Enquêtes internes : le mode d’emploi de la Défenseure des droits

20 mai 2025
Le 5 février 2025, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a publié une décision-cadre formulant 49 recommandations pour accompagner les employeurs et harmoniser la conduite des enquêtes internes, qu’elles soient externalisées ou non. Ces recommandations s’appliquent en cas de signalements relatifs à la discrimination et au harcèlement sexuel, tant dans le secteur privé que public.
La Défenseure des droits souligne que la procédure d’enquête n’est aujourd’hui soumise à aucun formalisme ni aucune méthodologie spécifique par le code du travail. Certains principes sont néanmoins dispersés dans des textes de loi, des jurisprudences et des guides, créant une insécurité juridique et une hétérogénéité des pratiques.
La Défenseure des droits constate également que si les dispositifs internes se sont multipliés depuis quelques années, les signalements internes donnent encore trop rarement lieu à de véritables enquêtes et, le cas échéant, à des sanctions disciplinaires, notamment faute d’un cadre légal clair et sécurisé.
Les recommandations émises ont ainsi pour but de guider les employeurs dans la conduite de cet exercice délicat qu’est l’enquête interne.
Le «signalement» à distinguer de l’«alerte professionnelle»
La Défenseure des Droits rappelle la distinction essentielle qui existe entre une alerte professionnelle et un signalement. En effet, bien que ces termes soient souvent utilisés de manière synonyme dans le langage courant, le terme d’alerte fait référence à une catégorie particulière de signalement, régie par la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite «Sapin II».
Pour être qualifiée d’alerte professionnelle, un signalement doit remplir certaines conditions, à défaut de quoi, la qualification, le régime spécifique de l’alerte ainsi que la protection y afférente ne seront pas applicables.
Parmi ces conditions, figure celle qui a trait à l’objet de l’alerte. En effet, la loi Sapin prévoit que le lanceur d’alerte est celui qui « signale ou divulgue sans contrepartie financière directement et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation (…) d’un engagement international (…), de la loi ou règlement … ».
Selon la Défenseure des droits, un lanceur d’alerte est donc une personne qui entreprend une démarche qui dépasse sa situation personnelle, de telle sorte que la personne qui agit dans le seul but de remédier aux agissements dont elle fait elle-même l’objet ne peut être qualifiée de lanceuse d’alerte.
En conséquence, cette personne ne devrait pouvoir bénéficier de la protection applicable à ce statut, a fortiori lorsqu’un tel signalement est effectué alors que le salarié tente d’éviter son licenciement. En revanche, le témoin ou la personne qui dénonce une pratique qui excède son propre cas peut être qualifiée de lanceurs d’alerte.
Cette distinction conduit également à ce que les obligations renforcées de l’employeur en matière de recueil et de traitement des alertes ne s’appliquent pas en matière de signalement.
La Défenseure des droits précise ainsi que les recommandations qu’elle émet dans sa décision-cadre du 5 février 2025 ne « traitent pas du cadre spécifique des alertes. Elles demeurent néanmoins applicables à celles-ci pour autant qu’elles ne soient pas contraires au régime de l’alerte issu de la loi du 9 décembre 2016 ».
Réagir suite à un signalement : l’enquête interne n’est pas automatique mais souvent nécessaire
En dépit de cette distinction, le signalement comme l’alerte professionnelle peuvent, voire doivent, justifier l’ouverture d’une enquête interne. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’enquête a notamment pour objet d’avoir « la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits ».
A cet égard, la Défenseure des droits rappelle qu’une enquête interne ne doit être ouverte par l’employeur que si le signalement nécessite des investigations complémentaires. Elle atténue cependant cette affirmation en rappelant que dans la plupart des situations de discrimination, une enquête interne s’avère nécessaire car les faits sont souvent complexes.
Lorsqu’une telle enquête est requise, la célérité est de mise. Ainsi, si un temps de réflexion et de préparation peut s’avérer nécessaire à l’employeur, la Défenseure des droits recommande que l’enquête soit ouverte dans un délai raisonnable après le signalement n’excédant pas 2 mois, délai étonnamment plus court que celui de 3 mois applicable en matière d’alerte professionnelle au sens de la loi Sapin.
