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Détachements et sous-traitance : le dumping social sur la sellette

La directive sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services a vécu. Face à la multiplication de montages critiquables, les Etats-membres tentent de réagir. Parallèlement, la France se dote de nouvelles armes.

La nécessité de réviser un dispositif qui a montré ses faiblesses

Encouragés par la libéralisation des services au sein de l’Union Européenne, les détachements intra-communautaires sont aujourd’hui en plein essor.

L’anecdote du plombier polonais est bien loin et c’est à une autre réalité qu’est aujourd’hui confrontée l’Europe. De plus en plus de salariés sont détachés temporairement sur le territoire d’un autre Etat-membre pour y travailler dans des conditions parfois contestables. Ainsi, de nombreux abus ont été constatés, en particulier dans les secteurs du BTP, de l’industrie ou encore de l’agro-alimentaire : non-respect des règles d’hygiène et sécurité, salariés sous-payés, durée du travail non contrôlée…

Au-delà du préjudice subi par les salariés, ces pratiques créent un réel problème de concurrence déloyale.

Pourtant, la directive 91/76/CE du 16 décembre 1996 avait prévu des garanties pour éviter les pratiques de « dumping social ». Elle a ainsi rendu obligatoire, dans chaque Etat-membre, le respect, par les entreprises étrangères, d’un noyau dur de règles sociales impératives (périodes maximales de travail, durée minimale des repos et congés, hygiène et sécurité et, le cas échéant, respect d’un salaire minimum…). Néanmoins, ces règles n’étaient sans doute pas suffisantes pour éliminer les pratiques illicites, dans un contexte de crise et dans le cadre d’une Europe élargie.

Certes, il existe une forme de « dumping social » parfaitement légale : dès lors que les salariés détachés cotisent dans leur pays d’origine, des distorsions de concurrence naissent de la simple différence entre le montant des charges sociales.

Mais le contournement des règles posées par la directive, par la mise en place de pratiques souvent difficiles à appréhender pour les autorités de contrôle nationales et impliquant notamment des enquêtes transnationales, constitue le cœur des critiques.

Sont pointés du doigt les recours fréquents à des détachements répétés de travailleurs pour le même emploi (en dépit de l’interdiction posée par les textes), à des sociétés « boîtes aux lettres » sans attache réelle dans le pays d’origine et destinées uniquement à éviter de cotiser dans le pays d’accueil, ou à de la sous-traitance en cascade. Quand ce n’est pas la transgression pure et simple du noyau dur de règles impératives fixées par le droit local…

Une nouvelle directive sur le détachement de travailleurs en cours d’élaboration

Pour lutter contre ces abus, une nouvelle directive est en préparation. Cette réforme de la Directive de 1996 vise notamment à améliorer la coopération entre autorités nationales et à renforcer les mécanismes de contrôle.

Les ministres du travail ont fini par s’accorder, le 9 décembre 2013, sur les points essentiels que devrait comporter le nouveau texte.

En dépit de l’opposition de plusieurs Etats-membres, dont la Pologne, qui ne souhaitaient pas la mise en place d’un cadre trop contraignant, la France et d’autres pays sujets au dumping social, ont obtenu plusieurs avancées.

Tout d’abord, les Etats-membres pourront librement décider du nombre et de la nature des documents exigibles des entreprises en cas de contrôle, sous le contrôle de la Commission. De plus, les Etats membres se sont entendus pour instaurer, dans le seul domaine du BTP, une responsabilité solidaire des donneurs d’ordre à l’égard des sous-traitants en cas de fraude ou d’abus.

Le projet de directive ne sera toutefois pas immédiatement applicable dans les Etats-membres. Il doit encore être soumis au Parlement européen, puis transposé en droit interne, ce qui peut encore prendre plusieurs années…

Durcir la législation française pour anticiper la directive à venir ?

En France, afin de renforcer la lutte contre le dumping social, une proposition de loi est aujourd’hui à l’étude devant le Parlement. Cette initiative législative se fait l’écho de la volonté des élus français d’aller plus loin dans le renforcement des contrôles. Ainsi, en octobre dernier, le Sénat avait déjà voté à l’unanimité une proposition de résolution européenne visant à renforcer la Directive de 1996. Un plan de lutte contre le travail illégal et la fraude au détachement en Europe a également été annoncé.

Non pas que la France soit totalement démunie pour lutter contre les pratiques illégales des entreprises étrangères. En effet, dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, le droit français impose déjà aux donneurs d’ordre une obligation de vigilance et de diligence à l’égard de leurs sous-traitants, fussent-ils établis hors de France.

Les donneurs d’ordre doivent notamment s’assurer que leurs cocontractants s’acquittent de leurs obligations déclaratives, paient leurs cotisations sociales et n’emploient pas de travailleurs sans titre de travail, par la remise, au moment de la conclusion du contrat, puis tous les six mois, de certains documents.

Cependant, la réforme envisagée au niveau français est plus globale. Au-delà de la lutte contre le travail dissimulé, il s’agit plus largement de s’assurer que les sous-traitants et prestataires étrangers, respectent à l’égard de leurs salariés le noyau dur des règles impératives du droit français. Ainsi, la « responsabilité conjointe et solidaire » du maître d’ouvrage pourrait être généralisée et non limitée au seul du BTP. Parallèlement, les pouvoirs de l’inspection du travail seraient étendus et les contrôles intensifiés.

Dès lors, plus que jamais, il est recommandé de sélectionner sous-traitants et prestataires avec discernement.

 

A propos des auteurs

Caroline Froger-Michon, avocat. Son expertise porte sur les restructurations (transfert des contrats de travail, adaptation des statuts collectifs, articulation des procédures),les licenciements collectifs, les plans de départ volontaire, le droit des comités d’entreprise et des comités européens, les expertises (CE/CHSCT, …), les chartes éthiques et procédures d’alerte, les discriminations, le harcèlement, les risques psycho-sociaux.

Guillemette Peyre, avocat. Elle est plus particulièrement spécialisée en contentieux et plaide régulièrement devant les juridictions spécialisées aussi bien en droit du travail qu’en droit de la sécurité sociale pour des entreprises françaises et des sociétés étrangères.

 

Article paru dans Les Echos Business du 3 mars 2014

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