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Sous-traitance : portée de la délégation de paiement

Sous-traitance : portée de la délégation de paiement

Dans le cadre d’une délégation consentie comme garantie de paiement des sous-traitants en application de la loi du 31 décembre 1975, le maître d’ouvrage (délégué) ne peut opposer au sous-traitant (délégataire) aucune exception tirée de ses rapports avec l’entreprise principale (délégant) ou des rapports entre entreprise principale et sous-traitant.

C’est le principe rappelé et appliqué strictement par la troisième chambre civile de la Haute juridiction dans cet arrêt de cassation ayant reçu une large publication (P+B+I). Les juridictions du fond avaient adopté une interprétation plus souple de l’article 1275 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016) et plus avantageuse pour le maître d’ouvrage, compte tenu de la particularité des faits.

En l’espèce, une association foncière urbaine libre (AFUL) avait confié des travaux de rénovation d’un immeuble à une entreprise générale, qui avait sous-traité les menuiseries extérieures. Elle avait réussi à faire accepter au sous-traitant et au maître d’ouvrage une délégation de paiement comme garantie en application de la loi du 31 décembre 1975. Elle s’était donc engagée à régler toute sommes dues par l’entreprise générale au sous-traitant et avait ainsi payé directement à ce dernier un acompte de 35.771,43 euros, dont les factures avaient été validées par l’entreprise principale. Cependant, l’AFUL considérait que les prestations correspondantes n’avaient pas été exécutées et assignait le sous-traitant en remboursement de l’acompte.

Les juges du fond ont souverainement constaté que le sous-traitant ne prouvait pas que les travaux de menuiseries extérieures relatifs aux bons de commandes aient été réalisés. La cour d’appel de Bordeaux a jugé que la délégation de paiement prive certes le maître d’ouvrage du droit d’opposer au sous-traitant des exceptions tirées de son contrat avec l’entrepreneur principal mais ne lui interdit pas d’opposer au sous-traitant les exceptions inhérentes à la dette de l’entrepreneur principal résultant des travaux sous-traités (c’est-à-dire l’absence de réalisation des menuiseries extérieures) ou celles résultant de ses rapports personnels avec le sous-traitant. Les juges du fond ont par conséquent considéré que l’AFUL était recevable à contester les factures du sous-traitant et ont condamné ce dernier à rembourser l’acompte.

Cette décision a été cassée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation aux motifs que le délégué ne peut opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre le délégant et le délégataire. Concrètement, dans la mesure où l’entreprise principale s’était reconnue débitrice de la somme vis-à-vis du sous-traitant, le maître d’ouvrage était contraint de régler cette somme : il ne pouvait pas opposer au sous-traitant la non-réalisation des travaux, s’agissant d’une exception afférente au contrat de sous-traitance et au marché de travaux principal, ni le fait que l’entreprise principale n’aurait pas dû valider les factures du sous-traitant, s’agissant d’une exception tirée du contrat entre l’entreprise principale et le sous-traitant.

Ainsi, le maître d’ouvrage aurait dû assigner l’entreprise principale aux fins d’obtenir le remboursement de l’acompte indument versé, cette dernière pouvant se retourner ensuite contre le sous-traitant. Solution d’interprétation stricte qui s’inscrit dans une volonté de protection des sous-traitants, mais qui aggrave pour le maître d’ouvrage les désavantages de cette garantie de paiement des sous-traitants, déjà fort peu usitée par rapport au cautionnement bancaire, les entreprises ayant beaucoup de difficultés à l’imposer dans leurs marchés.

Il doit toutefois être relevé que les dispositions du Code civil postérieures à la réforme du droit des obligations (article 1336 du Code civil) prévoient désormais expressément la possibilité de déroger contractuellement à la règle de l’inopposabilité des exceptions.

Cass. 3e civ., 7 juin 2018, n°17-15.981

 

Auteur

Michel Koutsomanis, avocat, droit de la construction et droit de l’urbanisme

 

Sous-traitance : portée de la délégation de paiement – Article paru dans la Lettre Construction-Urbanisme de septembre 2018