Augmentations individuelles accordées dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) : l’employeur doit-il se justifier ?
16 juin 2015
Dans un arrêt récent mais non publié au bulletin du 6 mai 2015, la Cour de cassation estime que l’employeur doit être en mesure de justifier les raisons pour lesquelles un salarié cadre n’a pas, contrairement à d’autres salariés cadres de l’entreprise, bénéficié de l’enveloppe des augmentations individuelles négociée dans le cadre de la NAO.
A travail égal, salaire égal
Le principe «à travail égal, salaire égal» oblige l’employeur à assurer une même rémunération aux salariés qui effectuent un travail identique ou de valeur égale. Il s’applique non seulement entre les femmes et les hommes mais plus généralement entre tous les salariés placés dans une situation identique.
Ce principe est une application particulière du principe plus large d’égalité de traitement des salariés en matière de conditions de rémunération, d’emploi, de travail, de formation et de garanties sociales.
Le principe d’égalité de traitement n’interdit pas pour autant à l’employeur d’individualiser les salaires. Toutefois, si l’employeur n’entend pas rémunérer les salariés effectuant un même travail de façon identique, il doit pouvoir justifier cette différence de rémunération par des critères objectifs, pertinents et étrangers à tout motif discriminatoire.
Rémunération variable discrétionnaire versus égalité de rémunération
Les principes visant à garantir une égalité de rémunération entre les salariés réalisant un travail de même nature s’appliquent également en matière de rémunération variable discrétionnaire.
En effet, selon la Cour de cassation, l’employeur peut accorder une rémunération variable discrétionnaire à certains salariés placés dans une situation comparable au regard de l’avantage considéré à condition de pouvoir justifier des motifs objectifs et pertinents explicitant cette différence de traitement (Cass. soc. 10 octobre 2012).
Il appartient ensuite aux juges du fond de contrôler concrètement la réalité et la pertinence des raisons avancées par l’employeur. Ces raisons peuvent être les suivantes : difficultés de management d’une équipe, nombre de ventes inférieur au nombre de ventes moyen, niveau d’insatisfaction des clients plus important, non-respect des délais, etc.
A cet égard, et pour éviter tout litige, il convient de définir dès l’origine les conditions d’octroi et les modalités de versement d’une prime variable discrétionnaire ou d’un bonus en fonction d’éléments objectifs et précis qui pourront être contrôlés.
Elargissement du principe aux augmentations individuelles annuelles
Il semble, au regard d’un arrêt du 6 mai 2015 (n°13-25.821), que la Cour de cassation entend désormais étendre le principe d’égalité de traitement aux augmentations individuelles résultant de la négociation annuelle obligatoire.
Dans cette affaire, un employeur avait décidé d’attribuer au personnel cadre, conformément à l’accord de négociation annuelle obligatoire (NAO), des augmentations individuelles sur la base d’une enveloppe globale.
En procédant à la répartition de l’enveloppe, l’employeur refuse d’augmenter un cadre qui travaille dans un service recherche et développement (R&D) dont les performances sont jugées «décevantes».
Le cadre considère qu’il subit une inégalité de traitement et demande réparation du préjudice qu’il estime avoir subi.
L’employeur fait tout d’abord valoir que l’accord de NAO ne prévoie pas une augmentation générale pour l’ensemble des cadres mais une enveloppe d’augmentations individuelles, sans en fixer les critères. Selon son analyse et au regard de son pouvoir discrétionnaire, il était donc fondé à attribuer les augmentations individuelles en fonction des performances individuelles des salarié.
Ensuite, l’employeur fait valoir qu’aucun salarié du service R&D n’a bénéficié d’une augmentation en raison des performances décevantes de ce service.
L’argumentation de l’employeur n’a pas emporté la conviction des juges. Conformément à sa jurisprudence, la Cour de cassation contrôle en deux temps la preuve de l’inégalité de traitement :
- 1er temps : Preuve par le salarié d’éléments de faits susceptibles de caractériser une inégalité
La Cour retient que le salarié rapporte la preuve d’éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement : ce cadre n’a pas reçu d’augmentation individuelle de salaire en application de l’accord de négociation annuelle des salaires alors même que d’autres salariés appartenant comme lui au personnel cadre ont reçu une telle augmentation.
- 2nd temps : Preuve par l’employeur d’éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération
En revanche, la Cour juge insuffisante la justification de l’employeur selon laquelle aucune augmentation n’a été accordée au sein du service R&D auquel appartenait le salarié concerné.
En conséquence, la Cour estime que l’employeur n’a pas établi l’existence d’éléments objectifs justifiant la différence de rémunération. E confirme la condamnation de l’employeur à verser au salarié 3.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour inégalité de traitement.
Si cet arrêt parait consacrer l’application du principe d’égalité de traitement aux augmentations individuelles décidées dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, force est cependant de constater que la Cour de cassation n’a pas voulu conférer une importance particulière à cette décision puisque cet arrêt n’a pas été publié au bulletin. Il faudrait donc se garder de le considérer comme une solution de principe.
En pratique, il reste bien entendu possible de ne pas accorder une augmentation individuelle à tous les salariés. Toutefois, il convient de définir précisément, en amont, les conditions de versement des augmentations afin de pouvoir arguer, le jour venu, de l’existence d’éléments objectifs, précis et identifiables justifiant la différence de rémunération.
Auteurs
Ludovique Clavreul, avocat en droit social.
Céline Martinez, avocat en droit social
*Augmentations individuelles accordées dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire (NAO) : l’employeur doit-il se justifier ?* – Article paru dans Les Echos Business le 15 juin 2015
A lire également
CSE : parité des listes aux élections professionnelles – la Cour de cass... 8 septembre 2020 | CMS FL Social
Nouvelle formalité obligatoire pour les employeurs concernant l’exposition au... 10 avril 2024 | Pascaline Neymond
L’inclusion, un nouveau défi pour les entreprises... 28 mai 2021 | Pascaline Neymond
La modification de la rémunération par l’employeur autorise-t-elle encore la... 13 janvier 2015 | CMS FL
La loi relative au dialogue social : que faut-il en retenir ?... 14 octobre 2015 | CMS FL
Représentativité patronale de branche : ce que les organisations professionnel... 22 décembre 2015 | CMS FL
Alertes professionnelles et loi Sapin 2 : extension de l’autorisation unique A... 22 novembre 2017 | CMS FL
Nouvelle convention collective de la métallurgie : les nouveautés du dialogue ... 13 juin 2022 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025