rachat de titres suivi de la réduction du capital social : le Conseil d’Etat apporte des clarifications
24 janvier 2019
Le Conseil d’Etat clarifie les conditions de déduction d’une moins-value ou d’imposition d’une plus-value en cas de variation de valeur des titres entre leur rachat et leur annulation.
Une jurisprudence qui s’est précisée au fil du temps
Une décision du Conseil d’Etat rendue le 22 octobre 2018 (n°375213, Sté Schneider Electric) présente l’intérêt d’apporter des clarifications bienvenues sur le traitement fiscal du rachat d’actions propres opéré par une société suivi de l’annulation de celles-ci.
Le sujet n’est pas nouveau en jurisprudence mais est d’une certaine complexité car ce traitement fiscal dépend de la combinaison de plusieurs paramètres : l’existence d’une ou de plusieurs finalités attribuées au rachat de titres et le respect effectif de ces finalités initiales.
Dans une décision Pharmacie Saint-Gaudinoise SNC du 15 février 2016 (n°376739), le Conseil d’Etat avait déjà jugé que lorsqu’un rachat de titres propres est d’emblée motivé par une finalité unique de réduction du capital, « le rachat de ses propres titres par une société suivi de la réduction de son capital social, qui n’affecte que son bilan, est, par lui-même, sans influence sur la détermination de son résultat imposable et est ainsi insusceptible de faire apparaître une perte déductible lorsque le prix auquel sont rachetés les titres est supérieur à leur valeur nominale ». Cette solution est cohérente avec les règles comptables régissant l’opération, d’où il résulte que la valeur comptable de titres rachetés explicitement en vue de leur annulation n’est soumise à aucune dépréciation et reste égale à leur prix d’achat jusqu’à l’annulation.
Le Conseil d’Etat s’était également prononcé sur l’hypothèse dans laquelle des titres rachetés dans un but autre que la réduction de capital sont finalement annulés suite à leur changement d’affectation par la société. Tel était le cas dans l’affaire Société Rexel Distribution (1er avril 2015, n°362317) où étaient en cause des titres dont le rachat s’était au départ inscrit dans le cadre d’un plan d’attribution aux salariés d’options d’achat d’actions et, pour le surplus, de régularisation du cours de bourse. Ultérieurement, le conseil d’administration avait toutefois décidé de modifier la finalité du rachat et d’annuler les titres rachetés. L’opération d’annulation avait, en conséquence, conduit au reclassement des titres du compte « valeurs mobilières de placement » vers le compte « actions propres à annuler ». Le Conseil d’Etat, suivant ici encore les règles comptables telles qu’interprétées par le comité d’urgence du conseil national de la comptabilité (et figurant aujourd’hui à l’article 624-16 du Plan comptable général), avait alors décidé qu’une société qui décide d’annuler des titres propres initialement rachetés dans un autre but que la réduction du capital est en droit de tenir compte, pour l’application des dispositions du CGI relatives à la détermination du bénéfice net de l’exercice au cours duquel la décision d’annulation est intervenue, de l’éventuelle perte de valeur de ces titres entre leur date de rachat et la date à laquelle la décision d’annulation a été prise par le conseil d’administration.
Une nouvelle hypothèse de rachat de titres soumise au Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat n’avait toutefois pas encore eu à se prononcer sur l’hypothèse dans laquelle un programme de rachat d’actions énonce plusieurs objectifs, dont l’un consiste à réduire le capital.
C’était le cas dans l’affaire ici commentée. L’assemblée générale de la société Schneider Electric avait, au cours des années 1999 à 2002, autorisé des programmes successifs de rachat d’actions propres en vue de réduire la dilution, optimiser la gestion des fonds propres et réaliser des opérations de croissance externe, ou régulariser les cours de bourse, en envisageant à chaque fois expressément l’annulation des actions rachetées dans des conditions que l’assemblée générale extraordinaire devait ultérieurement préciser. La décision de rachat était ainsi initialement motivée par une pluralité d’objectifs, au sein desquels figurait la réduction du capital, mais sans préciser explicitement quelle proportion des titres rachetés serait affectée à ce dernier objectif. La particularité de ce cas, au regard de la jurisprudence antérieure, tient au fait que les titres litigieux ne pouvaient être regardés, ni comme ayant été, dès l’origine, explicitement affectés à la réduction du capital, ni comme ayant été affectés à un objectif autre que la réduction de capital.
