Véhicule de fonction et retrait de points : la fin de l’impunité ?

4 février 2016
Dans un contexte d’augmentation de la mortalité routière, le Gouvernement envisage de pénaliser les employeurs ne dénonçant pas les auteurs d’infractions routières commises avec des véhicules de fonction. Devrait donc prochainement intervenir la fin d’une impunité d’ores et déjà peu compatible avec l’obligation de sécurité résultant du contrat de travail.
Selon les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), la mortalité routière a augmenté de 2,4% en 2015, soit 3 464 décès. Par ailleurs, un accident mortel du travail sur deux est un accident de la route. Face à ce double constat, un comité interministériel de la sécurité routière qui s’est tenu le 2 octobre 2015 a annoncé la prochaine mise en place d’une obligation pour les employeurs de dénoncer les auteurs d’infraction routière.
Une protection du salarié liée à l’identité du titulaire de la carte grise du véhicule
En l’état du droit actuel, la Société, personne morale, titulaire de la carte grise du véhicule professionnel mis à la disposition de l’un de ses salariés est destinataire de l’amende encourue pour certaines infractions au Code de la route (dont les excès de vitesse) commises par ses salariés.
L’employeur peut néanmoins effectuer, à la réception de la contravention, une requête en exonération dans laquelle il précise l’identité du salarié qui était présumé conduire le véhicule lorsque l’infraction routière a été constatée. L’auteur véritable de l’infraction est alors, comme tout usager, contraint de payer l’amende et subira un retrait de points sur son permis de conduire.
Mais, il ne s’agit là que d’une simple possibilité offerte à l’employeur, rien ne l’obligeant, en l’état actuel du droit, à «dénoncer» l’un de ses salariés.
L’usager identifié par l’employeur peut, en outre, contester être l’auteur de l’infraction en faisant notamment valoir que le véhicule en question peut être utilisé par de nombreux autres salariés de l’entreprise. En l’absence d’éléments de preuve apportés par l’employeur (carnet de bord, suivi journalier de l’utilisation du véhicule de la société, etc.), il s’avèrera impossible de déterminer le véritable contrevenant. Ainsi, seul le représentant légal de la société titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule pourra in fine être déclaré pécuniairement redevable de l’amende encourue (Cass. crim. 17 avril 2013 n°12-87.490).
Bien que l’employeur soit redevable des contraventions afférentes à l’utilisation par le salarié d’un véhicule professionnel mis à sa disposition, et qu’il ne peut, en parallèle, opérer une retenue sur le salaire des conducteurs en infraction (Cass. Soc., 11 janvier 2006, n°03-43.587 ; Cass. Soc., 17 avril 2013, n°11-27.550), rares sont ceux, en pratique, qui usent de la requête en exonération, faute de preuve ou afin que leurs salariés ne perdent pas de points à leur permis de conduire, voire qu’ils puissent le conserver.
La volonté des pouvoirs publics d’obliger l’employeur à dénoncer l’auteur de l’infraction routière
Le Gouvernement a ainsi manifesté sa volonté, lors du dernier comité interministériel de la sécurité routière de créer une nouvelle contravention de 4e classe de «non-révélation de l’identité du conducteur par le représentant de la personne morale propriétaire du véhicule en infraction» (mesure n°22). Si cette mesure devait entrer en vigueur, l’employeur qui ne «dénoncerait» pas le salarié présumé conduire le véhicule en infraction, pourrait être ainsi condamné au paiement d’une amende de 650 euros.
Une obligation de dénonciation à anticiper pour satisfaire l’obligation de sécurité ?
Sans attendre la mise en place de sanction spécifique liée au non-respect de l’obligation de dénonciation d’un auteur d’une infraction routière, la question se pose sérieusement de savoir si celle-ci ne découle d’ores et déjà pas de l’obligation de sécurité qui résulte du contrat de travail.
L’employeur est en effet astreint à une obligation de sécurité qui doit s’entendre comme un véritable devoir de prévention. Il doit ainsi tout mettre en œuvre pour assurer la santé et la sécurité des salariés, afin notamment, que ces derniers puissent se déplacer et travailler en sécurité (Cass. Crim. 24 octobre 2000, n°00-80.378).
Le non-respect de cette obligation l’expose notamment à indemniser le salarié ou ses ayants droits en cas d’accident du travail, via la reconnaissance d’une faute inexcusable, ou plus généralement en cas de préjudice subi à raison d’un manquement à cette obligation.
Or l’employeur peut à ce titre devoir protéger le salarié contre lui-même lorsqu’il constate la commission d’un nombre important d’infractions et dont la répétition révèle un comportement dangereux sur la route.
Si un défaut de mesures de prévention de la part de l’employeur est à l’origine d’un accident de la route, sa responsabilité pénale, en cas d’homicide involontaire, de blessure involontaire et de mise en danger d’autrui, pourrait alors être engagée. Tel est le cas, par exemple, lorsque l’accident est dû à la charge de travail du conducteur (long trajet, absences de pauses, etc.) ou à un défaut d’entretien du véhicule (Cass. Soc. 11 octobre 2006, n°05-12.465).
En conclusion et si l’on peut être par principe réservé sur l’éventuelle mise en place d’une obligation de dénonciation, les entreprises doivent prendre sans attendre la mesure du risque routier en mettant en œuvre des actions de prévention efficaces et dissuasives pour les salariés ayant des comportements dangereux.
Auteur
Pierre Bonneau, avocat associé en Droit social.
Véhicule de fonction et retrait de points : la fin de l’impunité ? – Article paru dans Les Echos Business le 3 février 2016
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