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Télétravail à l’étranger : quels enjeux pour les employeurs et les salariés ?

Télétravail à l’étranger : quels enjeux pour les employeurs et les salariés ?

En raison de la fermeture des frontières, certains salariés travaillant habituellement dans un pays ont été amenés à travailler en dehors de ce pays, notamment pour ceux ayant des résidences secondaires ou de la famille à l’étranger.

Avec un essor sans précédent du télétravail du fait de la crise, ce nomadisme professionnel n’est pas sous susciter des questions nouvelles quant à la législation applicable en matière de droit du travail, au régime de sécurité sociale ou aux règles d’immigration. Nombreux sont aussi les DRH qui font face à des demandes de télétravail cet été, pour permettre à certains de reprendre leur travail tout en restant sur le lieu de vacances.

Les enjeux relatifs à la législation de sécurité sociale applicable

 

Rappel des principes d’affiliation

Aux termes des principes d’unicité et de territorialité issus de l’article 11 du règlement européen 883/2004 du 29 avril 2004, toute personne qui exerce son activité sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne (UE) ou qui exerce dans l’Etat de résidence au moins 25 % de son temps de travail est soumis exclusivement à la législation de sécurité sociale de cet Etat.

Il en résulte qu’un salarié exerçant son activité en France doit être en principe affilié à la sécurité sociale française, sauf situation particulière telle qu’un détachement qui permet au salarié, bien que travaillant sur le territoire d’un autre Etat, de conserver, sous certaines conditions, son affiliation à la sécurité sociale française.

Pour les salariés des pays situés hors UE, des accords bilatéraux prévoient les règles d’affiliation au régime de sécurité sociale.

 

La situation liée à la crise sanitaire

Sur le fondement de cette règle, tout salarié qui, dans le cadre de la crise sanitaire, serait venu exercer son activité en télétravail sur le territoire d’un autre Etat membre que celui dans lequel il exerce habituellement son activité ou qui serait amené à y exercer plus de 25 % de son activité du fait du télétravail, devrait en principe, sauf si cette activité présente un caractère ponctuel, être affilié au régime de sécurité sociale de cet Etat.

Néanmoins, de façon temporaire, pour éviter un changement de législation applicable du fait de cette situation hors norme, la France et plusieurs Etats membres de l’UE, de l’espace économique européen, la Suisse et Monaco se sont entendus afin que cette circonstance soit sans incidence sur le régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs frontaliers, expatriés, pluri-actifs ou détachés.

Relayée par la Direction de sécurité sociale, cette souplesse qui devait s’appliquer jusqu’au 30 juin 2021 a été prolongée jusqu’au 30 septembre de cette même année, alors même que plusieurs pays européens ont d’ores et déjà décidé de neutraliser cette période jusqu’au 31 décembre 2021.

Cette souplesse ne vise toutefois que les cas prévus : travailleurs frontaliers, expatriés, pluri-actifs ou détachés au sens du règlement communautaire.

En revanche, un salarié habituellement employé dans un pays de l’Union, qui aurait décidé de son propre chef, de venir s’installer définitivement en France tout en continuant à télétravailler pour son employeur d’origine, ne devrait pas s’inscrire dans cette tolérance et relever dès à présent de la sécurité sociale française.

S’agissant du salarié qui travaille habituellement dans un pays situé hors UE et qui, dans le cadre de la crise sanitaire serait temporairement revenu travailler en France ou inversement, la question de la législation de sécurité sociale applicable durant cette période dépendra de ce qui aura éventuellement été convenu par convention bilatérale entre les Etats concernés.

 

L’après crise sanitaire

Si de telles pratiques devaient se pérenniser après la fin de la crise sanitaire, il faudrait revenir à la stricte application des règles définies par le règlement communautaire faute de disposition spécifique au télétravail ce qui conduirait dans certains cas à retenir la législation de sécurité sociale du lieu d’exercice de l’activité, c’est-à-dire du lieu du télétravail.

Cette situation n’est pas sans conséquence pour l’employeur, qui devra le cas échéant s’immatriculer aux organismes de sécurité sociale du lieu d’activité du salarié, impliquant parfois une augmentation du coût de ce salarié.

L’examen des conditions précises de ce nomadisme doit alors être réalisé.

Ainsi si le télétravail est exercé de façon résiduelle dans un autre Etat ou s’il y est exercé de façon ponctuelle, la commission européenne considère que cet exercice est insuffisant pour justifier un changement de législation de sécurité sociale applicable qui doit rester celle du lieu dans lequel il exerce principalement son activité.

En revanche, lorsque l’activité s’exerce à 100 % en télétravail dans l’Etat de résidence ou si le télétravail a pour effet de porter à plus de 25 % le temps de travail effectué dans l’Etat de résidence, la situation est plus compliquée.

Dans un tel cas, il pourrait être tentant de recourir à la pratique du détachement. Celui-ci permet à un employeur régulièrement établi dans un Etat et y exerçant ses activités de détacher temporairement un salarié dans un autre Etat pour exercer une activité pour son compte (prestation de service, mission d’exploration, etc.) tout en conservant le bénéfice de son régime de sécurité sociale d’origine.

 

Cette solution n’est cependant pas toujours satisfaisante car la situation ne correspond pas véritablement à la définition du détachement :

 

    • d’une part, l’exécution de la prestation de travail dans un autre Etat résulte moins de l’activité de l’employeur que d’une volonté du salarié ;
    • d’autre part, le détachement étant nécessairement convenu pour une durée maximale de 24 mois, il ne peut constituer une solution appropriée dans le cas où le télétravail serait organisé dans un autre Etat membre de manière pérenne.

