Réforme du droit des contrats : retours sur quelques évolutions susceptibles d’impacter le droit du travail
30 novembre 2016
La réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance du 10 février 2016, est entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Si cette réforme concerne de prime abord le droit des obligations, quelques évolutions du Code civil méritent d’être relevées car elles pourraient avoir un impact pour les employeurs.
Le contrat de travail ne peut être indifférent à la réforme du droit des obligations. L’article L. 1221-1 du Code du travail rappelle en effet que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats. Au surplus, le nouvel article 1105 du Code civil précise que les « règles générales » (celles figurant dans le Code civil) s’appliquent « sous réserve » des règles particulières, c’est-à -dire dans la mesure où elles ne sont pas radicalement incompatibles avec ces règles particulières. Il est donc important de garder à l’esprit que les principes de droit civil peuvent trouver à s’appliquer aux différents stades de la relation de travail.
L’obligation précontractuelle d’information
Le nouvel article 1112-1 du Code civil prévoit que la partie qui possède une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre partie doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière l’ignore ou fait confiance à son cocontractant.
L’employeur, détenant bien souvent plus d’informations que le futur salarié, devra veiller à lui avoir fourni tous les éléments nécessaires à son consentement éclairé (durée du travail, rémunération, statut collectif applicable, etc.).
Cela recoupe essentiellement les dispositions de la directive européenne du 14 octobre 1991 jamais proprement transposée en droit interne.
La question de l’obligation d’information précontractuelle pourrait également se poser, au-delà de la formation du contrat de travail, en matière de transaction.
La promesse unilatérale
Le nouvel article 1124 du Code du travail définit la promesse unilatérale comme le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion du contrat, dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. En cas de révocation d’une telle promesse, la sanction est l’exécution forcée du contrat.
Cette nouvelle disposition aura nécessairement un impact sur la définition faite par la Cour de cassation de la promesse d’embauche qui vaut contrat de travail, dès lors que l’écrit envoyé par l’employeur précise l’emploi et la date d’entrée en fonction.
L’extension du domaine de la bonne foi
Le nouvel article 1104 du Code civil étend le domaine de la bonne foi, au-delà de l’exécution, à la négociation et la formation du contrat.
Ce texte permettrait au juge de sanctionner par l’octroi de dommages-intérêts et de façon autonome (hors vice du consentement) toute tromperie ou tout acte de déloyauté commis par l’une des parties pour inciter l’autre à accepter certaines clauses défavorables.
L’abus de dépendance économique
Le nouvel article 1143 du Code civil prévoit qu’il y a violence, donc vice du consentement, lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.
L’abus de dépendance économique pourrait ainsi permettre d’obtenir l’annulation de certaines ruptures conventionnelles ou de certaines clauses du contrat de travail au motif qu’elles seraient déséquilibrées.
La preuve du contrat
La réforme du droit des contrats donne la même force probante à l’écrit sur support papier et à l’écrit sur support électronique (art. 1366). De même, la copie fiable aura désormais la même valeur probatoire que l’original.
Ces dispositions devraient faciliter l’archivage électronique mais également les pratiques RH, notamment pour les sociétés dont les fonctions RH sont basées à l’étranger.
La représentation de l’employeur
L’ordonnance du 10 février 2016 introduit un régime général de la représentation.
L’ordonnance consacre la théorie de l’apparence selon laquelle l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté (art. 1156).
Ces dispositions donnent une assise légale à des principes pour partie déjà dégagés par la jurisprudence sociale, notamment s’agissant des pouvoirs dévolus aux directeurs des ressources humaines (art. 1379).
La cession de contrat
Le nouvel article 1216 du Code du travail prévoit qu’un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé.
Ce nouveau mécanisme de cession de contrat s’avère particulièrement utile dans les hypothèses de mobilité intra-groupe des salariés, pour laquelle les solutions antérieures de novation du contrat ou d’application volontaire de l’article L. 1224-1 du Code du travail étaient peu adaptées.
Clauses abusives
Enfin, il conviendra de prêter attention au nouvel article 1171 du Code Civil selon lequel « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Certains y voient déjà un argument pour contester la validité de certaines clauses, telles que les clauses de mobilité ou de non concurrence.
Focus
Le cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre a lancé fin septembre 2016 son application mobile Contralto, dédiée à la réforme du droit des contrats et destinée aux entreprises soucieuses d’en appréhender l’impact sur leurs activités. Cette application, gratuite, est disponible sur Windows, Android et iOS. Pour plus d’informations : Contralto
A lire également : Réforme du droit des obligations : quels impacts en droit du travail ?
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat associée, droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X
Réforme du droit des contrats : retours sur quelques évolutions susceptibles d’impacter le droit du travail – Article paru dans Les Echos Business le 30 novembre 2016
A lire également
Qui ne dit mot consent… aux opérations mentionnées sur les relevés banc... 30 juillet 2013 | CMS FL
Fixation des objectifs en langue française : pas d’exception pour les entrepr... 12 septembre 2018 | CMS FL
Accident du travail et télétravail : précisions sur l’application de la prÃ... 26 juillet 2023 | Pascaline Neymond
Faculté de substitution dans une cession de droits sociaux : le cessionnaire or... 11 août 2017 | CMS FL
Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave... 2 décembre 2024 | Pascaline Neymond
Détachement, expatriation : comment gérer les mobilités intra-communautaires ... 21 octobre 2013 | CMS FL
Sous-traitance : l’attestation de vigilance de l’URSSAF est indispensable... 7 mars 2016 | CMS FL
Gestion sociale du Covid-19 : nos voisins ont-ils été plus créatifs ? Le cas ... 23 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites