Consultation sur la stratégie : un nouveau défi pour le pouvoir patronal
3 septembre 2013
La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 marque une nouvelle étape dans la consultation des représentants du personnel : celle-ci impose désormais aux entreprises de consulter le comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise.
Le nouvel article L.2323-7-1 du Code du Travail prévoit que le comité d’entreprise est consulté, chaque année, sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages. Ces orientations stratégiques sont définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise.
Cette nouvelle consultation, qui vise toutes les entreprises dotées d’un comité d’entreprise et donc également les PME, constitue un véritable bouleversement pour les entreprises. En effet, le CE va être impliqué dans la définition même de la stratégie de l’entreprise et pouvoir proposer des orientations alternatives.
Le comité d’entreprise doit être consulté sur la stratégie
Si certains dispositifs légaux permettaient déjà au CE d’examiner les conséquences des choix stratégiques de l’entreprise, la nouvelle loi prévoit une association plus étroite du comité à la définition même de la stratégie.
Il sera désormais au cœur du processus décisionnel et du pouvoir patronal, des arbitrages et des choix faits à cette occasion, et va bénéficier pour réaliser cette mission d’informations considérablement élargies.
En effet, pour préparer cette consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, le CE aura accès à la nouvelle base de données économiques et sociales unique (BDU), mise en place par la loi de sécurisation de l’emploi prévue à l’article L.2323-7-2 du Code du Travail.
Les informations contenues dans la BDU, qui doivent être précisées par décret, porteront sur 8 thèmes recouvrant les principaux aspects de la vie économique et sociale d’une entreprise. Elles devront porter, en pratique, sur six années les deux années passées, l’année en cours et les trois années à venir. Elles devront également être régulièrement actualisées, sans que l’on sache encore si cette actualisation sera mensuelle, trimestrielle ou annuelle.
Une nouvelle obligation de consultation qui touche au cœur du pouvoir patronal
Une fois que le CE aura analysé l’ensemble des documents de la BDU, il pourra émettre un avis et le cas échéant, proposer des orientations stratégiques alternatives. Cet avis sera transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance qui doit lui donner une réponse argumentée.
Pour assister le CE dans cet examen de la stratégie de l’entreprise ou la définition d’options alternatives, la loi prévoit encore un nouveau cas de recours à un expert-comptable.
L’avis du CE devra être transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise.
De cette transmission découlera une nouvelle obligation : l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance devra formuler une réponse argumentée et le transmettre au comité, qui pourra y répondre. En cas d’absence de prise en compte des propositions du comité, l’employeur devra sans nul doute fournir de sérieuses justifications.
Le comité d’entreprise, dans l’exercice de ses prérogatives économiques, est par essence un contre-pouvoir au pouvoir patronal. Mais cette immixtion au cÅ“ur du pouvoir patronal, avant toute prise de décision, et cette obligation d’examiner les projets alternatifs, dans toutes les entreprises dotées d’un comité d’entreprise, sont-elles justifiées ? Ne vont-elles pas affaiblir une fois encore le pouvoir patronal à une période particulièrement difficile pour la vie des entreprises ?
Une consultation qui suscite de nombreuses inquiétudes
Sans nul doute, cette nouvelle consultation permettra une meilleure association des représentants du personnel au processus décisionnel et leur permettra de mesurer l’importance des choix stratégiques, des anticipations, des risques de tout investissement.
Mais la loi suscite surtout de nombreuses inquiétudes :
Tout d’abord, cette nouvelle consultation risque de manquer de réalisme : certes, il est souhaitable que les entreprises s’interrogent sur leurs stratégies, les inflexions nécessaires. Mais à l’heure de la mondialisation, à une époque où nombre d’entreprises ignorent leurs niveaux de commande à trois ou six mois, ces projections stratégiques sont-elles réalistes ?
Ensuite, se pose la question de la pertinence de cette consultation au niveau de l’entreprise lorsque celle-ci fait partie d’un groupe, parfois de dimension internationale. L’on voit mal l’utilité de consulter le comité au sein d’une entreprise alors que la stratégie est établie au niveau d’un groupe. En outre, les filiales d’un grand groupe international sont le plus souvent très peu au courant des décisions stratégiques envisagées par le siège.
C’est donc un changement profond des processus de décisions ou d’échanges au sein des groupes qu’il faudrait mettre en œuvre. A défaut d’une plus grande transparence à tous les niveaux (groupe, entreprise, filiale locale, établissement), de sérieuses difficultés pratiques sont à prévoir.
Enfin, les stratégies évoluent rapidement, des événements inattendus surgissent, des occasions d’acquisition ou de diversifications se présentent. Il est à craindre que certains changements ayant des conséquences sociales prévisibles négatives soient peu appréciés par les représentants du personnel. Certains syndicats contestataires vont chercher à mettre en avant un manque de loyauté de l’employeur dans le processus de consultation qui ne pouvait pas ignorer selon eux cette évolution. Les praticiens connaissent les dangers de ce type d’approche.
En définitive, ces textes se conçoivent bien avec des syndicats ou des élus d’inspiration réformiste, conscients des difficultés économiques et des nécessités d’adaptation, qui n’attendent pas tout de l’Etat. Mais quel usage vont en faire des syndicats désireux d’en découdre et cherchant à bloquer toute évolution qui est nécessairement pressentie comme négative ? C’est la grande interrogation de ce nouveau texte qui est une forme de pari.
A propos des auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé. Il intervient tant dans le domaine du conseil que du contentieux collectif. Son expertise contentieuse concerne principalement : les restructurations : transfert des contrats de travail, mise en cause des conventions collectives …,les PSE/PDV, contentieux du licenciement collectif, le droit des comités d’entreprise, les expertises (CE/CHSCT, …), le contentieux électoral, la négociation collective, le droit syndical, l’aménagement du temps de travail (accord 35 heures, récupération, …), les discriminations, le droit pénal du travail : entrave, marchandage, CDD/intérim et les conflits collectifs.
Céline Martinez, avocat spécialiste en droit social et notamment en matière de relations individuelles et relations collectives.
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