L’inviolabilité du domicile du télétravailleur
17 novembre 2025
La chambre sociale de la Cour de cassation sanctuarise le domicile du salarié en tant que lieu d’exercice de l’activité professionnelle en télétravail.
Après avoir énoncé que l’usage fait par le salarié de son domicile relève de sa vie privée et qu’il est en droit d’en refuser l’accès, elle juge que l’employeur ne peut refuser la mise en place d’un télétravail préconisé par le médecin du travail au titre d’un aménagement du poste au seul motif que le salarié lui a refusé la visite de son domicile (Cass. soc., 13 novembre 2025, n°24-14.322, publié).
Au vrai, la première proposition s’entend sans difficulté : le droit au respect de la vie privée et du domicile, qui dispose d’une base normative très forte, garantit l’inviolabilité du lieu d’habitation dans lequel un employeur ne peut pénétrer qu’avec l’accord du salarié.
Quelle que soit la raison pour laquelle l’employeur souhaiterait accéder au domicile du salarié, ce dernier a le droit de s’y opposer.
C’est la seconde proposition – que la Cour de cassation présente comme s’induisant de la première – qui déconcerte davantage : face au refus du salarié de permettre l’accès à l’espace consacré ou destiné à être consacré à l’exercice de l’activité professionnelle, l’employeur ne peut en tirer les conséquences en refusant que l’intéressé y télétravaille.
Les obligations de l’employeur ne s’arrêtent pas pourtant à la porte du domicile du télétravailleur : responsable de la sécurité des salariés, l’employeur assume une obligation de prévention des risques qui n’est pas allégée lorsque le travailleur réalise son activité au lieu de son habitation.
La loi ne distingue pas selon les lieux de travail : « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail » (C. trav., article L.1222-9).
La vigilance de l’employeur est d’ailleurs, dans les faits, probablement plus importante lorsque la mise en œuvre du télétravail est, comme c’était le cas en l’espèce, une préconisation du médecin du travail.
Dans cette situation, l’aménagement du poste en télétravail a été regardé par la chambre sociale comme une solution que l’employeur a l’obligation de mettre en œuvre dans la mesure où cet aménagement est compatible avec la nature de l’activité de l’intéressé et l’organisation collective du travail.
C’est – décide-t-elle – une question de loyauté dans l’exécution de l’obligation de reclassement, peu importe que l’entreprise ne pratique pas le télétravail (Cass. soc., 29 mars 2023, n°21-15.472, publié).
Seulement, le placement du salarié en travail à distance ne doit pas se faire à tout prix et il est de la responsabilité de l’employeur de s’assurer de la conformité des conditions matérielles de travail avec les indications du médecin du travail, quand il y en a, et plus généralement avec les règles de sécurité compte tenu, le cas échéant, de la pathologie du salarié.
C’est la raison pour laquelle l’employeur avait demandé en l’occurrence à pouvoir visiter le lieu où le salarié devait installer son poste de travail, le dossier de candidature au télétravail que ce dernier avait rempli prévoyant au demeurant la visite de son domicile.
L’intéressé ayant finalement refusé que l’employeur y accède, ce qu’il était parfaitement légitime à refuser, celui-ci n’avait pas donné suite à la mise en place du télétravail, ce qu’il était a priori parfaitement légitime à décider. C’était du moins le point de vue des juges du fond qui ont rejeté la demande du salarié se prévalant, pour obtenir des dommages et intérêts, d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
La Cour de cassation n’est pas toutefois de cet avis. Elle juge « que, tenu de prendre en compte les avis, les indications ou propositions émises par le médecin du travail, l’employeur qui n’a pas exercé le recours prévu par l’article L.4624-7 du code du travail ne peut refuser la mise en place d’un télétravail préconisé par le médecin du travail au titre d’un aménagement du poste au seul motif que le salarié a refusé une visite de son domicile par l’employeur ». Aussi, à partir du moment où la cour d’appel avait constaté que « l’employeur avait refusé la mise en place du télétravail préconisé au seul motif que la salariée s’était opposée à la visite de son domicile », elle « aurait dû déduire un manquement à l’obligation de sécurité ».
Voilà donc l’employeur accablé d’avoir manqué à son obligation de sécurité pour avoir voulu s’assurer de la conformité des conditions de télétravail avec les règles de sécurité et, face au refus du salarié de le laisser accéder à son domicile, avoir renoncé à laisser l’intéressé y télétravailler.
Que peut-on faire ?
Il n’y a pas vraiment d’issue. Sans doute, l’employeur a toujours la possibilité de contester devant le conseil de prud’hommes les préconisations du médecin du travail, ce que l’arrêt signale en observant qu’il n’avait pas en l’espèce exercé le recours prévu par l’article L.4624-7 du Code du travail.
Il faut l’envisager : les conseillers prud’hommes sont, il est vrai, en général réticents à revenir sur les avis ou les indications qui reposent sur des éléments de nature médicale, qu’ils ne s’estiment pas en mesure de juger ; mais ils peuvent être plus sensibles aux arguments d’ordre professionnel, tirés en particulier de l’incompatibilité de l’aménagement du poste en télétravail avec l’organisation collective du travail.
Cela ne règle cependant pas la question des conséquences de l’opposition du salarié à ce que l’employeur, ou un tiers – en particulier un service de prévention et de santé au travail -, accède à son domicile.
S’il ne fait aucun doute que le refus de mettre en œuvre le télétravail engage la responsabilité de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité lorsque le télétravail est un aménagement préconisé par le médecin du travail, les choses pourraient-elles être différentes quand le recours au télétravail est une faculté ?
L’employeur pourrait-il le refuser aux salariés qui n’acceptent pas une visite de leur domicile ou, plus généralement, conditionner la candidature des salariés à l’éventualité d’une telle visite ?
La tonalité de l’arrêt ne le laisse pas envisager. L’employeur ne peut a priori en aucun cas faire d’une visite du domicile, par lui-même ou par un tiers, une condition de la mise en place du télétravail sans porter atteinte au droit fondamental à l’inviolabilité du domicile.
Aussi, face à l’impossibilité à laquelle il se trouve confronté d’assurer pleinement son obligation de sécurité, il doit au moins pouvoir être attendu que le niveau d’exigence, pour apprécier l’exécution de cette obligation, soit adapté au niveau de maîtrise des conditions de travail et tienne compte de l’impossibilité de prendre des mesures d’application directe au domicile du salarié.
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