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Télétravail : l’accord national interprofessionnel est finalisé

Télétravail : l’accord national interprofessionnel est finalisé

Depuis la sortie du premier confinement – période au cours de laquelle les entreprises ont massivement eu recours au télétravail, parfois en mode « dégradé » – les organisations syndicales ont sollicité l’ouverture d’une négociation interprofessionnelle sur ce sujet qui s’est traduite dans un premier temps par la rédaction d’un diagnostic partagé finalisé le 22 septembre 2020 et s’est poursuivi par l’ouverture d’une négociation. Celle-ci a abouti le 26 novembre 2020, après trois semaines de négociations, à la conclusion d’un accord national interprofessionnel (ANI) pour une mise en œuvre réussie du télétravail. Analyse.

 

L’objet de l’ANI

Le préambule de l’ANI rappelle que « le cadre juridique de la mise en œuvre du télétravail est constitué de l’ANI de 2005 relatif au télétravail et des articles L.1222-9 et suivants du Code du travail, modifiés par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont la portée a pu être précisée par la jurisprudence » .

Il est précisé que « c’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail sont définies, dans le cadre fixé par le Code du travail, les dispositions de l’ANI de 2005 et du présent accord, et par les dispositions éventuelles négociées au niveau de la branche » .

Fort du constat que l’articulation entre ces sources juridiques n’est pas toujours aisément comprise par les employeurs et les salariés, l’ANI a pour objet d’expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail et de proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise et dans les branches professionnelles un outil d’aide au dialogue social et un appui à la négociation leur permettant de favoriser une mise en œuvre réussie du télétravail.

Dans un communiqué de presse du 26 novembre 2020, le ministère du Travail indique que l’ANI permet de « compléter et clarifier les règles applicables, tant en ce qui concerne le télétravail régulier que le télétravail en temps de crise » . Il ajoute que l’ANI « permettra d’encourager la dynamique de négociations de branches et d’entreprises en matière de télétravail, en donnant un cadre clair sur les modalités de sa mise en œuvre et sur la manière de négocier sur ce sujet en entreprise et dans les branches professionnelles ».

Conformément au souhait du patronat, il est, pour l’essentiel, non contraignant et ne prévoit pas d’obligations nouvelles à la charge des entreprises.

Principalement descriptif, incitant à la négociation d’entreprise, ne comportant que quelques dispositions normatives, l’ANI a, avant tout, une dimension politique, notamment pour le Medef et la CFDT.

 

Le contenu de l’ANI

Le préambule de l’ANI, rappelle tout d’abord que « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. En pratique, il peut s’exercer au lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers-lieu, comme par exemple un espace de co-working, différent des locaux de l’entreprise, de façon régulière, occasionnelle, ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure » .

L’ANI comporte sept chapitres consacrés tant au télétravail régulier (1) qu’au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles (2).

 

1. Le télétravail régulier dans l’entreprise

Les entreprises sont invitées à réfléchir en amont à ses conditions de mise en place en tirant les enseignements des mesures prises pour la continuité d’activité pendant la crise sanitaire. Afin d’identifier les facteurs clés de succès, au regard des spécificités de l’entreprise, il préconise aux entreprises de passer par une phase d’expérimentation suivie d’un bilan.

La mise en place du télétravail 

L’ANI insiste en outre sur l’importance de « faire de la mise en place du télétravail un thème de dialogue social et de négociation au niveau de l’entreprise, et, le cas échéant, au niveau de la branche professionnelle » . Celle-ci peut prendre place dans la négociation relative à la qualité de vie au travail (QVT) ou au droit à la déconnexion. Pour autant, l’accord ne fait pas du télétravail un thème de négociation obligatoire dans l’entreprise.

Ainsi, conformément au souhait des syndicats, l’accord rappelle que le télétravail doit, en première intention, être mis en place par la voie de la négociation, « dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe » . Ce n’est qu’en l’absence d’accord collectif ou de charte, qu’il est possible de mettre en place le télétravail par accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur.