Au cas particulier, le scénario a été le suivant : l’assemblée générale extraordinaire avait d’abord autorisé le conseil d’administration à annuler tout ou partie des actions rachetées, dans la limite de 10% du capital ; en 2003. En 2004, le conseil d’administration avait décidé l’annulation d’un certain nombre d’actions rachetées ; pour l’exercice 2003 et la société avait traité la décision d’annulation de ces titres comme une cession. Elle avait estimé que la succession des opérations conduisant à l’annulation de ces titres faisait naître une moins-value correspondant à la différence entre la valeur de marché des titres lors de l’annulation et leur valeur de rachat, qu’elle avait traitée en moins-value à court terme. Pour l’exercice 2004, la société avait estimé que l’annulation des titres propres faisait, cette fois, naître une plus-value, qu’elle avait intégrée à son résultat fiscal. En bref, la société avait appliqué le même régime fiscal que celui appliqué dans l’affaire Rexel.
Ce traitement fiscal a été contesté par l’administration fiscale. Celle-ci a obtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat qui s’est appuyé sur sa propre interprétation des règles comptables (lesquelles, comme le notait le rapporteur public, sont en réalité assez peu claires sur la situation en cause), notamment sur l’article 332-6, devenu 221-6, du plan comptable général qui prévoit que la valeur comptable des titres détenus explicitement dans le but de réduire le capital n’est soumise à aucune dépréciation et reste égale à leur prix d’achat jusqu’à leur annulation dès lors que, dès l’origine, leur inscription doit être regardée comme équivalant à une réduction des capitaux propres. La décision cite également l’article 442-27, devenu 942-27, du même plan comptable général, qui dispose que l’opération d’annulation équivaut à un partage partiel de l’actif social au profit des vendeurs des actions rachetées.
La décision du Conseil d’Etat
Selon le Conseil d’Etat, il résulte en effet de ces dispositions comptables qu’est assimilable à la situation d’un rachat de titres dans le but initial exclusif de procéder à une réduction de capital (situation ayant donné lieu à l’affaire Pharmacie Saint-Gaudinoise) la situation de l’affaire Schneider Electric, où « les titres détenus sont annulés sans avoir été, depuis leur rachat, explicitement affectés à un autre but que la réduction de capital ». Il n’y a donc pas lieu de constater une plus ou moins-value d’annulation des titres rachetés lorsque, comme en l’espèce, l’assemblée générale des actionnaires a autorisé le rachat en assignant à cette opération une pluralité d’objectifs, au sein desquels figurait la réduction du capital, sans préciser explicitement quelle proportion des titres rachetés serait affectée à ce dernier objectif.
La solution adoptée par le Conseil d’Etat semble s’expliquer par le fait que dans cette affaire, il n’y a pas eu, contrairement au cas Rexel, de véritable changement d’affectation des titres rachetés. Dès le rachat, la réduction de capital faisait partie des objectifs affichés. Par conséquent, lorsque le conseil d’administration a clarifié l’affectation des actions rachetées, cette affectation n’a pas véritablement été modifiée.
On comprend ainsi pourquoi la décision prend le soin de préciser, pour parvenir à la solution de la neutralité fiscale du rachat-annulation, que l’assemblée des actionnaires n’avait pas explicitement précisé quelle proportion des titres rachetés serait affectée à la réduction de capital. A contrario, si l’assemblée générale avait, tout en assignant plusieurs objectifs au rachat, indiqué explicitement quelle proportion de titres devait être affectée au rachat, et s’il y avait eu un changement d’affectation ultérieur concernant les titres non affectés initialement à cet objectif, il semble que la solution issue de la décision Rexel aurait pu s’appliquer.
En pratique : comment faire ?
Il apparaît ainsi que les sociétés désireuses de conserver la possibilité de se placer dans le champ de la jurisprudence Rexel doivent clairement faire apparaître au moment du rachat l’affectation des titres rachetés. Les modalités pratiques de cette affectation devront être étudiées de près. On note en tout cas que le Conseil d’Etat a d’ores et déjà précisé que l’indication d’une simple priorité (comme en l’espèce, où l’assemblée générale ordinaire avait autorisé le rachat de titres dans l’objectif « prioritaire » de réduire la dilution du capital) ne vaut pas affectation explicite suffisante. Les conclusions du rapporteur public, Mme Bokdam-Tognetti, indiquent en revanche que « lorsque, afin de bénéficier d’une présomption de légitimité dans le cadre des contrôles des pratiques de marché par le régulateur financier, une société ventile financièrement les titres qu’elle rachète dans des sous-comptes distincts en fonction de l’objectif poursuivi ouverts chez un teneur de compte, cette ventilation nous paraîtrait pouvoir être regardée comme révélant, au moins fiscalement, l’affectation précise des titres concernés ».
Auteur
Rachat de titres suivi de la réduction du capital social : le Conseil d’Etat apporte des clarifications – Article paru dans le magazine Option Finance le 14 janvier 2018
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