 

Une dernière solution pourrait consister, ainsi que le prévoit l’article 16 du règlement, à demander aux autorités compétentes des Etats concernés, une dérogation individuelle exceptionnelle aux règles d’assujettissement à la sécurité sociale ainsi que le préconise le centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (Cleiss).

Cependant, il semble que, là encore, cette solution ne soit envisageable selon le Cleiss que si la situation de télétravail est mise en œuvre pour une durée temporaire et déterminée.

Lorsque l’opération s’effectue avec un Etat situé hors UE, il convient là encore de se référer à la convention bilatérale existant le cas échéant entre les deux Etats en cause pour déterminer le régime de sécurité sociale applicable. A défaut de stipulations particulières, il existe un risque de double affiliation.

 

Les enjeux relatifs à la législation de droit du travail applicable

Le règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit «Rome I», fixe les règles de détermination de la loi applicable au contrat de travail. En principe, les parties sont libres de fixer la loi applicable au contrat. A défaut de choix des parties, la loi applicable est celle du lieu dans lequel le salarié accomplit habituellement son travail.

Ainsi, à défaut de choix par les parties de la loi applicable au contrat de travail, l’exercice habituel de l’activité en télétravail sur le territoire d’un autre Etat que celui de l’établissement dans lequel le salarié travaillait jusque-là pourrait avoir un impact sur la loi applicable au contrat, à moins que cet exercice n’ait qu’une durée limitée (comme par exemple, pendant la période de confinement).

A titre d’illustration, la relation de travail entre une entreprise allemande et une salariée embauchée pour travailler en Allemagne serait, à défaut de choix des parties, soumis au droit du travail Allemand. Si la salariée venait par la suite à exercer l’essentiel de son activité en télétravail depuis la France, la loi française gouvernerait alors l’intégralité de la relation de travail.

Pour éviter cela, il peut être tentant de fixer la loi applicable dans le contrat de travail initial ou dans l’avenant instituant le télétravail. Néanmoins, cette solution ne permet pas de résoudre toutes les difficultés.

 

Aux termes du règlement européen, le choix de la loi applicable par les parties ne peut avoir pour effet de priver le salarié des « dispositions impératives » de la loi qui serait applicable à défaut de choix.

 

Ces « dispositions impératives » sont définies par chaque loi nationale.

Par conséquent, même si dans notre exemple, les parties ont fait le choix d’appliquer la loi allemande à leurs relations contractuelles, il y aura lieu en cas d’exercice de l’activité en télétravail en France d’appliquer les dispositions impératives du droit français.

On considère généralement que les dispositions énoncées par l’article L.1262-4 du Code du travail qui constituent le noyau dur des règles applicables en cas de détachement (repos obligatoire, droit de grève, non-discrimination, égalité entre les femmes et les hommes, etc.) constituent des règles impératives du droit français.

La Cour de cassation a également eu l’occasion de préciser celles des dispositions de la loi française qui relèvent des règles impératives du droit français : il en est ainsi notamment des règles régissant la rupture des contrats à durée déterminée (1), les règles relatives à l’entretien préalable au licenciement (2), ou encore des règles relatives à la durée du travail (3).

En outre, il a été jugé que les règles d’application des conventions collectives étant fixées par des normes légales et impératives tendant à protéger les salariés, l’application du droit français emporte celle des conventions qu’il rend obligatoires (4).

 

On le voit, même s’il est juridiquement possible de soumettre le contrat de travail à une autre loi que celle du lieu d’exécution, cette pratique a un intérêt limité compte tenu de l’importance des règles reconnues impératives en droit français.

 

Dans le cas où le salarié travaillant habituellement dans un Etat membre, tel que la France, irait télétravailler dans un Etat tiers comme par exemple les Etats-Unis, il conviendrait de se référer aux règles applicables dans cet Etat pour déterminer la loi applicable au contrat de travail.

 

Les enjeux en matière de droit de l’immigration

Pour les citoyens européens bénéficiant d’une liberté de circulation au sein de l’ensemble des Etats membres de l’UE pour y exercer une activité professionnelle, l’exercice du télétravail dans un Etat membre ne nécessite le respect d’aucune procédure particulière en matière d’immigration.

Il n’en est en revanche pas de même pour les ressortissants d’un Etat tiers (en ce compris les ressortissants britanniques depuis le Brexit) : ils devraient dans ce cas solliciter un visa et une autorisation de travail les autorisant à exercer à télétravailler dans un autre Etat.

S’il est évident que la crise a pu démontrer que le télétravail permet à certains de travailler in fine de n’importe où, cela n’est pas sans bousculer tous les principes juridiques, sociaux voire fiscaux existants, qui naturellement n’avaient pas envisagé cette situation singulière et inédite.

Si de telles pratiques venaient à se pérenniser, il serait sans doute souhaitable que les autorités communautaires et nationales se saisissent du sujet pour doter le télétravailleur transnational d’un statut juridique propre.

 

(1) Cass. soc, 12 mars 2008, n°01-44.654
(2) Cass. soc,9 juin 1998,n°96-41.929
(3) Cass. soc, 28 janvier 2015, n° 13-14.315
(4) Cass. soc. 29 septembre 2010 n° 09-68.851

 

Article publié dans Les Echos le 15/07/2021

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