Alors que la question de l’éligibilité des postes ou des activités au télétravail a constitué l’un des points de crispation de la négociation, l’ANI retient que « l’identification des activités de l’entreprise pouvant faire l’objet de télétravail, conditionne la réussite de ces missions essentielles et relève donc nécessairement de la responsabilité de l’employeur et de son pouvoir de direction » .

Ainsi, contrairement au souhait des syndicats, l’accord ne définit pas les postes télétravaillables qui peuvent être repérés dans le cadre du dialogue professionnel. A cet égard, « la définition des critères d’éligibilité peut utilement alimenter le dialogue social » . Enfin, en cas de mise en place du télétravail par une décision de l’employeur, ses conditions de mise en œuvre et son périmètre doivent faire l’objet d’une consultation du comité social et économique (CSE) (dans les entreprises d’au moins 50 salariés).

L’ANI rappelle les conditions d’accès au télétravail :

    • le télétravail revêt un caractère volontaire pour le salarié et l’employeur, sauf cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles ;
    • le télétravail peut être institué dès l’embauche ou en cours d’exécution du contrat de travail ;
    • le refus de l’employeur doit être motivé si le télétravail a été institué par un accord collectif ou une charte et que le salarié y est éligible ou que le salarié est travailleur handicapé ou proche aidant ;
    • l’accord entre l’employeur et le salarié est formalisé selon les modalités éventuellement prévues par l’accord collectif ou la charte et, à défaut, « par tout moyen« , l’écrit étant recommandé à titre de preuve.

S’agissant du télétravail régulier, l’ANI précise que :

    • le salarié est informé par écrit sur « les conditions de mobilisation et de mise en Å“uvre » du télétravail (notamment sur le rattachement hiérarchique, les modalités d’évaluation de la charge de travail, les modalités d’articulation entre le présentiel et le distanciel, sur les équipements, leurs coûts, les assurances et les règles de prise en charge des frais professionnels) ;
    • une période d’adaptation est aménagée au cours de laquelle chacune des parties peut mettre fin unilatéralement au télétravail, en respectant un délai de prévenance, le salarié retrouvant alors son poste dans les locaux de l’entreprise ;
    • qu’après la période d’adaptation, le télétravail est réversible du commun accord des parties « si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche » . Le salarié retrouve alors son poste dans les locaux de l’entreprise. En revanche, « si le télétravail fait partie des conditions d’embauche » , le salarié bénéficie d’une priorité d’accès à tout emploi vacant s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification, ce qui paraît exclure un droit de retour ;
    • l’employeur peut organiser les conditions du retour ponctuel du salarié en télétravail dans les locaux de l’entreprise en cas de besoin particulier, de sa propre initiative ou à la demande du salarié.
L’organisation du télétravail 

Aux termes d’un rappel des principes fondamentaux et des dispositions légales et conventionnelles applicables (lien de subordination, durée du travail et temps de repos, contrôle du temps de travail, droit à la formation), l’ANI précise que la mise en place du télétravail doit prendre en compte le droit à la déconnexion et que « l’employeur organise chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité et la charge de travail du salarié en télétravail » .

Par ailleurs, s’agissant des frais professionnels, l’ANI réaffirme le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur. « A ce titre, il appartient ainsi à l’entreprise de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur » . Il précise que le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise et peut se traduire par le versement d’une allocation forfaitaire.

En outre, les salariés en télétravail régulier reçoivent une formation appropriée sur les équipements techniques dont ils disposent et les caractéristiques de cette organisation du travail.

Enfin, s’agissant de la protection de la santé et de la sécurité au travail, l’ANI souligne qu’ « il doit être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée » . Il insiste sur l’importance de prendre en compte le télétravail dans l’évaluation des risques professionnels, et notamment « les risques liés à l’éloignement » de la communauté de travail et à « la régulation de l’usage des outils numériques » . Enfin, il rappelle que, « malgré les difficultés de mise en œuvre pratique », le télétravail est soumis à la présomption d’imputabilité des accidents de travail.

