Critères d’ordre des licenciements : le contrôle strict des juridictions administratives et judiciaires

12 mai 2017
En cas de suppression de poste susceptible de conduire à un licenciement pour motif économique, l’employeur doit préalablement définir la catégorie professionnelle au sein de laquelle le poste est supprimé. Au sein de cette catégorie, qu’il convient d’entendre comme un groupe de salariés exerçant au sein de l’entreprise une activité de même nature supposant une formation professionnelle commune, l’employeur applique ensuite les critères d’ordre pour déterminer les salariés licenciés.
Lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix salariés, les critères sont fixés dans le document unilatéral ou l’accord collectif comportant le plan de sauvegarde de l’emploi.
Dans une telle hypothèse, il appartient à l’autorité administrative saisie de la demande d’homologation du document ou de la validation de l’accord de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.
Aussi la définition des critères d’ordre des licenciements est-elle contrôlée par le juge administratif et non plus par le juge judiciaire pour les licenciements collectifs d’au moins dix salariés.
Quant à la Chambre sociale de la Cour de cassation, elle continue également d’apprécier la légalité des critères pour les licenciements de moins de dix salariés.
De surcroît la Cour de cassation conserve le contrôle de l’application des critères hormis le cas des salariés protégés.
Les récentes décisions démontrent que le juge administratif s’inscrit dans le prolongement de l’édifice jurisprudentiel élaboré par la Cour de cassation et contrôle étroitement l’application des critères.
L’article L 1233-5 du Code du travail énumère des critères tels que notamment les charges de famille, l’ancienneté de service, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile notamment celle des handicapés et des personnes âgées, les qualités professionnelles. En outre l’article dispose que l’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères mentionnés ci-dessus.
Lorsqu’un employeur privilégie le critère des qualités professionnelles, cela ne doit pas conduire à rendre inopérant les autres critères. La Cour de cassation a toujours censuré les surpondérations d’un critère ayant pour effet d’annihiler les autres critères.
Dans le même esprit le Conseil d’Etat a récemment considéré qu’un plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvait neutraliser un critère sans méconnaître les dispositions de l’article L 12233-5 du Code du travail (CE 4e -5e ch. 1-2-2017 n°387886).
En l’espèce, l’administrateur judiciaire de la société ne disposait au moment de l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi d’aucune évaluation de salariés pour apprécier leurs qualités professionnelles au cours des années antérieures. Aussi avait-il accordé à l’ensemble des salariés de la catégorie le même nombre de points afin de neutraliser ce critère. Le Conseil d’Etat a estimé que cela ne l’empêchait pas tout de même de fixer des éléments de pondération pour ce critère. Une telle pratique revient selon le Conseil d’Etat à omettre un critère.
Une telle solution peut paraître en décalage avec la pratique. En effet il n’est pas rare que les partenaires sociaux sollicitent une réduction voire une neutralisation des critères relatifs à la qualité professionnelle.
Le Conseil d’Etat souligne néanmoins qu’une neutralisation d’un tel critère n’aurait pu être admise que si l’entreprise n’avait pas été en mesure de mettre en œuvre matériellement la moindre modulation du critère des qualités professionnelles.
Cette hypothèse ne devrait se présenter que très rarement. Certes les évaluations professionnelles sont souvent l’élément d’appréciation, supposé objectif, prépondérant et en l’absence duquel l’exercice s’avère très délicat. Toutefois l’employeur a toujours la faculté de prendre en considération la polyvalence, l’expérience professionnelle, etc.
Encore faut-il qu’en retenant le critère de l’expérience professionnelle cela ne conduise pas à détourner la règle comme le démontre un arrêt récent de la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 10-11-2016 n°15-21.961 Sté Laboratoire Theramex c/ L).
L’employeur avait surtout privilégié le critère des qualités professionnelles et plus particulièrement les connaissances du salarié dans la spécialité vers laquelle s’oriente l’activité de l’entreprise. En procédant ainsi cela avait permis à l’employeur d’écarter au sein d’une même catégorie professionnelle tous les salariés n’ayant pas eu d’expérience dans une spécialité. L’objectif de ne conserver dans l’entreprise que les salariés les plus aptes à contribuer au redressement de l’entreprise paraissait a priori cohérent et difficilement contestable. La Cour de cassation a considéré au contraire que l’employeur avait fait une application inégalitaire et déloyale des critères.
Selon la Cour, l’adoption d’un tel critère a conduit in fine l’entreprise à omettre les autres critères et, au sein d’une même catégorie professionnelle à privilégier systématiquement les salariés ayant une expérience dans un domaine.
L’employeur aurait pu éviter de s’exposer à une telle remise en cause du choix du critère des qualités professionnelles et obtenir le même résultat s’il avait pu créer deux catégories professionnelles.
Ces deux exemples démontrent l’intransigeance de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat dans la définition des critères et leur application.
Ces interprétations très strictes des textes peuvent apparaître paradoxales dès lors que l’employeur peut choisir discrétionnairement, sans application de critères, le salarié reclassé en cas de pluralités de candidatures de salariés dont le licenciement est envisagé.
Auteur
Nicolas Callies, avocat associé, droit social
Critères d’ordre des licenciements : le contrôle strict des juridictions administratives et judiciaires – Article paru dans Les Echos Business le 11 mai 2017
Related Posts
De l’usage de la langue française dans les relations de travail... 11 mai 2015 | CMS FL

Exercice d’une activité professionnelle pendant un arrêt maladie : la Co... 20 janvier 2014 | CMS FL
Heures de délégation au-delà du temps de travail et majoration pour heures su... 2 novembre 2021 | Pascaline Neymond

Indemnisation du licenciement et égalité devant la loi... 31 janvier 2017 | CMS FL

Convention collective des journalistes et indépendance éditoriale : cas pratiq... 10 août 2017 | CMS FL

Prise d’acte : poursuite du durcissement contre les départs opportunistes... 4 août 2014 | CMS FL
Les cadres au forfait jours : autonomes mais responsables... 21 octobre 2013 | CMS FL
La reconnaissance de l’UES : le droit commun l’emporte sur l’u... 4 février 2014 | CMS FL
Articles récents
- Accident du travail en cours de préavis : attention à la protection !
- Témoignages anonymisés : un juste équilibre entre droit à la preuve et droit au procès équitable ?
- La relation de travail mise à nue ou quand l’employeur est obligé de tout dévoiler au salarié
- Exercice d’une activité réglementée : n’omettez pas de vérifier que vos salariés sont en possession des diplômes nécessaires !
- Stop the clock : l’impératif de compétitivité reprend le dessus sur les obligations des entreprises en matière de durabilité
- Activité partielle de longue durée rebond : le décret est publié
- Quand le CSE stoppe le déploiement de l’IA
- A l’approche du mois de mai, comment gérer les ponts et les jours fériés ?
- Refus d’une modification du contrat de travail pour motif économique : attention à la rédaction de la lettre de licenciement !
- Statut de cadre dirigeant – attention aux abus !