La Défenseure rappelle, à cet égard, que l’enquête est indépendante des résultats d’une éventuelle procédure pénale qui serait engagée concomitamment pour les mêmes faits car l’enquête interne vise à déterminer si la discrimination ou le harcèlement est constitué au sens civil et répréhensible au regard notamment du règlement intérieur de l’entreprise et du code du travail.
Elle doit donc être engagée sans tarder, la tardiveté du signalement effectué par rapport aux faits dénoncés ne permettant pas davantage un report ou une renonciation à l’enquête.
L’employeur doit ainsi réagir dès le premier signalement de la victime présumée ou d’un témoin, quels qu’en soient la forme et le canal par lequel il en a été informé, et ce y compris si la victime ou le mis en cause sont en arrêt maladie.
La Défenseure des droits va d’ailleurs plus loin et considère qu’il en est de même si la personne mise en cause, ou la victime, a quitté son emploi ; l’enquête devant être menée à son terme en tout état de cause car elle peut révéler une situation de plus grande ampleur, telle qu’un harcèlement d’ambiance ou la nécessité d’améliorer la prévention des discriminations.
Parallèlement à l’ouverture de l’enquête, et ce dès son ouverture, l’employeur doit, en outre, afin de préserver la santé et la sécurité de la victime présumée, permettre à celle-ci de ne pas côtoyer la ou les personnes mise(s) en cause.
Au besoin, l’employeur devra modifier les conditions de travail de la personne mise en cause et non celles de la victime présumée puisque cela pourrait constituer une mesure de représailles prohibée.
Le choix de l’enquêteur : confidentialité, impartialité et compétences juridiques
La Défenseure des droits rappelle qu’une enquête menée de manière sérieuse bénéficie à l’ensemble des parties. Elle permet de recueillir de façon sécurisée la parole des victimes et des témoins et de les protéger d’éventuelles représailles, de matérialiser les faits, de décourager leur réitération, de justifier la sanction ou l’absence de sanction décidée contre la personne mise en cause et de remplir l’obligation de sécurité prévue pour l’employeur privé et public. Il est en ce sens de l’intérêt de l’employeur de diligenter une enquête sérieuse.
Le choix de l’enquêteur est, à cet égard, déterminant. Tout d’abord, la Défenseure des droits rappelle la nécessaire obligation de confidentialité qui s’impose en matière d’enquêtes internes. L’employeur tout comme l’enquêteur qui le représente doivent « agir avec la discrétion nécessaire pour la dignité et la vie privée de chacun ».
En outre, l’impartialité et l’objectivité de l’enquêteur, ou plutôt des enquêteurs puisque qu’il est recommandé que l’enquête soit menée ou supervisée par au moins deux personnes, est primordiale.
Ceux-ci doivent en effet, pour que l’enquête soit utilement menée, avoir la capacité d’apprécier avec distance et neutralité les éléments nécessaires au traitement du signalement ; l’employeur devant s’abstenir de tous moyens de pressions à leurs encontres.
Dans ce cadre, les enquêtes peuvent ainsi être internalisées, auquel cas, l’employeur devra impérativement faire appel à une personne extérieure au service dans lequel se sont déroulés les faits signalés ou externalisées en confiant la réalisation de cette enquête à un prestataire extérieur, notamment à un avocat, a fortiori si la Direction ou des personnes du service habituellement chargé d’enquêter sont elles-mêmes impliquées dans les faits reportés.
Les enquêteurs doivent détenir une formation juridique solide et actualisée. Cela est d’autant plus nécessaire que l’enquête interne doit permettre de qualifier les faits et, au besoin, de les sanctionner.
La prudence est cependant requise, l’employeur étant tenu de considérer « avec exigence » les justifications invoquées par le mis en cause et d’avoir une appréciation objective, neutre et loyale de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance lors de l’enquête et d’en tirer ainsi les conséquences sur la qualification des faits.
Ainsi, bien qu’il ne soit pas toujours nécessaire de faire appel à un avocat pour chaque enquête interne, cela présente des avantages considérables, en particulier pour les questions sensibles ou impliquant des cadres supérieurs.
Par conséquent, dès lors qu’un signalement est effectué, il est recommandé d’examiner au cas par cas si, compte tenu de la nature du signalement effectué et/ou des personnes impliquées, il ne serait pas préférable d’externaliser l’enquête interne, ce qui peut in fine protéger les intérêts de toutes les parties prenantes et renforcer l’efficacité du dispositif.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats
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