L’accompagnement des collaborateurs et des managers 

Reprenant l’ANI du 28 février 2020 portant diverses orientations pour les cadres, l’ANI appelle à un renouveau des pratiques managériales. Il rappelle que le télétravail repose sur un postulat fondamental de confiance entre un responsable et chaque salarié en télétravail et préconise une montée en compétence des managers et salariés en ce qui concerne les évolutions managériales et l’organisation du travail engendrées par le télétravail. Des formations peuvent notamment être proposées sur le management à distance, le respect du cadre légal de la durée du travail et du droit à la déconnexion, l’utilisation régulée des outils numériques et collaboratifs, la cybersécurité.

Enfin, l’ANI recommande qu’une attention particulière soit apportée à la situation de certains salariés lors de la mise en œuvre du télétravail (nouveaux salariés, alternants, salariés en situation de handicap, aidants familiaux, etc.).

La préservation de la relation de travail avec le salarié

L’ANI reprend les deux axes issus notamment des travaux du diagnostic paritaire du 22 septembre 2020 : maintenir le lien social par l’élaboration le cas échéant « de dispositifs ad hoc mobilisant tous les acteurs de l’entreprise » et prévenir l’isolement en permettant au « salarié en télétravail (…) [d’] alerter son manager de son éventuel sentiment d’isolement, afin que ce dernier puisse proposer des solutions pour y remédier » .

La continuité du dialogue social de proximité en situation de télétravail 

Le développement du télétravail régulier, occasionnel ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure nécessite d’adapter les conditions de mise en œuvre du dialogue social dans l’entreprise afin que celui-ci puisse s’exercer dans des conditions efficaces et satisfaisantes, ce qui peut se faire par exemple, par  la mise en place d’un local syndical et un panneau d’affichage numériques ainsi que par l’organisation de réunions de négociation et certaines réunions du CSE à distance.

 

2. La mise en œuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles et de force majeure

L’ANI énonce tout d’abord qu’en cas de circonstances exceptionnelles (comme une pandémie) ou en cas de force majeure, « la décision [de mise en place du télétravail] relève du pouvoir de direction de l’employeur, dans le respect des dispositions légales et réglementaires en vigueur » . Dans ce cas, le principe de double volontariat ne s’applique pas et l’employeur procède alors à une simple information des salariés, par tout moyen, en respectant si possible, un délai de prévenance suffisant.

L’ANI précise que si le CSE doit être consulté sur les mesures d’organisation relatives à la continuité de l’activité, les modalités habituelles de consultation sont adaptées aux circonstances exceptionnelles ou au cas de force majeure : le CSE est consulté dans les plus brefs délais sur la décision de l’employeur.

Il insiste sur l’utilité d’anticiper le recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles en prévoyant d’une part, dans l’accord ou la charte, les conditions et modalités de mobilisation du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure et, d’autre part, dans un protocole de fonctionnement, certaines règles d’organisation du dialogue social afin d’en préserver la qualité et la continuité (aménagement des délais de consultation, réunions en visioconférence, adaptation des règles de communication entre les salariés et leurs représentants).

Enfin, contrairement à ce qu’a préconisé le ministère du Travail pendant la crise sanitaire actuelle dans son Questions-Réponses mis à jour le 6 novembre 2020, l’ANI précise que la prise en charge des frais professionnels engagés par le salarié s’applique également aux situations de télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou cas de force majeure.

L’ANI pour une mise en œuvre réussie du télétravail, conclu pour une durée indéterminée, est ouvert à la signature des organisations syndicales et patronales jusqu’au 23 décembre 2020 et devrait être signé, pour les organisations patronales par le Medef, la CPME et l’U2P et, pour les organisations syndicales de salariés par la CFDT, la CFE-CGC et CGT-FO. Il fera ensuite l’objet d’une demande d’extension.

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